Je suis un rapporteur spécial heureux, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce. Le taux des réponses aux questionnaires budgétaires qui lui étaient parvenues le 10 octobre, date limite fixée par la loi organique relative aux lois de finances, était de 80 %, soit un taux bien meilleur que celui de l'année dernière à pareille époque – 25 %. Votre rapporteur spécial a aussi pu constater une amélioration de la qualité de plusieurs réponses, spécialement celles émanant de l'Agence France Trésor. C'est là un point positif, mais peut-être le seul.
Je suis en train de devenir le rapporteur spécial le plus important. La mission dont j'ai à rendre compte devient l'un des premiers postes des dépenses, après l'éducation nationale et les remboursements et dégrèvements en faveur des collectivités locales, mais avant la défense ; il pourrait, malheureusement, devenir le premier dans les années qui viennent.
Je voudrais donner un coup de projecteur sur trois des programmes de la mission.
Il faut souligner, dans le programme « Charge de la dette et trésorerie de l'État », le dérapage de la dette de l'État en 2008, en hausse sur l'année de 4 milliards d'euros ! Cette charge annuelle atteint 45,2 milliards d'euros fin 2008, sa hausse résultant de l'inflation, qui a rapidement accrue la dette indexée, mais surtout du creusement du déficit.
Pour 2009, le Gouvernement prétend que cette charge de la dette sera de 44,3 milliards d'euros. Je n'y crois pas. La faible croissance, les aléas des recettes fiscales et la poussée des dépenses de l'État produiront un effet volume positif, probablement renforcé par un effet prix, du fait des pressions à la hausse des taux d'intérêt.
Au-delà de 2009, le Gouvernement prévoit une augmentation de 2 milliards d'euros supplémentaires chaque année de la charge de la dette, et anticipe donc 49,5 milliards d'euros en 2012. Ce n'est pas réaliste. Deux évolutions très préoccupantes méritent en effet d'être soulignées.
D'abord, le besoin de financement de l'État dérape. Il est ainsi de 165,4 milliards d'euros en 2009, soit le niveau le plus élevé jamais atteint, le double de celui de 1999, qui était de 81,5 milliards d'euros, 60 % plus élevé que celui de 2002 – 109,6 milliards d'euros – et, pire encore, 60 % plus élevé que celui de 2007 : 104, 8 milliards d'euros.
Ensuite, l'endettement public s'envole. Dans sa prévision de charge de la dette, le Gouvernement raisonne sur un endettement en progression de 0,7 point de PIB pour atteindre 66 % du PIB en 2009. Il s'appuie pour cela sur des prévisions macroéconomiques qui sont siennes : stabilisation du déficit public à 2,7 % en 2008 et en 2009 ; retour de la croissance à 2,5 % de 2010 à 2012 ; évolution des dépenses publiques de 1,1 % en volume par an.
Soucieux de prendre la mesure de l'évolution de la dette publique, votre rapporteur spécial a exploré deux variantes possibles.
Le premier scénario alternatif est fondé sur des hypothèses moins favorables que celles du Gouvernement, mais peut-être un peu plus réalistes. Après 0,9 % en 2008, la croissance du PIB reculerait à 0,5 % en 2009, puis accélérerait plus progressivement : 1,5 % en 2010 ; 2 % en 2011 ; 2,2 % en 2012. Les dépenses publiques évolueraient en moyenne annuelle de 1,2 % en volume, soit légèrement plus vite que dans les prévisions gouvernementales. L'endettement public en 2009 serait alors de 67 % du PIB, le ratio d'endettement serait supérieur d'un point de PIB aux prévisions gouvernementales et la dette publique atteindrait 68,5 % du PIB en 2012.
Le second scénario alternatif repose sur les mêmes hypothèses macroéconomiques que le précédent, mais il tend à intégrer une partie de l'impact des récentes mesures prises en réaction contre la crise financière, lesquelles peuvent peser sur la dette publique. Construire un tel scénario est particulièrement délicat, puisqu'il repose sur des hypothèses. Concrètement, dans cette deuxième variante, le stock de la dette publique est majoré de 11,5 milliards d'euros en 2008, correspondant à la prise de participation de la SPPE dans la banque Dexia à hauteur de 1 milliard d'euros et à l'opération de recapitalisation à hauteur de 10,5 milliards d'euros de six établissements bancaires. On a par ailleurs ajouté 15 milliards d'euros à l'encours de dette publique en 2009. Le taux d'endettement public serait alors de près de 70 % du PIB en 2011. En 2012, l'écart avec les perspectives pluriannuelles présentées par le Gouvernement serait proche de 8 points de PIB, soit environ 175 milliards d'euros.
Ces scénarios ont pour objet de souligner l'extrême élasticité de la dette publique, et donc de sa charge annuelle, aux variations des données macroéconomiques et à l'évolution de la conjoncture, mais aussi aux mesures qu'on pourrait être amené à prendre pour intervenir à destination des banques. Il convient de prendre garde à ne pas perdre tout contrôle sur l'endettement public.
Le deuxième coup de projecteur concerne le programme « Appels en garantie de l'État ». D'abord, le volume des garanties dans le cadre des procédures COFACE passe de 58,3 milliards d'euros en 2003 à 42,1 milliards d'euros en 2007. Cette dégradation n'est-elle pas à mettre en relation avec la dégradation de notre commerce extérieur ?
Ensuite, j'exprime ma préoccupation à propos du prélèvement de l'État sur la trésorerie de la COFACE en 2008, que le projet de loi de finances rectificative fait passer de 2,5 milliards d'euros à 3 milliards d'euros : tout donne à penser que l'État a décidé de trouver 500 millions d'euros supplémentaires en fin d'année. Cela affaiblit le dispositif ; j'espère que cela n'atténue pas aussi l'efficacité des garanties de l'État dans le domaine de l'assurance crédit pour le développement de nos exportations.
Le troisième point concerne les crédits du programme « Épargne ». Depuis 2006, ils sont systématiquement sous-évalués. Malgré la volonté affichée du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, de mettre fin aux sous-budgétisations ou aux budgétisations insuffisantes, il faut s'attendre de nouveau en 2008 à un sensible accroissement des dettes de l'État vis-à-vis du Crédit foncier de France, faute de crédits suffisants pour honorer le paiement des primes. Si aucun moyen supplémentaire n'est accordé dans le collectif budgétaire de fin d'année, le cumul des reports de charges assumées par le Crédit foncier résultant des exercices 2006 à 2008 n'atteindra pas moins de 1 milliard d'euros. C'est une inacceptable « dette latente » de l'État.
Je préconiserai par responsabilité l'adoption des crédits de cette mission, mais je veux vous faire part de mon trouble devant le dérapage inquiétant de la charge de la dette, les ponctions tous azimut que l'on peut y relever, et les « trous » qui sont en train de se creuser : la Cour des comptes a stigmatisé les relations financières de l'État avec la sécurité sociale, quel dommage qu'elle ne se soit pas intéressée aussi à celles de l'État avec le Crédit foncier !
Je poserai quatre questions.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que la charge de la dette diminuerait en 2009. Maintenez-vous cette prévision, sachant qu'entre le moment où elle a été élaborée et aujourd'hui, la crise financière a pris une tout autre ampleur, et que le Gouvernement a annoncé qu'il réviserait à la baisse sa prévision de croissance pour 2009 ?
J'ai évoqué les garanties en faveur du secteur bancaire et les mesures « anti-crise » à propos du projet de loi de finances rectificative du 16 octobre 2008. Comptez-vous ouvrir des crédits supplémentaires pour 2009 sur le programme « Appels en garantie de l'État », afin de faire face à d'éventuelles défaillances ? Dans mon rapport, je montre l'extrême sensibilité de la dette publique à la recapitalisation du secteur bancaire. À combien évaluez-vous les effets des mesures en faveur du secteur bancaire sur la dette publique en 2008, en 2009 et au-delà ? Surtout, quels sont les effets sur les finances publiques des autres mesures anti-crise annoncées ces dernières semaines ? En particulier, si la Caisse des dépôts emprunte sur les marchés pour alimenter le « nouveau fonds stratégique d'investissement », cette opération sera-t-elle comptabilisée dans la dette publique ?
Quelles sont les perspectives d'évolution de la situation financière de la COFACE dans l'actuel contexte de crise économique, qui devrait voir se multiplier les défauts de paiement ? Compte tenu de la crise actuelle, est-il bien raisonnable d'avoir relevé le prélèvement de l'État de 2008 sur la trésorerie de la COFACE de plus de 500 millions d'euros, le portant à plus de 3 milliards d'euros ? Ne craignez vous pas une requalification par Eurostat de cette recette de l'État, comme en 2007, et donc une augmentation du déficit maastrichtien par rapport au déficit budgétaire pour 2008 ?
Enfin, pour la troisième année consécutive, les crédits votés pour 2008 sur le programme « Épargne » pour financer les primes d'État ont été nettement sous-évalués, d'environ 400 millions d'euros. Ajoutés aux reports de charges des années 2006 et 2007, soit 623 millions d'euros, l'insuffisance de crédits atteindra à la fin de cette année plus de 1 milliard d'euros. Cette situation est contraire à l'engagement du Gouvernement de lutter contre les « sous-dotations » chroniques. Elle expose de surcroît l'État au paiement d'intérêts de retard. Quel montant de crédits proposerez-vous d'ouvrir en collectif budgétaire de fin d'année pour faire face à cette situation ? Quand et comment seront définitivement apurées les dettes de l'État vis-à-vis du Crédit foncier de France ?