Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Alain Gest

Réunion du 11 février 2009 à 11h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Gest :

Cette communication n'a aucune visée scientifique – il existe pour cela d'excellents travaux, comme ceux menés actuellement par M. Claude Gatignol dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix technologiques et scientifiques. L'objectif est essentiellement de produire un document utile aux membres de notre commission en vue des débats qui auront lieu dans le cadre de la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. C'est la raison pour laquelle il nous est apparu tout d'abord nécessaire de rappeler quelques éléments de terminologie. En effet, de nombreux termes sont utilisés pour désigner les pesticides sans que ceux-ci recouvrent en réalité les mêmes notions. L'acception du terme « pesticides » est ainsi plus large que celle de produits phytopharmaceutiques qui désigne plus spécifiquement les utilisations végétales des pesticides, agricoles et non agricoles, comme dans les jardins ou les espaces verts des communes, et qui comprend : les herbicides, les fongicides, les insecticides et, chose moins connue, les rodonticides et les molluscicides. La notion de produits phytopharmaceutiques n'est elle-même pas synonyme de celle de produits phytosanitaires, de biocides ou encore de substances actives. Tous ces termes sont explicités dans le rapport.

Cette communication est ensuite l'occasion de produire un état des lieux de l'utilisation des pesticides en France. Signalons tout d'abord que si les quantités mises sur le marché tendent à diminuer, la France reste un grand pays consommateur de pesticides. La réduction des doses utilisées, notamment en agriculture, continue par ailleurs de susciter des divergences d'appréciation. Ainsi, si l'on se fie aux chiffres avancés par les professionnels réunis au sein de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), on serait passé entre 1999 et 2004 de 120 000 tonnes de pesticides vendues à 76 000 tonnes. Retenir l'année 1999 comme hypothèse de départ est néanmoins discutable dans la mesure où il s'agit de l'année précédant l'instauration de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Si on élargit l'analyse aux années 1990-2004, la baisse constatée reste cependant de l'ordre de 25 % sur la période. Mais la France reste aujourd'hui le troisième consommateur mondial de pesticides et le premier utilisateur en Europe. Ces pesticides sont utilisés à 90 % par l'agriculture, mais de manière très ciblée : en effet, 80 % des pesticides utilisés le sont sur moins de 40 % de la SAU. Cela représente en moyenne 4,3 kilogrammes de pesticides à l'hectare. Selon les industriels, la réduction de l'utilisation des pesticides se reflèteraient également dans la diminution de leur chiffre d'affaires, qui est effectivement passé de 1,79 milliard d'euros en 2004 à 1,721 milliards au cours de l'année civile 2006, d'après le rapport annuel de l'UIPP.

En ce qui concerne la présence de pesticides dans les milieux naturels, on notera tout d'abord, s'agissant des milieux aquatiques, que les substances actives recherchées par la dernière étude en date, qui remonte à décembre 2007, ont été quantifiées au moins une fois dans 91% des points de mesures des cours d'eau et dans 55% des points de mesure des nappes souterraines. Toutefois, la présence de ces substances ne signifie pas qu'elles ont un caractère dangereux : dans 10% des points d'observation seulement, les teneurs en pesticides observées peuvent affecter de manière importante les équilibres écologiques. Il convient donc de rester très prudent dans l'exploitation des données disponibles. Beaucoup de gens travaillent actuellement à la production de ces chiffres mais il reste difficile d'en tirer des conclusions indiscutables. Il n'en demeure pas moins que les derniers chiffres relatés par l'IFEN (Institut français de l'environnement) sont meilleurs que ceux de 2004.

Pour ce qui est de la présence de pesticides dans les eaux de consommation, l'Observatoire des résidus de pesticides, qui a mené une campagne d'envergure sur la période 2001-2003, indique que 99 % des mesures réalisées dans les eaux mises en distribution mettent en évidence une absence de pesticides ou une présence de pesticides à des teneurs inférieures à la limite de qualité. S'agissant de la présence de pesticides dans les denrées alimentaires, la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) dispose quant à elle de données fiables, exploitées sur longue durée et sur la base d'échantillons importants, qui mettent certes en évidence la présence de résidus de pesticides dans 25,5% des échantillons de fruits, légumes, céréales et produits transformés analysés mais à des teneurs très souvent inférieures aux LMR (limites maximales autorisées). Si certaines controverses, comme celles portant sur le raisin de table, ont pu naître sur la question de la mesure des teneurs en résidus de pesticides, on observe néanmoins que les chiffres avancés par les associations se situent dans le même ordre de grandeur que ceux produits par l'administration. Quant à la présence de pesticides dans l'air, force est de constater qu'il n'existe aucun instrument de mesure valable à l'heure actuelle.

La question des effets des pesticides sur la santé est le deuxième point abordé dans cette communication. D'après le rapport de référence de l'INRA (institut national de recherche agronomique) sur les pesticides, « des effets cancérigènes, neurotoxiques ou de type perturbateurs endocriniens des pesticides ont été mis en évidence chez l'animal. La question des risques pour l'homme est donc posée ». A cet égard, par le biais des travaux qu'elle a menés sur le chlordécone, la commission des affaires économiques a été le témoin privilégié des controverses qui existent en la matière. En effet, lors de son audition le 7 novembre 2007, le professeur Dominique Belpomme a reconnu que le rapport de l'association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse (ARTAC), dont il a été le principal rédacteur, souffrait de certaines erreurs résultant de données épidémiologiques défectueuses. Malheureusement, dans les dossiers mettant en jeu des questions de santé publique, les évaluations les plus alarmistes sont souvent celles qui reçoivent le plus important écho médiatique. A contrario, lors de son audition par les membres de la sous-commission, la présidente de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) a souligné l'extrême complexité de toute évaluation des effets des pesticides sur la santé.

Outre les études américaines dont nous disposons aujourd'hui et dont les résultats, relayés notamment par le journal Le Monde, font état d'une possible incidence sur le développement du cerveau du foetus et du jeune enfant ainsi que d'un risque élevé de cancers de la lymphe chez les agriculteurs, nous devrions prochainement avoir connaissance des conclusions d'une étude de très grande ampleur actuellement menée par la MSA (Mutualité sociale agricole), nommée Agrican. En effet, en tant qu'utilisateurs directs, les agriculteurs sont les sujets les plus exposés aux effets des pesticides, notamment ceux qui y ont eu recours sur la durée et qui les ont manipulé sans protection spécifique.

Il convient également de tenir compte de l'inquiétude de la population vis-à-vis des pesticides. Les enquêtes d'opinion montrent en effet que les Français se sentent de plus en plus concernés par l'utilisation des pesticides : ils sont ainsi 12% seulement à penser qu'on leur dit la vérité concernant les pesticides, et 14% ont confiance dans les autorités. A contrario, 63% des personnes interrogées classent les pesticides comme étant à l'origine de situations à niveau élevé ou très élevé de risque. Ces craintes ne semblent par ailleurs pas liées à une méconnaissance des produits en cause, dans la mesure où 50% des sondés donnent une définition juste du terme « pesticide ». Mais à la question « si des scientifiques indépendants vous disent qu'en dessous d'une certaine dose, des résidus de pesticides dans les aliments n'ont aucune incidence sur la santé, avez-vous tendance à les croire ou à ne pas les croire ? », 57% des sondés répondent qu'ils ne le croient pas.

Les pesticides sont cependant soumis à un cadre juridique contraignant, qui devrait en outre être renforcé à la suite du Grenelle de l'environnement. Plusieurs directives communautaires sont ainsi intervenues depuis les années 1970 fixant notamment des listes de produits non autorisés, imposant la délivrance d'autorisations de mise sur le marché soumise à des conditions strictes d'efficacité des produits et d'utilisation conforme aux bonnes pratiques et à l'absence d'effets nocifs ou encore soumettant toute modification dans la composition d'un produit homologué au dépôt d'une nouvelle demande d'homologation.

Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, notre dispositif national devrait évoluer, notamment avec la mise en oeuvre du plan Ecophyto 2018, plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides. Ce plan comporte deux volets : tout d'abord, est prévue la suppression progressive des 53 molécules les plus dangereuses, avec dans un premier temps le retrait des autorisations de mise sur le marché de 30 substances, entrant dans la composition de plus de 1500 préparations commerciales, considérées comme les plus préoccupantes, conformément aux annonces du ministre de l'agriculture et de la pêche en date du 1er février 2008 ; ensuite, la réduction de 50% de l'usage des pesticides dans la mesure du possible dans un délai inférieur à 10 ans est programmée. Afin d'assurer la mise en oeuvre de ce plan, le ministre a chargé M. Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture, de constituer un comité opérationnel chargé de formuler des propositions concrètes ; celles-ci devraient être connues dans les semaines qui viennent.

Parallèlement, le cadre communautaire régissant les pesticides est en train d'évoluer dans un sens plus restrictif. Non seulement plusieurs pays européens se sont engagés, comme la France, dans des programmes chiffrés de réduction d'utilisation des pesticides, mais sur le plan législatif, la Commission a proposé d'adopter un nouveau règlement concernant la mise sur le marché des produits phytosanitaires ainsi qu'une nouvelle directive-cadre relative à l'utilisation durable des pesticides. Ces deux actes ont fait l'objet d'une adoption par le Parlement européen le 13 janvier 2009.

Pour en revenir aux débats qui ont eu lieu dans le cadre du Grenelle de l'environnement, je rappellerais les deux engagements principaux ont été pris :

– supprimer ou restreindre au maximum l'emploi des substances extrêmement préoccupantes au sens du règlement REACH dans les produits phytosanitaires ;

– supprimer les produits phytosanitaires les plus préoccupants et réduire de moitié d'ici fin 2012 l'utilisation des produits pour lesquels il n'existe pas de substitution tout en accélérant la recherche et la diffusion des méthodes alternatives.

Devraient en outre contribuer à la réalisation de l'objectif de réduction de l'utilisation des pesticides, les engagements pris en faveur de la structuration de la filière biologique et de l'augmentation de la surface agricole utile cultivée en mode biologique, tels qu'ils résultent notamment de l'article 28 du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

Sur la base de ce constat, la sous-commission souhaite formuler un certain nombre de recommandations en vue des débats qui ne manqueront pas d'avoir lieu dans les mois qui viennent. Tout d'abord, s'agissant des effets des pesticides sur la santé, une amélioration de la connaissance scientifique en la matière paraît indispensable. Interviennent aujourd'hui dans la production et l'interprétation des données en la matière, non seulement l'AFSSET, dont l'objet est déjà de coordonner une vingtaine d'organismes différents, mais également l'AFSSA (agence française de sécurité sanitaire des aliments) et, dans une moindre mesure, l'INRS (institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles). Une meilleure connaissance passe donc, selon nous, par l'attribution de la question des pesticides à un seul opérateur. Par ailleurs, un réel rapprochement devrait s'opérer entre les différentes équipes de recherche, françaises et européennes, qui travaillent sur le sujet.

La deuxième recommandation, qui représente davantage que la précédente le point de vue des professionnels, repose sur le constat que l'objectif de réduction de 50% peut être atteint, à conditions que sa mise en oeuvre respecte quelques principes de bon sens. J'ai été surpris de l'état d'esprit constructif des professionnels sur ce sujet, notamment des coopérateurs, même si ceux-ci soulignent le surcoût que la réduction des intrants va occasionner, et insistent sur la nécessité de ne pas retirer de produits pour lesquels il n'existe pas de solution de substitution.

Ainsi, chacun a pu noter la récente campagne des producteurs de fruits et légumes soulignant le fait que l'augmentation des coûts liés à la suppression de certains pesticides, de l'ordre de 30%, par exemple, pour la mâche, pourrait entraîner l'abandon de certaines cultures.

En outre, plusieurs professionnels émettent de fortes réserves s'agissant de la mise en oeuvre de cet objectif de réduction par le biais d'un soutien exagéré à la filière biologique ; en affichant dans ce domaine des objectifs excessivement élevés, le Grenelle de l'environnement pose aux députés un problème sur lequel ils devront prendre position.

La troisième recommandation concerne la compatibilité des objectifs de réduction des intrants avec la sécurité alimentaire.

Une saine utilisation des pesticides est nécessaire à la productivité agricole. Comme le rappelle l'UIPP, près de 41 nouveaux insectes ravageurs ont été introduits en France entre 2000 et 2005 à cause du réchauffement climatique. Or la population mondiale devrait atteindre les 9 milliards de personnes en 2050, avec une production évoluant moins vite que la demande. Comment résoudre l'équation d'une moindre utilisation de produits permettant d'accroître la production, accompagnée d'une réduction des alternatives à l'utilisation de ces produits ?

La quatrième recommandation repose sur le constat que la France ne saurait avancer seule dans le domaine des phytosanitaires sans concertation avec ses partenaires européens.

Un reportage télévisuel récent a démontré l'impossibilité de se procurer certains produits en France, et la facilité à les acheter une fois de l'autre côté de la frontière. Selon les informations transmises par l'UIPP, sur les 30 substances dont le retrait est acté dans le cadre du plan Ecophyto 2018, 7 sont autorisées en application de la directive européenne de 1991. Dans les 23 qui restent à retirer dans le courant de l'année 2009, 19 sont inscrites à l'annexe I de cette même directive.

Il semble donc fondamental de ne pas retirer unilatéralement ces substances sans concertation avec nos partenaires européens, notamment les pays limitrophes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion