Si dire la vérité revient à être « politiquement correct », monsieur Myard, je plaide coupable. La vérité est que l'euro a été la meilleure protection contre la crise ; la vérité est également que, grâce à l'euro, les écarts de taux d'intérêt avec l'Allemagne restent limités, alors que nous nous trouvons dans des situations économiques et budgétaires très différentes. Où en serait la France aujourd'hui si sa monnaie était le franc, et non l'euro ?
J'ajoute que la sortie de l'euro se solderait par une explosion des taux d'intérêt. Si leur niveau reste acceptable, c'est grâce au maintien de notre crédibilité. Or, celle-ci disparaîtrait en cas de sortie de l'euro. Le niveau de la dette restant inchangé, comment rembourser la dette ? Il risque d'en résulter un défaut de paiement.
Je suis en revanche d'accord avec vous sur la nécessité d'une politique industrielle européenne. Il reste à savoir par où commencer. Je pense que nous devrons tout d'abord coordonner la prise de décision et réfléchir aux questions de fiscalité, qui demeurent malheureusement taboues. Il faudra ensuite reconnaître que la concurrence ne saurait constituer l'alpha et l'oméga de la politique économique européenne : nous avons besoin de solidarité.
S'agissant des négociations commerciales multilatérales, nous avons également besoin d'aboutir. Il reste que nos partenaires n'y sont pas nécessairement disposés et qu'un accord n'est concevable que s'il est équilibré. Autant des mesures protectionnistes à l'encontre de nos partenaires européens me semblent injustifiées, autant il me semble normal de défendre les intérêts européens en faisant preuve de moins de naïveté. Ce n'est pas là du protectionnisme. La Corée peut exporter plus de 200 000 véhicules par an en Europe, tandis que nous devons nous contenter de lui en vendre 20 000, ce qui pose tout de même un problème. Il faut que l'Europe apprenne à se défendre.
A l'occasion de chacun de mes déplacements à Strasbourg – qui sont innombrables, Monsieur Schneider –, je n'ai pas cessé d'insister sur le caractère européen de cette ville. J'ajoute que nous devrons non seulement défendre les institutions qui s'y trouvent, et d'abord le Parlement européen, mais également faire preuve d'imagination : il me semble que la présence de la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas assez valorisée, alors qu'elle a permis la constitution d'un espace judiciaire européen commun, reposant sur une protection identique des droits de l'homme. Voilà qui devrait nous permettre de faire de Strasbourg la capitale du droit en Europe.
J'en viens à la question de l'hétérogénéité de l'Union : on attend trop souvent de l'Europe qu'elle soit capable de se comporter à l'image d'un continent uni depuis trois siècles, comme si elle pouvait prendre des décisions semblables à celles qu'adoptent les Etats-Unis, le Japon ou la Chine en matière de politique économique, monétaire ou sociale. Or, il ne faudrait pas oublier que l'Europe est un ensemble politique en mouvement, qui a dû absorber la chute du mur de Berlin et la réunification européenne. Ajoutons à cela qu'elle accueille depuis cinq ans des pays dont le niveau de développement économique est sensiblement différent. Comment peut-on lui demander d'adopter les mêmes décisions qu'un État-nation uni depuis des décennies ? Il faut se souvenir des difficultés de notre histoire. Dans ces conditions, nous n'avons pas à rougir des résultats obtenus : nous sommes déjà capables de définir des positions communes en matière de commerce international, de finance, de monnaie et de stabilité industrielle avec des pays qui étaient sous le joug soviétique voilà quelques années.
Il faut naturellement aller plus loin, et je note à cet égard que de véritables avancées sont intervenues dans la relation franco-allemande depuis quelques semaines. Je pense notamment à l'accord entre M. Steinbrück et Mme Lagarde au sujet du taux de TVA applicable à la restauration. Si nous avons obtenu cet effort considérable de la part de l'Allemagne, c'est grâce à la ténacité dont nous avons su faire preuve. Avec nos partenaires allemands, il faut mener un travail approfondi, régulier et prévisible : il faut poser les problèmes sur la table et ne prendre personne par surprise. Quand nous le faisons, il est possible d'avancer.
S'agissant de la réforme du FMI, je rappelle que la France a puissamment contribué, en 2007, à un premier rééquilibrage des droits de vote en faveur des pays émergents, dont le poids politique ne correspond pas encore à leur stature économique. La France plaide aujourd'hui en faveur d'un doublement des ressources du FMI, afin de renforcer les capacités d'intervention en cas de crise, ainsi qu'en faveur d'un rééquilibrage global de la gouvernance, sans minoration excessive du poids de l'Europe par rapport à sa puissance économique.
Pour ce qui est de la relance, il faut veiller à établir des comparaisons raisonnables. Si l'on ajoute aux plans de relance des pays européens les effets des stabilisateurs automatiques, le volume de notre effort ne s'élève plus à 2% mais à 3,5, voire 4 % du PIB. D'autre part, on ne peut pas nous reprocher de ne pas consacrer assez d'efforts à la relance, en excluant du compte l'impact des stabilisateurs automatiques, qui constituent le socle de nos politiques sociales et représentent un coût considérable pour les finances publiques, et dans le même temps les prendre en considération pour nous accuser de dégrader l'état de nos finances publiques. Il faut être cohérent.
De même les crédits consacrés par États-Unis au sauvetage des banques s'élèvent 6 ou 7 % de leur PIB, quand l'effort total de relance ne dépasse pas 10 %. Si nous n'en sommes pas là, c'est que nous avons été plus raisonnables. On ne peut pas nous reprocher de ne pas dépenser autant que ce pays en faveur de la relance, car les situations ne sont pas comparables : si nous consacrons un moindre effort au sauvetage des institutions financières et bancaires, c'est parce qu'elles ont été plus vertueuses sur notre continent. Veillons donc bien à comparer ce qui est comparable.
On reproche toujours à l'Europe de ne pas en faire assez, de ne pas être à la hauteur. Or, nous sommes pour le moment les seuls à présenter des solutions en matière de régulation financière, et nous n'avons pas à avoir honte de notre effort de relance, qui est responsable et va dans le sens de l'innovation et de la recherche. Il nous permettra de sortir de la crise en meilleure position qu'auparavant. Nous devrons encore bâtir une politique économique et industrielle européenne, tout en favorisant l'innovation, mais nous avons déjà pris des décisions positives en ce sens.
Quant à l'Union pour la Méditerranée, le conflit du Proche-Orient est aujourd'hui un frein. Cela étant, je rappelle que la composition du Conseil de l'UPM résulte d'un choix politique du Président de la République, qui a très courageusement souhaité l'association de Palestiniens et de représentants de l'État d'Israël. Il en résulte que ce Conseil a du mal à se réunir chaque fois que se produit une crise majeure. Pour donner vie à ce projet, qui est essentiel pour les relations entre l'Union européenne et les pays riverains de la Méditerranée, nous pourrons nous appuyer sur des projets très concrets (concernant notamment l'énergie solaire), pour lesquels des fonds sont déjà disponibles.
En réponse à Mme Girardin, je répète qu'il faut comparer ce qui est comparable, et que nous avons fait le choix d'une relance par l'investissement. J'ajoute que nous devons prêter la plus grande attention à notre niveau de déficit et d'endettement : les déficits atteindront en 2009 100 milliards d'euros, ce qui nous placera très vite face à la question de savoir comment absorber la dette qui en résultera. Je pense que nous parviendrons à nous en sortir grâce à l'innovation, mais il faudra également veiller à préserver notre crédibilité en matière de finances publiques vis-à-vis de nos partenaires allemands. C'est une exigence à laquelle nous devrons satisfaire si nous voulons obtenir des avancées sur certains sujets faisant encore l'objet de réticences en Allemagne, notamment la coordination économique.
Enfin, la réunion du G20 le 2 avril sera effectivement une échéance majeure, en vue de laquelle nous aurons besoin d'une position commune au plan européen. En matière financière plus qu'ailleurs encore, le diable réside dans les détails. C'est pourquoi nous ne nous contenterons pas de simples déclarations de principe : nous voulons des décisions concrètes en ce qui concerne les hedge funds, les paradis fiscaux et la supervision bancaire. Faute de quoi, nos concitoyens nous reprocheront de ne pas avoir tiré les leçons de la crise financière sans précédent que nous traversons. Produire du vent ne suffira pas. Pour ma part, j'ai bon espoir que l'Europe arrive en ordre uni au G20 même si nous devrons attendre que le dialogue interinstitutionnel soit parvenu à son terme aux Etats-Unis avant de connaître la position américaine.