Je n'ai jamais fait des malheurs de l'Europe le fondement de mes espérances. Cette crise n'étant pas nationale, j'ajoute bien volontiers que nous devrons jouer la carte de la coopération au niveau européen et mondial.
Toutefois, il ne faut pas confondre la coordination avec l'application de principes décalés et intégristes. Or, nous sommes aujourd'hui confrontés à un choc asymétrique de la zone euro, que nous redoutions depuis longtemps sur la foi de la théorie de la « zone économique optimale » et des études conduites par Milton Friedman. Nul ne pouvait ignorer les dangers auxquels expose une monnaie partagée par des économies divergentes.
Dans ces conditions, comment peut-on maintenant suggérer de faire entrer dans la zone euro de nouveaux pays – en pleine décrépitude économique ? Chacun sait que plusieurs États-membres risquent déjà de sortir de l'euro. Au lieu de répéter à nouveau que « nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemands », et de nous réfugier dans le « politiquement correct », regardons les choses en face.
J'entends bien que l'Allemagne réalise 150 de ses 200 milliards d'euros d'excédents commerciaux avec le reste de l'Europe, mais il ne faut pas oublier l'héritage laissé par un siècle de complexe militaro-industriel : l'Allemagne est aujourd'hui sans concurrent en matière de chimie lourde et de métallurgie. D'autre part, ce pays a vieilli et ne nous achète plus rien. C'est pourquoi il a joué depuis 1992 la carte des pays émergents, notamment les BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine.
J'ignore si l'euro sortira vivant de cette crise, mais on sait très bien que la Grèce et l'Espagne, et même le Portugal, sont en train d'être étranglés. Il en résultera une « Union de transferts » : nous paierons pour ces pays dans un premier temps, mais cela ne saurait durer, car l'Allemagne s'y refusera ! Quand on sait à quel point les négociations budgétaires sont déjà difficiles, il faut admettre qu'il n'y aura jamais de budget européen permettant de pallier les problèmes structurels qui affectent aujourd'hui certains pays.
En outre, nous n'échapperons pas à une remise à plat du modèle économique du « tout concurrence », même si vous semblez faire l'impasse sur la nécessité d'instaurer une véritable politique industrielle. Il faudra bien sûr consacrer au moins 3 % du PIB à la recherche et à l'innovation, mais cela ne nous sauvegardera pas contre les déficits et l'inflation. Cessons de nous leurrer.
Une autre conséquence est que nous avons besoin de règles en matière d'emploi. Il faudra sans doute attendre longtemps avant de parvenir à instaurer une politique sociale au niveau européen, mais on peut très facilement rétablir dès maintenant une saine concurrence en assujettissant les entreprises polonaises opérant en France aux taux de cotisation français. Pour cela, il suffit de renverser les règles illogiques dont le principe de libre prestation des services est aujourd'hui assorti. Si nous n'en revenons pas aux règles de base, tout éclatera et vous risquez d'affronter des mouvements sociaux très durs.
Pour toutes ces raisons, j'appelle de mes voeux une véritable remise à plat de l'Union européenne. Je le répète : nous avons besoin de coopération, mais pas d'intégrisme.