Vous comprendrez que, tout en ne tenant pas devant vous un discours très différent de celui que j'ai tenu hier après-midi devant vos collègues sénateurs, je souhaite réitérer quelques idées qui me semblent fondamentales pour l'avenir de Radio France, si vous m'accordez votre confiance.
Je suis le premier à expérimenter les effets de la loi sur la réforme de l'audiovisuel public en ce qui concerne la nomination des présidents des sociétés nationales de programme. Tout en gardant le silence pour réserver mes propos au Conseil supérieur de l'audiovisuel et à la représentation nationale, j'ai noté ici et là de la curiosité, sinon de la suspicion. C'est pourquoi je me suis senti autorisé, hier, devant les sénateurs, à donner quelques indications sur la conversation que j'ai eue avec le Président de la République lorsqu'il m'a proposé de me désigner à ce poste. Il m'a dit qu'il souhaitait un journaliste, un professionnel de la radio et un homme passionné par la radio et par le service public. Au cours de cet entretien, il a constaté que nous ne nous connaissions pas, ce que je confirme, car je n'ai jamais entretenu avec les politiques que des relations professionnelles, quelles que soient les sympathies qui ont pu naître ici et là. Le Président de la République ne m'a pas demandé comment j'avais voté et j'ai apprécié cette courtoisie. Il m'a fait savoir solennellement qu'il ne me demanderait jamais rien qui puisse heurter ma conscience ou mes convictions. Ce disant, je pense qu'il ne faisait pas référence à mes préférences personnelles de citoyen mais à l'exercice de mon mandat et aux convictions qu'elles supposent, dont je souhaite vous faire part brièvement.
J'aspire à devenir président de Radio France parce que j'ai, comme les Français, une haute idée du service public, garant de l'égalité de traitement pour tous, garant de la continuité de ce service, garant d'un développement au service de la société toute entière, dans son pluralisme et dans sa diversité. C'est une institution qu'il est fondamental de défendre en permanence. Les antennes du service public appartiennent à tous les Français, qu'ils soient de gauche, de droite ou d'ailleurs, athées ou religieux, jeunes ou âgés, puissants ou misérables. Elles constituent un lien démocratique dont nous avons grand besoin, particulièrement lorsque notre pays connaît, comme maintenant, des moments difficiles.
Radio France est une institution de la République et, en ce domaine, la République, c'est d'abord l'accès de tous à une information complète, sérieuse, pluraliste et de qualité. L'information irrigue la démocratie, en ce qu'elle permet au citoyen de faire des choix solidement étayés, si elle est sûre et vérifiée. C'est mon métier depuis bientôt quarante ans, et ce métier s'honorerait qu'incombe à un journaliste la mission de conduire les antennes de la radio publique.
Au risque de me répéter, mais ces choses vont mieux les disant, je pense aussi que la République, c'est l'accès du plus grand nombre à la culture, dans le respect de chacun.
Radio France est dans le champ de la concurrence, ce qui, selon moi, est une bonne chose, mais la compétition est rude. Plus que jamais, le service public doit faire entendre sa différence, qui est d'ailleurs un atout dans la compétition.
Je vous dois, dans ce court exposé, un aperçu de ma vision pour Radio France. J'aborderai quatre chapitres : les antennes ; la refonte de la convention collective de Radio France ; les travaux de réhabilitation de la Maison de la Radio ; les nouvelles technologies.
Radio France, c'est la diversité, la spécificité et la complémentarité des missions, donc des antennes. Selon le dernier sondage Médiamétrie, le groupe se porte plutôt bien, même s'il a connu de meilleurs résultats au début des années 2000. Radio France, ce sont sept antennes et aussi quatre formations musicales de très grande qualité. Le groupe est un des principaux employeurs de musiciens, mais aussi de comédiens, du pays : il compte plus de 600 journalistes ainsi que près de 400 musiciens professionnels.
Le paysage radiophonique change par le biais des technologies nouvelles et par les nouvelles habitudes de consommation qu'elles induisent auprès des auditeurs, les jeunes particulièrement. Il faut s'en réjouir et, de toute façon, la convergence des médias ne fera que se renforcer.
Devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, j'ai dit que l'une de mes priorités serait le contenu des antennes, car j'ai tendance à penser que des tuyaux sans contenu ne servent pas à grand-chose. Je pense que l'on peut constamment améliorer les antennes et qu'il n'y a pas de fatalité à l'érosion de l'audience, pour aucune des antennes de Radio France.
France Inter tient son rang mais elle a connu des jours meilleurs en termes d'audience, puisqu'elle atteignait 11,8 % d'audience en 2003 contre 10,2 aujourd'hui. Il faut donc redresser la pente, et le faire avec doigté car cette antenne est surveillée comme le lait sur le feu par des auditeurs réellement fusionnels. Je le redis, étant donné le bon état de santé du marché global de la radio, l'érosion de l'audience n'est pas une fatalité.
France Info est touchée de plein fouet par la concurrence des autres radios, de la télévision et de l'internet et, après vingt-deux ans de succès, le temps est venu de quelques modifications dont il faudra parler avec la direction de l'antenne et ses équipes, qu'il s'agisse des séquences, que l'on peut imaginer autres pour éviter une certaine répétitivité, ou de l'habillage. Sur le fond, on doit chercher à privilégier le direct et l'analyse. Les équipes sont très compétentes et ont montré qu'elles savent s'adapter. Tout est donc question de dialogue.
France Bleu, réseau formidablement moderne auquel je tire mon chapeau, se consacre fortement à sa mission, l'ancrage local. L'antenne a, en dix ans, conquis de fortes parts de marché. Tous ceux qui, comme moi, l'écoutent quand ils sont en province savent la mobilisation des personnels en cas de catastrophe naturelle et de crises locales. Cette antenne peut faire davantage encore pour accompagner les auditeurs en temps de crise, ses équipes en sont convaincues. Il faudrait donc peut-être libérer des initiatives au niveau local en centralisant moins les décisions ; le débat doit avoir lieu à ce sujet aussi. Il faut d'autre part remédier aux trous de la couverture. Ainsi, à ce jour, la couverture de la région Midi-Pyrénées, région la plus étendue de France, fait cruellement défaut. Les contraintes budgétaires sont celles que l'on sait, mais les progrès technologiques doivent aussi servir à progresser en ce domaine et il faut parvenir à élargir le public soit par la modulation de fréquence (FM) soit en utilisant les plates-formes numériques.
De France Culture je n'ai presque rien à dire, ce qui est un compliment, sinon qu'elle se porte bien et poursuit ses missions avec vitalité et imagination, sans rien perdre de ses ambitions intellectuelles, et qu'elle doit continuer à s'ouvrir à de nouveaux publics et à se rendre accessible, constamment.
France Musique a des atouts inestimables : ses personnels, sa culture et, surtout, les formations musicales de Radio France. À nous de faire progresser l'ensemble face à une concurrence très active et très dynamique, j'en sais quelque chose, notamment en exposant davantage nos orchestres, qui sont d'un très haut niveau, sur France Musique et sur d'autres antennes du groupe. Nous devons profiter de ce que toutes les pratiques musicales se développent en France et qu'une nouvelle génération se lève de musiciens classiques tout de talent, de générosité et de fantaisie. La demande est très forte, et les idées ne me manquent pas, que je mettrai en oeuvre si vous m'accordez votre confiance.
J'ai vu naître Le Mouv' sous la présidence de M. Boyon. C'était une très belle idée de service public, car on ne peut laisser une foule de jeunes hors de la communauté radiophonique nationale. Toutefois, en dépit de l'élargissement des bassins de diffusion, l'audience, telle que mesurée dans les sondages, ne suit pas. Cette situation est anormale. Le Mouv' doit sortir d'un certain ghetto et s'adresser à une communauté de jeunes gens qui éprouvent maintes difficultés, qui s'interrogent sur l'époque et qui ont besoin qu'on les aide à trouver des réponses. On ne peut laisser ce chantier en l'état, ni ces moins de 24 ans à la concurrence des radios privées. Il faudra donc probablement revoir le format de l'information diffusée et développer l'éveil politique de ces jeunes sur les ondes du Mouv'.
De FIP, où j'ai commencé ma carrière radiophonique le 8 mars 1972, je pense beaucoup de bien. Cela dit, il faut être cohérent : si c'est un bijou, il faut trouver les moyens de mieux diffuser cette radio, soit en FM, soit en numérique.
J'en viens aux relations sociales au sein de l'entreprise. Le groupe Radio France emploie près de 4 500 personnes qui nourrissent des dizaines de milliers d'heures de programme. Tout est produit par la maison et la masse salariale représente près de 60 % du budget. Chacun le sait, le nouveau président sera confronté d'entrée à un chantier très important et indispensable : l'élaboration d'une nouvelle convention collective du fait que France Télévisions s'est retiré de l'association des employeurs de l'audiovisuel public. Par ailleurs, les textes régissant la vie de Radio France, vieux de 25 ans puisqu'ils datent de mars 1984, ne correspondent plus à l'évolution de nos métiers. Je n'ai pas choisi cet emploi du temps, mais je pense qu'au fond les esprits sont mûrs pour aborder la négociation. Cela dit, je comprends parfaitement les inquiétudes du personnel qui peut légitimement redouter la remise en cause de ses acquis. Je l'ai dit, je suis convaincu que cette renégociation peut être une chance pour l'entreprise et pour les salariés.
J'ai le sentiment que le niveau de dialogue social au sein de Radio France est plutôt de bonne qualité. Plusieurs parlementaires ont insisté, ces dernières années, sur la nécessaire modernisation de la convention collective. Mon premier geste, si j'étais désigné à la tête du groupe, serait évidemment de rencontrer les organisations syndicales pour fixer avec elles un calendrier de discussion.
La réhabilitation de la « Maison ronde » est, comme tout dossier de cette ampleur, un dossier à risque. Il ne s'agit de rien moins que de sécurité, de l'activité de Radio France et des deniers publics. Ces travaux sont nécessaires pour les salariés, pour l'accueil du public et pour la fonctionnalité de la radio future. L'an dernier, le rapporteur spécial du Sénat, M. Claude Belot, a critiqué la conduite des opérations, pointant notamment des surcoûts. Le budget, m'a-t-on dit, a été revu à la baisse, mais je n'ai pas eu accès au dossier. Quoi qu'il en soit, la vigilance s'impose.
J'en viens enfin aux nouvelles technologies, qui nous offrent d'incroyables possibilités nouvelles. Bien sûr, la radio change dans sa production, dans sa diffusion et dans ses modes de consommation. L'internet et le numérique permettent de réfléchir différemment ; là est évidemment l'avenir du groupe, et c'est un volet sur lequel les équipes de Radio France travaillent d'arrache-pied. L'internet a déjà introduit une relation totalement différente entre le diffuseur et l'auditeur et c'est un outil très précieux d'évaluation de la qualité des contacts. L'équipe multimédia de Radio France estime les podcasts à 80 millions par an, ce qui est considérable. La production numérique est entrée dans les moeurs des équipes de la société depuis plusieurs années ; il y a cinq ans, j'avais d'ailleurs saisi 1'occasion du déménagement de France Inter pour obtenir la numérisation complète des moyens de production de l'antenne.
Le destin de Radio France passe évidemment par la diffusion numérique terrestre. Actuellement, les programmes sont essentiellement diffusés par la voie analogique et les fréquences sont rares. La radio numérique terrestre – la RNT – représente donc une occasion idéale, tant pour la qualité du son que pour la couverture et pour la possibilité qu'elle donne d'enrichir les programmes par des données associées. De plus, à terme, la RNT signifie la baisse de nos coûts de diffusion – mais j'insiste sur le fait que ce ne sera qu'à terme car pendant la période de coexistence des deux modes de diffusion, les coûts seront plus importants. Dans tous les cas, cette technologie permettra de lancer des initiatives radiophoniques nouvelles.
Telle est ma vision, condensée à l'extrême, pour Radio France. Elle suppose une forte mobilisation des personnels pour améliorer encore la qualité des contenus et la prise en compte des nouvelles technologies.