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Intervention de Patrice Calméjane

Réunion du 17 juin 2009 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Calméjane, rapporteur :

Ce projet revêt une importance capitale : pour la première fois depuis quarante ans, les victimes des essais nucléaires français vont bénéficier d'une reconnaissance et avoir un droit à réparation. Avant d'insister sur les points les plus importants du texte, je veux rendre hommage au travail mené par les associations, les scientifiques, les parlementaires et le Médiateur de la République sur ce dossier. Malgré des délais très courts, j'ai tenu à les rencontrer pour débattre de tous les enjeux et pour recueillir leurs avis. La plupart des amendements que je vous proposerai sont inspirés de leurs demandes. Je me réjouis de la qualité du dialogue de ces derniers mois et je souhaite qu'il en aille de même pour le suivi de l'application de la loi.

Ce projet a pour objet de reconnaître à toutes les personnes souffrant d'une maladie à la suite d'une exposition à des rayonnements issus des essais nucléaires français un droit à une réparation intégrale de leur préjudice. Il concerne les personnels civils, les militaires, mais aussi les populations civiles.

Comme vous le savez, le système actuel est déséquilibré et, souvent, les demandes d'indemnisation n'aboutissent pas. Les demandeurs peinent en effet à apporter la preuve formelle d'un lien de causalité entre la maladie et les essais. Les scientifiques que j'ai pu rencontrer m'ont bien précisé que les rayonnements ionisants ne laissent aucune trace dans l'organisme. Dès lors, il devient impossible d'établir avec certitude l'origine de la pathologie.

Pour éviter ce problème, le projet met en place une quasi-présomption de causalité. Pour pouvoir être indemnisé, le demandeur devra apporter trois éléments de preuve.

Tout d'abord, il devra souffrir d'une pathologie radio-induite. La liste des maladies sera fixée par un décret en Conseil d'État. Elle reprendra scrupuleusement la liste de l'office des Nations Unies, 1'UNSCEAR, mais la voie du décret permettra de l'adapter à l'évolution des données scientifiques. Il me semble toutefois préférable d'inscrire dans la loi ce caractère évolutif ; je vous proposerai un amendement en ce sens.

Ensuite, la personne devra justifier d'un séjour ou d'une résidence dans une zone concernée par les essais nucléaires, qu'il s'agisse du lieu même d'une explosion ou des territoires contaminés par les retombées d'essais atmosphériques ou par les fuites d'essais souterrains. La délimitation des zones sera précisée par un décret en Conseil d'État. À ma demande, le Gouvernement a accepté de corriger un oubli en ajoutant à la liste figurant à l'article 2 l'atoll de Hao et une partie de l'île de Tahiti.

Enfin, le séjour ou la résidence doivent avoir eu lieu au moment des essais ou lors des retombées. Les périodes retenues sont volontairement larges. Le Gouvernement a par exemple choisi de couvrir une période de cinq ans après l'essai de Béryl. Ce délai me semble suffisamment protecteur.

Aucun seuil n'est donc requis, et le régime de preuve est beaucoup moins contraignant que les dispositifs actuels. Pour autant, le projet n'a pas pour objectif d'indemniser toutes les personnes souffrant d'un cancer. Si la maladie peut être imputée à une autre cause, comme l'exposition à des rayonnements médicaux anormalement élevés, le demandeur pourra voir son dossier rejeté.

S'agissant de la procédure, le texte crée un comité d'indemnisation réunissant des experts médicaux et des juristes. Il lui appartiendra d'instruire les demandes et de vérifier que les trois conditions sont bien remplies, en s'assurant que la maladie n'est pas liée à une autre cause que les essais nucléaires. Le comité pourra faire appel à toutes les expertises nécessaires et requérir tous les services compétents. Il convient que ses membres aient accès aux informations classifiées ; je vous propose donc qu'ils soient habilités à en connaître, mais il n'y a pas lieu de créer une nouvelle dérogation légale. Il m'a également semblé nécessaire que le comité respecte le principe du contradictoire dans son examen des dossiers : les demandeurs doivent pouvoir formuler des observations ou critiquer les expertises ou les éléments fondant sa recommandation.

Le comité n'ayant pas de personnalité juridique, il ne peut pas prendre lui-même les décisions, sauf à s'ériger en juridiction. C'est bien au ministre qu'il revient de faire une offre d'indemnisation ou de rejeter la demande. Pour garantir les droits des demandeurs, je vous propose que la recommandation du comité soit obligatoirement jointe à la notification de la décision. Au cas où le ministre s'en serait écarté, le demandeur pourra éventuellement l'utiliser à l'appui d'un contentieux.

Afin d'encadrer les délais d'indemnisation, je vous propose de donner quatre mois au comité pour instruire les dossiers et deux mois au ministre pour prendre sa décision. Compte tenu de l'afflux initial des demandes, il me paraît également opportun de porter le délai d'instruction à huit mois la première année.

Le contentieux relève du droit commun, c'est-à-dire du juge administratif puisqu'il s'agit d'une décision du ministre. Je suis cependant sensible à l'argument de la proximité des juridictions ; nombre de demandeurs étant polynésiens, il leur sera difficile de suivre leur affaire si elle relève d'un tribunal parisien. Toutefois, il faudrait préserver une unité de jurisprudence sans devoir attendre les décisions de cassation. Cette réflexion doit être menée en étroite concertation avec les juridictions compétentes. Je crois, monsieur le ministre, que vos services travaillent sur ce sujet et que le décret d'application précisera les modalités de recours.

En ce qui concerne les aspects financiers, les indemnisations seront directement financées par le budget du ministère de la défense, sur les crédits des pensions, donc hors de l'enveloppe de la loi de programmation militaire. La création d'un compte d'affectation spéciale permettrait cependant de gagner en lisibilité et en souplesse. Pourriez-vous, monsieur le ministre, envisager cette solution dans le cadre de la prochaine loi de finances ?

J'en viens enfin au suivi de l'application de la loi. Je suis convaincu qu'il faut continuer à entretenir un dialogue constructif avec tous les acteurs, qu'il s'agisse des associations, des scientifiques, des élus ou des services de l'État. Je vous propose donc de les rassembler au sein d'une commission de suivi, qui serait consultée sur toute évolution de la liste des maladies et qui aurait une activité de veille au profit du Gouvernement et du Parlement, auxquels elle pourrait adresser des recommandations. C'est là une demande légitime des victimes que je souhaite satisfaire.

Équilibré et équitable, ce texte consacre un droit et une responsabilité que la France avait trop longtemps niés et ouvre la voie à de légitimes réparations. Je vous invite donc à l'adopter, modifié par les amendements que je vous proposerai.

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