Au-delà des mesures ponctuelles qui pourraient résulter du Grenelle de l'environnement, vous affirmez – et j'en suis tout à fait d'accord – qu'il s'agit d'un problème de civilisation, auquel vous avez du reste consacré plusieurs ouvrages. Or la question d'un changement de civilisation n'est nullement posée dans les comptes rendus des groupes de travail ou dans le cadrage de la table ronde finale qui se tiendra les 24 et 25 octobre. La teneur de ces documents est assez pragmatique, voire assez petite du point de vue de la volonté politique et de l'horizon que l'on se fixe.
On assiste à un intense battage médiatique et à une mobilisation citoyenne des acteurs – collectivités, entreprises, ONG, associations, syndicats, État… On suscite de grands espoirs. La médiatisation d'Al Gore, dont le nom a été évoqué pour le prix Nobel de la paix, et de Nicolas Hulot est considérable. Or il est à craindre que cette montagne médiatique, qui est aussi une montagne de bonne volonté, n'accouche d'une souris législative ou politique. On n'aboutira certainement pas à un changement de civilisation. Reste à savoir comment le Gouvernement et le Président de la République, personnellement impliqué puisqu'il conduira la table ronde finale, géreront la déception.
L'histoire nous montre qu'un changement de civilisation n'est pas un processus rapide. L'aspiration à un changement contraste donc singulièrement avec les urgences écologiques qui se présentent à nous. On peut décréter que l'homme est bon et que les difficultés seront résolues par la raison et par la discussion rationnelle au sein d'instances de gouvernance internationale, mais je n'y crois pas un instant ! Nous nous trouvons pris dans une contradiction redoutable entre la rapidité du changement dont nous sommes nous-mêmes la cause et l'inertie temporelle que suppose la démocratie. Or c'est plutôt par des conflits, voire des guerres, des hécatombes, que l'histoire a résolu de telles contradictions.
Sans vouloir jouer les prophètes de malheur – il faut bien entendu croire à l'existence de solutions –, j'ai trouvé votre propos un peu optimiste.
Par ailleurs, rejoignant les théories de Serge Moscovici sur les minorités actives, vous avez relevé que de petits groupes situés à l'extérieur des centres de décision, voire en marge de la société – en l'occurrence les « écolos » ou les « babas cool » des années soixante et 70 – finissent par avoir raison et déplacent les problèmes jusqu'alors marginaux vers le centre. C'est ainsi que les présidents Chirac et Sarkozy ont repris ces thèmes, dont l'importance est reconnue dans le monde entier. Si les « écolos », dont je suis, proposent depuis les années soixante des analyses et des solutions radicales, c'est parce que celles-ci sont proportionnelles à l'urgence et à la gravité de la situation. Lorsque le centre s'en empare, je les trouve singulièrement rabotées. C'est de l'écologie à l'eau tiède, voire du baratin médiatique. Les mesures proposées ne résoudront pas les problèmes. L'affadissement des thèmes, consécutif à leur déplacement de la marge vers le centre du débat, fait que l'on abandonne la question du changement de civilisation au profit d'une sorte de peinture en vert très décevante.