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Intervention de Hervé Morin

Réunion du 11 octobre 2007 à 10h00
Groupe de suivi du « grenelle de l’environnement

Hervé Morin :

Merci de m'avoir invité.

Comment me suis-je senti impliqué dans cette problématique écologique ? En 1970, alors que j'étais en Californie, je me suis trouvé en contact, à Berkeley, avec des amis écologistes ; et je me souviens d'un article, certes prématuré, intitulé « La mort de l'océan ». Le rapport Meadows du Club de Rome m'a ouvert les yeux et j'ai publié en 1972 un texte, intitulé L'An I de l'ère écologique.

La conscience d'un problème a beaucoup de difficulté à parvenir jusqu'à l'opinion, qui trouve cela « bizarre ». Toujours en Californie, un administrateur de l'institut d'écologie où j'étais m'avait demandé mon avis sur la tenue d'un colloque sur les pollutions. Or je n'en voyais pas moi-même l'importance. Les pollutions, en effet, ne se traduisent pas seulement pas de mauvaises odeurs, mais par toute une série de problèmes et de maux comme de l'asthme, des angines et autres malaises.

La prise de conscience est donc lente. Hegel disait que l'oiseau de Minerve, celui de la sagesse et de la raison, prend son vol au crépuscule. Le retard de la conscience sur l'évènement est inévitable.

Les accidents comme Tchernobyl et les phénomènes comme celui des pluies acides se généralisent. Il se forme un peu partout des mouvements verts, comme en France. Seulement, ils n'apportent pas toujours quelque chose de global ou d'articulé et se focalisent parfois sur des sujets secondaires ; c'est le cas avec l'ours des Pyrénées. Reste, et c'est curieux à constater, qu'à un moment donné, un individu bien placé fait progresser les choses. Ainsi Nicolas Hulot a-t-il déclenché chez le président Chirac une réunion internationale sur la gouvernance planétaire et lancé le pacte écologique au moment de la campagne présidentielle.

Les problèmes d'environnement se déclinent au niveau national, européen et planétaire. À ce propos, je suis très réservé sur le terme même d'environnement, trop superficiel. Le terme d'écologie est préférable. Il vient du mot grec « oikos », la maison et exprime le fait que nous sommes, sinon dans une maison, du moins à l'intérieur de quelque chose.

C'est en partie la raison pour laquelle je n'étais pas séduit par le terme de « Grenelle de l'environnement ». Il faut remarquer par ailleurs qu'à Grenelle, en 1968, on avait passé des accords entre les syndicats et le patronat sur des problèmes de réajustement de salaires, et rien d'autre. Or on se trouve confronté aujourd'hui à toute une série de problèmes en matière d'écologie, problèmes qui vont beaucoup plus loin. Enfin, les accords de Grenelle sont issus de la confrontation d'intérêts opposés. Or on ne saurait se contenter aujourd'hui de compromis ou de motions nègre blanc.

En dépit de mon scepticisme, je pense néanmoins que quelque chose, même de limité, sortira du Grenelle de l'environnement. Il en sortira une impulsion pour le développement des énergies renouvelables, domaine dans lequel la France est très en retard si on la compare à l'Espagne ou à l'Allemagne, et pour le développement des économies d'énergie.

À mon avis, il se passera donc des choses très utiles. Mais le problème de fond risque de ne pas être posé. Quel est-il, en effet ?

Prenez la question des économies d'énergie. Si vous l'isolez, elle sera très difficile à supporter pour de nombreuses personnes. Prenez l'automobile, qui est une des plus belles inventions du XXe siècle. Certaines personnes sont intoxiquées, elles ne peuvent pas s'en passer, elles y perdent un temps fou, au lieu de prendre les transports en commun. D'autres sont victimes d'intoxication consumériste. La logique consumériste consiste à consommer toujours plus et privilégie les objets jetables : rasoirs, stylos, frigos, etc.

Il convient de lutter contre ces intoxications, qui répondent à la logique du quantitatif et qui amène à croire que tout se traduit par des chiffres. D'où le succès de la croissance, érigée en idole. L'idée que c'est par la quantité et l'accroissement que nous allons résoudre nos problèmes nous empêche de voir que le vrai problème tient à la qualité de la vie et à la qualité des produits. Mieux vaut un poulet fermier qu'un poulet aux hormones, un fromage fermier qu'un fromage industriel, etc.

Faire une politique d'économie d'énergie, de lutte contre la pollution, ou plus généralement en faveur de l'écologie doit nous amener à penser à la qualité de la vie et au sens de la vie. La démarche se révèlera alors positive puisqu'on ne mettra pas en avant les sacrifices ou les contraintes que l'on va subir, mais certains acquis. Il suffit de se rendre dans certaines villes allemandes comme Tübingen ou Fribourg-en-Brisgau, où les zones piétonnes sont nombreuses, pour apprécier la convivialité et la sérénité qui y règnent. La piétonnisation des centres ville améliorera la qualité de la vie tout en étant bénéfique pour la santé.

Apparaît, sous-jacent, un problème de civilisation. Tout en étant très riche, notre civilisation privilégie non seulement le quantitatif, mais le matériel. Or toutes les expériences sociologiques ou sociopsychologiques montrent que l'abondance des biens matériels ne suffit pas pour nous rendre heureux. J'ai pu le constater en Californie. En France, pays du bien vivre, on est frappé par l'importance de la consommation de psychotropes, de tranquillisants et de tous ces produits faits pour calmer le mal être. Certains vont chercher dans le yoguisme, dans le bouddhisme zen, dans les diverses spiritualités, un accord avec eux-mêmes, un mieux être.

Ainsi, quand vous prenez en chaîne les problèmes du Grenelle de l'environnement, vous arrivez à des problèmes qui concernent notre vie profonde. Or la politique n'est pas habituée à traiter de tels problèmes ; elle ne les voit pas. On ne peut d'ailleurs pas, par la politique, donner du bonheur aux individus. Au moins peut-on, par ce biais, créer les conditions qui leur permettront d'être moins malheureux et de trouver leur propre voie.

Seulement, nous nous heurtons à un problème très dur : il faut changer de voie. On a parlé de croissance et de décroissance. C'est un peu simpliste. Il faut voir dans quels secteurs la croissance devra continuer et ceux où on devra décroître. Le Grenelle de l'environnement ne se lancera pas dans un tel examen, qui aurait été extrêmement utile.

Le développement se traduit, dans beaucoup de pays, par quelques zones de prospérité et par de vastes zones de misère. Il dégrade les solidarités traditionnelles, accroît la corruption. On donne comme modèle à ces pays nos sociétés, qui commencent elles-mêmes à rentrer dans une crise de civilisation. Comment donner l'exemple pour aller de l'avant ? Il faut modifier la voie, et c'est très difficile.

Nous sommes dans une dynamique qui échappe en grande partie à la France. Le vaisseau spécial Terre est emporté par la machine de la science, de la technique, de l'économie et du profit, quatre moteurs qui ne sont pas contrôlés. Et les contrôles sont très difficiles à penser. Remarquons d'ailleurs que si la science a fait tellement de progrès, c'est parce qu'elle n'était pas contrôlée et pas programmée ; lorsqu'elle est contrôlée par l'État, il n'y a plus rien. Nous savons aussi que c'est la science qui a produit des armes de destruction massive et que c'est cette dynamique générale qui provoque la dégradation de la biosphère.

Autre problème sur lequel on ne se penche pas assez : nous autres Occidentaux avons été habitués depuis quatre siècles à considérer l'humain et la nature comme deux entités absolument différentes. À l'université, les sciences humaines, c'est la sociologie, la psychologie, etc. C'est l'esprit. Tandis que le corps, le cerveau sont étudiés en biologie. Nous n'avons pas appris à voir notre propre nature, qui se trouve prise dans notre culture proprement humaine.

Cela nous a conduits à voir l'univers vivant comme un univers d'objets que l'on peut manipuler sans aucun dommage. Nous ne nous sommes rendu compte que très tardivement de la rétroaction, sur notre propre vie, des dégâts que nous causons sur l'univers vivant.

Une telle conception a abouti à l'élevage industriel, les cochons, les poulets etc. étant traités comme des objets. Cela retentit non seulement sur la qualité des aliments, mais aussi sur la qualité de l'eau, dans la mesure où les nappes phréatiques peuvent s'en trouver polluées.

Peut-être le Grenelle de l'environnement sera-t-il le point de départ d'une réflexion à longue haleine vers une politique beaucoup plus vaste : comment faire régresser progressivement l'élevage industriel et l'agriculture industrielle au profit de l'élevage fermier, de l'agriculture fermière et, évidemment, du biologique ? Comment réhumaniser nos villes ?

C'est comme un pull qui se détricote lorsqu'on tire sur un fil. Où va-t-on ? Que va-t-il falloir modifier ? Cela nous fait peur et nous empêche de penser. Mais on sait bien comment les choses changent : au début, c'est toujours une minorité, apparemment déviante, qui se manifeste. C'est ce qui s'est passé pour l'écologie. Puis certaines idées gagnent le centre. C'est ce qui s'est passé à la fin du mandat du président Chirac et maintenant avec le président Sarkozy. La prise de conscience finit par aboutir à la création d'une véritable force politique, qui amène au changement.

C'est une tâche difficile qui demande au départ un effort de réflexion. Le Grenelle de l'environnement se traduira-t-il par des accords qui, dans beaucoup de cas, risquent d'être bâtards, entre des intérêts industriels puissants et des associations écologiques ? Ce serait déjà bien, mais peu. Ce sera « plus que peu » s'il permet un déclic vers quelque chose d'autre.

Vous pouvez maintenant contester tout ce que je viens de dire. (Sourires.)

Le Président Patrick Ollier. Il est exact que les hommes politiques ne se posent jamais la question de la recherche du bonheur. Vous avez posé un problème essentiel, mais qui est absent des couloirs de l'Assemblée nationale. Grâce à vous et à d'autres personnalités qui nous ouvrent des perspectives, nous sommes en train de changer.

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