Je ne crois pas que trop de commémorations tuent la commémoration. Ce qui use les commémorations, c'est le temps. La commémoration de la guerre de 14-18, qui a entraîné tant de sacrifices et tant de morts, en particulier de jeunes hommes, était dans ma jeunesse un moment très important de la vie nationale. La célébration de l'Armistice se faisait dans la cour du lycée. Mais au cours des années, j'ai vu s'effilocher la foule réunie autour du monument aux morts. S'il n'y avait pas eu d'autre guerre, je ne sais pas où en serait la commémoration. Qui honore encore ceux qui sont morts en 1870-71 ?
Il appartient aux communautés elles-mêmes, et à la communauté nationale au premier chef, de conserver vivante la mémoire dont elles sont dépositaires. Faut-il déclarer férié tel ou tel jour, c'est un débat dans lequel je n'entrerai pas aujourd'hui. Mais – et vous avez entendu M. Nora – la mémoire s'inscrit aussi dans certains lieux. Quand on va à Gorée, d'où les esclaves partaient vers les Amériques, il est impossible de ne pas être bouleversé. Pourtant les siècles ont passé. Quiconque a visité un camp de concentration ou d'extermination comprend aussi l'importance des lieux de mémoire.
La mémoire peut être entretenue de multiples façons. Au mémorial de la Shoah, la communauté juive française a élevé un mur, sur lequel sont gravés les noms de tous les Juifs déportés morts en camp de concentration – 76 000 – avec l'indication de leur âge, ce qui permet de prendre conscience du nombre d'enfants parmi eux.
Au Mont Valérien, qui se trouve dans ma circonscription, j'avais été frappé, lors d'une cérémonie, par le fait que nulle part ne figurait le nom des résistants qui avaient été fusillés là. Il n'était pas possible que ces noms fussent ainsi escamotés. J'ai donc déposé une proposition de loi pour l'édification d'un monument. Maurice Schumann a prononcé à cette occasion sa dernière et sublime intervention, et la proposition a bien sûr été votée à l'unanimité. Le nécessaire a été fait pour retrouver les noms, qui sont désormais inscrits. Leur absence était un péché contre la mémoire.