a précisé qu'il ne fallait pas sous-estimer la méthode retenue pour la stratégie de Lisbonne, consistant en la fixation d'objectifs non contraignants, puisque cela avait déjà fonctionné dans le passé dans le cas d'Airbus ou encore dans le cadre du processus d'Helsinki. Une alternative pourrait consister à mettre en place des instruments communautaires contraignants, mais cela impliquerait un budget européen excédant la limite de 1,2 % du PIB de l'Union et cela, personne n'en veut. De même, on pourrait concevoir une Europe des transferts, reposant sur une situation asymétrique où l'Allemagne devrait payer pour de nombreux Etats membres, ce qui n'est pas concevable. En fait, la stratégie de Lisbonne illustre les limites inhérentes à la construction européenne.
En ce qui concerne la crise monétaire actuelle, il est frappant de noter qu'aux Etats-Unis le président américain et le président de la Réserve fédérale (FED) n'hésitent pas à siéger côte à côte, situation absolument impensable en Europe, compte tenu de l'attitude du président de la Banque centrale européenne (BCE). Il faut bien prendre conscience que la crise est très grave et en tirer les leçons. Cela signifie, par exemple, que les agences de notation devraient être considérées comme exerçant un service public et que la Commission européenne devrait accroître ses compétences dans ce domaine pour empêcher les « pratiques de voyou » mises en oeuvre par certaines de ces agences. On constate également la faillite du système prudentiel défendu par la BCE. Il est donc absolument nécessaire de réintroduire l'Etat dans la politique monétaire, puisque l'économie relève à l'évidence du politique. L'indépendance de la Banque centrale est une illusion et il faut se souvenir que la Reichsbank qui n'a pas su empêcher en Allemagne la grande crise de 1929 était elle aussi indépendante.
Le besoin d'une politique industrielle en faveur des petites et moyennes entreprises est évident et il faut absolument passer outre l'idéologie pure et retrouver des moyens d'action étatiques sur l'économie.
En matière énergétique, la séparation patrimoniale voulue par la Commission équivaudrait à laisser libre champ à la Russie.
Enfin, on peut considérer que le projet d'Union méditerranéenne est mort-né, puisque l'on a choisi de le lier au processus de Barcelone. C'est un vrai gâchis car, à l'avenir, le maintien de la paix mondiale dépendra de l'instauration d'un dialogue avec le Sud.
En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :
- en ce qui concerne le paquet « énergie-climat », notre pays n'est pas résigné à attendre la fin de négociations internationales pour connaître les secteurs qui pourront bénéficier d'une protection contre les fuites de carbone et pour obtenir des précisions sur les instruments susceptibles d'être utilisés. Une lettre co-signée par la France, l'Allemagne, l'Italie et des pays d'Europe centrale particulièrement concernés sera transmise à la Commission européenne pour obtenir, avant 2010, des propositions compatibles avec les règles de l'OMC, qui laissent effectivement place à des mécanismes de protection ;
- s'agissant de la crise financière, il n'est nullement question d'en nier la gravité, mais il est normal de maintenir un équilibre entre l'affirmation de la confiance et le constat de la gravité de la situation, afin de ne pas tomber dans le catastrophisme. La référence faite précédemment à une crise de maturité ne voulait pas dire que cette crise devait être considérée comme bénigne, mais signifiait qu'elle avait son origine dans des innovations financières. Comme cela a déjà été indiqué, il faut revenir à des fondamentaux sur l'action des marchés, des fonds souverains et des banques. Ces dernières, en particulier, doivent s'attacher à donner la priorité à leur activité de crédit ;
- dans le cadre de la situation économique et financière que nous connaissons, la stratégie de Lisbonne doit être renforcée par l'attribution de compétences propres à l'Union européenne, notamment s'agissant de la formation et de l'innovation. La présidence française préconisera également un développement de la coordination dans la zone européenne pour réduire les écarts de compétitivité. On doit cependant souligner que la BCE ne gère pas plus mal que d'autres la crise et a su éviter toute rupture de liquidités. L'essentiel est de faire preuve de professionnalisme et ce n'est pas parce que l'on organise des réunions de haut niveau aux Etats-Unis que la situation y est meilleure. Les raisonnements fondés sur le seul taux de change se révèlent insuffisants car ce sont les fondamentaux de l'économie américaine qui sont atteints. Il est certain qu'au-delà de 2010 la stratégie de Lisbonne devra utiliser des mécanismes plus contraignants, mais il faudra s'entendre sur les transferts de compétences et de financements que cela suppose ;
- en matière de fonds souverains, il faut bien avoir présent à l'esprit l'importance des moyens financiers dont dispose les fonds asiatiques ou du Moyen-Orient, qui dépassent parfois les mille milliards de dollars. L'Europe ne dégage pas des surplus commerciaux, budgétaires ou de réserves de change lui permettant de constituer des fonds comparables. Pour autant, cela n'empêche pas de préconiser des réformes – et en France cela signifie une réforme de la Caisse des dépôts et consignations – pour permettre la création de fonds souverains au niveau intérieur ;
- en matière d'agences de notation, on peut émettre des doutes sur la nécessité d'un monopole public et sur le fait que la Commission européenne soit l'institution la plus appropriée pour le prendre en charge. Il existe un réel besoin de régulation plus sévère au niveau international et, si les Etats-Unis ne veulent pas en entendre parler, il serait souhaitable d'instituer une régulation européenne. La France portera une telle proposition lors de sa présidence et veillera à empêcher les conflits d'intérêts pouvant exister entre les agences de notation et le secteur bancaire ;
- sur le contrôle des réseaux de distribution de l'énergie, les propositions de la Commission relatives à la séparation patrimoniale des activités de production et de distribution sont de nature à affaiblir les producteurs européens et, par conséquent, à encourager la mainmise des acteurs étrangers puissants sur les réseaux du continent. Cette menace n'est d'ailleurs en aucune manière compensée par des gains pour les consommateurs européens. A l'inverse, il est probable que la vente par enchères des réseaux de distribution induite par la séparation patrimoniale inciterait les éventuels acquéreurs à très vite répercuter sur les consommateurs d'énergie le coût de leur acquisition, au détriment du pouvoir d'achat des citoyens européens. C'est pourquoi la France, ainsi que huit autres Etats membres, s'opposent au projet en l'état ;
- la défense européenne, quant à elle, constitue l'une des priorités de la présidence française de l'Union. Les défis sont nombreux, qu'ils concernent l'encouragement à la recherche, le renforcement des capacités opérationnelles, la mise en cohérence des programmes militaires aujourd'hui par trop éparpillés entre chaque Etat membre ou la nécessaire articulation des efforts consentis en la matière avec les programmes-cadres de recherche et développement. L'appui en particulier de l'Allemagne s'agissant de l'exploitation du vecteur spatial pour générer, grâce à des programmes ambitieux, des retombées à la fois militaires et civiles, et du Royaume-Uni, attaché à la coordination de la recherche, devraient permettre de franchir une nouvelle étape prometteuse au second semestre 2008 ;
- enfin, sur l'Union pour la Méditerranée, la présence même du sujet au sein des conclusions du Conseil européen est un succès politique majeur. Cela explique la brièveté du chapitre qui lui est consacré, qui pose cependant clairement le principe de l'entreprise et fixe la date du sommet du 13 juillet prochain pour son lancement. La démarche, qui ne constitue en aucune manière un recul ou un abandon mais bien la consécration d'un projet ambitieux désormais porté à vingt-sept, dépasse très largement le processus de Barcelone. En premier lieu, le but même de l'Union pour la Méditerranée, loin de se cantonner à l'encouragement au dialogue interculturel que poursuivait l'Euro-Méditerranée, est bien de nouer, par des partenariats concrets et des projets cohésifs auxquels pourront participer librement chacun des membres de l'Union, une véritable communauté entre les deux rives de la mer et apaiser ainsi progressivement les risques géopolitiques dont cet espace est l'un des foyers les plus importants au monde. En second lieu, les moyens sont aussi fondamentalement différents. Aux traditionnels procédures et financements communautaires s'ajouteront des financements innovants et souples, sollicitant tous les acteurs intéressés, par exemple la Banque mondiale ou des partenariats publics privés. En troisième lieu, l'Union est construite sur une base profondément égalitaire : en témoigne la présidence conjointe pour deux ans confiée à un membre de l'Union européenne et à un membre de l'autre rive de la Méditerranée. En dernier lieu, à la différence du processus de Barcelone, le projet d'Union pour la Méditerranée, concentré sur les projets concrets ouverts aux intéressés, permettra aux plus déterminés d'avancer sans être freinés par les plus réticents. Tous ces éléments dessinent une perspective extrêmement encourageante et partagée par tous, ce dont la France, à l'initiative du projet, ne peut que se satisfaire.
Le Président Pierre Lequiller a, à son tour, salué la concrétisation de l'Union pour la Méditerranée en se félicitant que les préoccupations fréquemment exprimées par nos partenaires, notamment lors des échanges qu'ont pu entretenir les membres de la Délégation avec leurs homologues européens, aient été prises en compte et leurs craintes clairement dissipées par une démarche prometteuse, pragmatique et centrée sur les « solidarités de fait » qui ont tant fait pour rapprocher les peuples de l'Union.