Le texte dont nous évaluons aujourd'hui l'application a suscité des débats très vifs et une opposition très forte de mon groupe lors de son examen par l'Assemblée nationale. Cette évaluation se heurte au défaut d'informations statistiques : le problème n'est pas nouveau, le ministère de la justice ayant de grands progrès à faire pour connaître son fonctionnement. En outre, le dispositif de suivi statistique de l'application de la loi de 2007 mis en place par la Chancellerie ne prend pas encore en compte la nouvelle récidive.
En ce qui concerne l'application des peines plancher, il convient tout d'abord de relever que, dans 50 % des cas, les juges dérogent à cette application. Ces dérogations sont motivées le plus souvent par les circonstances de l'infraction ou la personnalité du prévenu. Dans plus de 90 % des cas cependant, la récidive est sanctionnée par une peine d'emprisonnement ferme. On peut certes se demander si la faiblesse de cette application n'est pas due également à un défaut de comptabilisation, certaines condamnations de récidivistes n'étant pas comptabilisées comme telles. De même, on ne peut que s'étonner de l'absence de motivation d'un grand nombre de ces dérogations. Cela pourrait en partie expliquer les grands écarts constatés dans l'application de la loi suivant les cours d'appel, 20 % des ressorts prononçant 30 % des peines plancher, en contradiction avec l'objectif d'harmonisation des peines sur le territoire national qui avait été avancé au moment de l'adoption de la loi.
Quand les juges ne dérogent pas à l'application des peines plancher, près de 40 % des peines qu'ils prononcent sont entièrement fermes, les plus de 60 % restants étant assortis d'un sursis, simple ou avec mise à l'épreuve, voire une peine alternative. Les peines plancher ne sont donc réellement prononcées que dans moins de 20 % des cas de récidive légale. C'est là, à mes yeux, le signe qu'elles sont inadaptées : selon les magistrats du tribunal de grande instance de Paris, le quantum des peines plancher est disproportionné par rapport aux faits commis. Les magistrats eux-mêmes reconnaissent qu'ils tentent de s'adapter à cette loi, soit en y dérogeant, soit en prononçant massivement des SME visant à atténuer la peine. Ces pratiques aboutissent à une dénaturation du SME et à un risque d'engorgement du service pénitentiaire d'insertion et de probation. Certains ont parlé de « bombe à retardement », d'autres, comme M. d'Harcourt, directeur de l'administration pénitentiaire, de « bulle » prête à éclater pour qualifier le risque d'explosion de la population carcérale.
Le dispositif des peines plancher n'est pas suffisamment sélectif puisqu'il sanctionne, à hauteur de 60 %, des atteintes aux biens, c'est-à-dire souvent des infractions insuffisamment graves pour motiver le prononcé de peines plancher. Le fait que la justice des mineurs ne se soit pas saisie de ce dispositif, comme en témoigne son très faible taux d'application aux mineurs, voire son inapplication à Paris, prouve également l'inadaptation de la loi.
Quant à l'augmentation de la population carcérale, il est difficile de mesurer précisément l'incidence de la suppression des grâces présidentielles. Cela dit, la répercussion de la loi reste limitée, ce que j'attribue à son application restrictive par des magistrats soucieux de ne pas prononcer de peines excessives.
Le bilan de cette loi est donc négatif, notamment pour les magistrats, qui exercent dans des conditions beaucoup plus contraintes leur faculté d'individualisation de la peine.