Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Pierre Chanlair

Réunion du 13 mai 2009 à 17h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Marie-Pierre Chanlair :

Je vous remercie.

Si les violences physiques faites aux femmes dans les fonctions publiques sont très peu courantes, il n'en va pas de même des violences morales qui, malheureusement, y prospèrent.

En la matière, les piliers que sont l'égalité de recrutement et l'égalité de traitement ne constituent en rien un rempart. En tant qu'avocate soit de collectivités locales, soit d'agents publics, je note que les fonctions publiques territoriale et hospitalière en particulier, sont un redoutable terreau sur lequel certaines violences sont florissantes. Ceci est du notamment au relatif cloisonnement de ces fonctions publiques : si un fonctionnaire d'État peut demander sa mutation dans un autre service, il est loin d'en aller toujours de même pour ses collègues, parfois menacés de mauvaises notations s'ils ne changent pas de dispositions. Dans ces conditions, la situation peut rapidement devenir perverse.

Par ailleurs, toute la fonction publique repose sur le principe hiérarchique, souvent entendu au demeurant sur un mode quasi-militaire : l'article 28 du Titre I du statut général de la fonction publique dispose ainsi que l'on doit respect et obéissance à ses supérieurs hiérarchiques. Le fait que l'ensemble du système – notation, évolution de carrière, avancement, construction de l'environnement de travail – repose sur la parole et l'action du supérieur hiérarchique peut éventuellement favoriser des « abus ». En même temps, la mission de ce dernier est précisément d'être responsable de l'action de son service et de faire travailler les agents qui le composent – ce qu'il doit d'ailleurs accomplir sans en avoir vraiment les moyens : je songe, par exemple, à la possibilité d'augmenter ou de diminuer le traitement de ses subordonnés en fonction de leur implication et de leurs compétences. Quoi qu'il en soit, plus le chef prend ses responsabilités, mieux cela se passe.

Les juges sont pleinement conscients de ces difficultés lorsqu'il s'agit d'arbitrer entre des chefs de service et des agents, les premiers pouvant user à mauvais escient de leur pouvoir et les seconds, interpréter parfois une simple demande de travail – fût-il soutenu – comme du harcèlement. A cela s'ajoute que si les fonctionnaires sont très attachés à leurs droits, ils ont parfois tendance à minorer leurs devoirs à l'endroit de leur hiérarchie.

S'agissant, donc, de la violence morale ou psychologique qui s'exerce sur les femmes, deux axes doivent être principalement pris en compte : la définition précise des comportements punissables en termes de harcèlement ou de discrimination et leur dénonciation devant les tribunaux par les victimes. En l'occurrence, les obstacles sont autrement plus lourds dans la fonction publique que dans le secteur privé.

C'est parce qu'il était très difficile, en matière de discrimination, d'apporter la preuve qu'un chef de service ait voulu nuire à tel individu en tant que femme, handicapé ou homosexuel par exemple que la notion de harcèlement moral est très précieuse. Néanmoins, outre que sa définition est très large, le juge administratif est très réticent à l'utiliser, en raison de sa « dangerosité » : dans le secteur public, il est en effet normal que le chef donne des ordres et recadre parfois ses subordonnés.

Je me suis récemment intéressée à deux affaires fort éloquentes. Dans la première, il a fallu retirer le terme de « harcèlement » pour que l'Éducation nationale accepte de reconnaître que le cancer et la dépression de deux agents étaient imputables à ses services – comme l'avaient attesté les examens médicaux. Dans la seconde, il n'a pas été possible, faute d'avoir procédé au même retrait, de faire reconnaître par le juge que la grave dégradation de l'état de santé d'une directrice de crèche était due à la double pression exercée par ses supérieurs et ses subordonnés. Il en aurait été différemment, j'en suis persuadée, si nous nous étions contentés d'invoquer une sanction déguisée ; il est tellement plus facile d'arguer du comportement de la victime !

Le juge craint à ce point la remise en cause des prérogatives du chef de service que même lorsque le harcèlement est reconnu, le dédommagement de la victime est extrêmement faible. Il est particulièrement choquant de laisser ainsi entendre que le harcèlement pourrait être une réponse à la défaillance d'un agent, alors que des mesures disciplinaires existent par ailleurs et devraient être utilisées si une sanction est nécessaire. Une telle façon de faire est hélas entrée dans les moeurs, les juges considérant trop souvent que la victime est responsable de ce qu'elle subit.

La loi de 2008 est très claire en considérant comme discrimination « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence mais susceptible d'entraîner pour un des motifs mentionnés au premier alinéa un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes à moins que cette disposition – c'est moi qui souligne –, ce critère ou cette pratique ne soient objectivement justifiés par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires ou appropriés ». Une telle restriction appliquée au harcèlement dans la fonction publique contribuerait par ailleurs à clarifier la situation, la propension à utiliser cette notion étant aussi parfois très exagérée.

Enfin, l'accès au tribunal pénal pour sanctionner des faits de harcèlement s'il est théoriquement possible, demeure extrêmement délicat : outre qu'un agent de la fonction publique aura du mal à poursuivre pénalement son supérieur, il risque de se voir accusé de dénonciation calomnieuse si ce dernier est blanchi. Il importe donc de faciliter l'accès au juge administratif, beaucoup plus approprié en la matière. Or celui-ci se heurte à trois obstacles majeurs : hors cas très spécifiques, il est impossible de faire appel de la décision du juge administratif ; le juge est unique et non collégial ; enfin c'est à l'agent de prouver qu'il est victime d'un harcèlement. Sur ces points, un alignement sur la législation régissant le secteur privé s'imposerait.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion