Une autre de vos hypothèses était la parité de l'euro et du dollar. Elle ne s'est pas vérifiée – loin s'en faut ! Le déséquilibre du commerce extérieur n'a pas peu compté, d'ailleurs, dans la faiblesse de notre croissance. Vous aviez également prévu que les entreprises réinvestiraient, et il n'en a rien été. La progression de l'investissement est tombée de 8 % en 2007 à 2 % en 2008. Elle s'établira probablement au même niveau en 2009. Encore un rendez-vous manqué !
Quant au pouvoir d'achat, vers lequel toutes les politiques sont censées converger, le revenu disponible brut, comme le salaire moyen, a moins progressé en 2008 qu'en 2007. La consommation des ménages a chuté. Au total, l'évolution décevante qu'ont connue les trois facteurs de la croissance a pesé sur la croissance elle-même. Vous espériez que celle-ci serait de 2,5 %, puis vous avez réduit votre évaluation à 2,25 %, puis à 2 %. Début septembre, vous vouliez encore croire qu'elle atteindrait 1,7 %. En définitive, elle s'établira à moins de 1 %, peut-être à 0,8 %. Mais il est certain qu'elle ne suffira à financer ni les réformes, ni les politiques que vous avez mises en oeuvre, ni a fortiori le traitement de la crise économique et sociale, qui précédait la crise financière et qui lui survivra. Nos concitoyens auraient aimé vous voir traiter la première avec autant de célérité et d'énergie que vous en avez consacré à la seconde.
Peut-être, puisque l'euphorie s'est calmée sur les bancs de la majorité, le temps est-il venu d'évaluer votre politique. Vous nous annoncez en effet un budget de vérité, qui ne serait qu'une simple autorisation de dépenses. Mais comment parler de vérité à propos d'un budget bâti sur une hypothèse de croissance de 1 à 1,5 %, à laquelle personne – pas même vous – ne parvient à croire ? Serait-ce simplement que les membres du Gouvernement demandent à nos collègues de la majorité de leur manifester un soutien politique inconditionnel ?
De fait, les facteurs de la croissance, si décevants en 2008, le seront de nouveau en 2009. Rien n'indique que les chiffres du commerce extérieur s'amélioreront. Vous avez bâti le budget pour 2008 sur des hypothèses fantaisistes, et nul ne peut dire à ce jour ce qu'il en sera de la parité entre l'euro et le dollar ou du prix du baril.
En conséquence, estimer que l'inflation sera de 2 % en 2009 peut se révéler exact ou totalement inexact : vous êtes dans l'incapacité de le prévoir et réduits à espérer. Mais l'espoir ne garantit pas la réussite. Aujourd'hui, l'incertitude prévaut, quand les Français, eux, aimeraient avoir quelques certitudes sur leur avenir.
En revanche, ce qui est certain, c'est que le pouvoir d'achat de nos concitoyens ne progressera pas davantage mais, au mieux, comme en 2008, c'est-à-dire très faiblement. Vous-même estimez que la consommation des ménages augmentera de 1,2 %. Comme elle assure à 70 % la croissance économique, on comprend que celle-ci, en 2009, sera totalement insuffisante pour faire face aux engagements pris par les gouvernements successifs et aux besoins qu'ont manifesté et manifesteront les salariés, les fonctionnaires, et les retraités, ces grands oubliés d'une politique que vous conduisez avec une constance qui ressemble de moins en moins à du courage et de plus en plus à de l'entêtement.
Ce budget, et cette loi de programmation – bienvenue – sont sincères, dites-vous. Est-il vraiment sincère de prévoir une croissance de 2,5 % en 2010, 2011 et 2012, quand on sait la fragilité des hypothèses sur lesquelles repose le budget de 2009 ? Est-il sincère de prévoir un quasi retour à l'équilibre des comptes en 2012 quand, semaine près semaine, s'envolent les milliards, vers tel ou tel secteur, au détriment précisément de l'équilibre des comptes publics ?
Ce budget n'est pas plus sincère qu'il n'est un budget de vérité, il n'est pas plus prévoyant qu'il n'est adapté à la situation. Mais il n'est pas non plus cette simple autorisation de dépenses que, benoîtement, madame la ministre, vous nous présentez comme pour nous dire qu'au fond, l'exercice auquel le Parlement va se livrer est vain. Dans toutes les démocraties, le vote du budget est l'acte majeur qui, certes, autorise les dépenses, mais surtout, définit une politique économique et sociale engageant le pays. Et celle que vous confirmez est précisément celle que nous contestons.
Nous contestons les choix que vous avez faits il y a un an et demi et que vous maintenez. Ainsi, nous contestons que la défiscalisation des heures supplémentaires soit une politique adaptée. On peut en débattre en période de croissance ; elle est à éviter quand la récession menace ; il faut la supprimer quand la récession est là – et elle est là, même si l'on s'abrite derrière l'expression de « croissance négative ». Elle sera négative plusieurs semestres de suite. Je suis loin de m'en réjouir. Mais le signaler, c'est dire aussi que certaines prévisions fantaisistes mériteraient d'être revues avant d'être présentées au Parlement.
Au demeurant, les heures supplémentaires n'ont pas eu du tout le succès que vous espériez. Surtout, cette politique n'est pas adaptée, car le volume d'heure supplémentaires est à mettre en corrélation avec la suppression de postes dans l'intérim, ce qui annonce une explosion du chômage, et cela avant même la crise financière. L'an dernier, vous aviez prévu un volume de 900 millions d'heures supplémentaires soustraites à l'impôt et aux cotisations sociales. Sous réserve de précisions que vous apporterez, ce volume est de 700 à 720 millions, ce qui est très insuffisant pour relancer le pouvoir d'achat et donc la consommation des ménages. Inefficace, cette mesure est pourtant coûteuse. Il faut la revoir, car ces sommes seraient mieux employées à améliorer le pouvoir d'achat de tous et non de ceux-là seulement qui ont la chance de faire des heures supplémentaires. C'est pourquoi nous vous proposerons de nouveau d'augmenter plutôt la prime pour l'emploi, qui est un instrument plus puissant et plus direct pour accroître immédiatement la consommation des ménages. C'est de cela que notre pays a besoin si nous voulons que la croissance atteigne un niveau suffisant pour satisfaire nos ambitions budgétaires, financières et surtout politiques.
Il faut revoir également la mesure relative aux droits de succession. Dire qu'ainsi 95 % des successions se feront en franchise d'impôt a de quoi séduire, chacun voulant transmettre, tout naturellement, le plus possible à ses enfants. Mais en quoi une telle mesure participe-t-elle à la revalorisation du travail ? Pourquoi transmettre ainsi un patrimoine ou une fortune à ceux qui n'ont rien fait pour l'acquérir si c'est au prix d'un tel effort pour notre société ? Warren Buffet, l'homme le plus riche du monde, qu'on ne peut soupçonner d'être un thuriféraire du collectivisme ni un apôtre de la confiscation fiscale, est le premier à dire que cette transmission en franchise d'impôt est ce qu'il ne faut pas faire si l'on veut conserver une économie dynamique et entreprenante. En effet, ce faisant, on ne récompense pas le travail, mais la rente. Ce n'est pas la politique qu'il faut mener.