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Intervention de Olivier Guillard

Réunion du 6 février 2008 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Olivier Guillard :

, a indiqué que le Pakistan n'allait pas bien. Ce phénomène, qui n'est pas nouveau, mais qui ne va pas en s'améliorant, tient d'abord à un environnement géographique complexe, source d'instabilité : 2 500 kilomètres de frontières avec l'Afghanistan, 3 000 avec l'Inde, 1 000 avec l'Iran et 500 avec la Chine. Il s'explique aussi par son économie qui est émergente et non en développement comme celle de l'Inde, puisqu'un Pakistanais sur quatre vit largement au-dessous du seuil de pauvreté, tandis que seulement deux sur trois ont un accès satisfaisant à l'éducation, certaines régions frisant le taux de 90 % taux d'analphabètes, sans oublier la discrimination à l'égard des femmes.

Quant aux bénéfices de la croissance ou de l'assistance internationale, aucun Pakistanais de la rue ne semble en profiter. Enfin, la cohésion nationale est mise à mal, les Pakistanais revendiquant d'abord leur appartenance ethnique – pachtoune, baloutche, pendjabi…) plutôt que leur statut de citoyen de la République islamique du Pakistan, et les provinces rivalisant entre elles voire se méprisant.

C'est une nation qui traverse une phase de grande fébrilité, au point que l'on ne peut savoir à quoi elle ressemblera d'ici à dix jours, après le scrutin. Encore faut-il que celui-ci ait lieu car, dans le climat actuel qui continue de s'alourdir, nombre d'événements peuvent intervenir d'ici là. L'utilisation particulièrement importante de moyens d'État par le parti au pouvoir, le PML-Q, au profit de l'équipe en place, permet en effet de prédire que les élections seront tout sauf libres, équitables et honnêtes. Face à cette équipe qui cherche à se maintenir au pouvoir, les partis civils traditionnels – le PPP de Benazir Bhutto et le PML-N de Nawaz Sharif – se sont tout de même alliés pour le retour de la démocratie plébiscité par la population, le général Kiyani devant, pour sa part, s'émanciper très rapidement de son mentor du fait d'une vision moins politique de son rôle.

En dépit de ses manipulations, l'équipe en place ne devrait pas recueillir plus de 25 à 35 % des suffrages. La légitimité populaire du général Musharraf est en effet au plus bas, d'autant qu'il avait annoncé, après son arrivée au pouvoir en octobre 1999, qu'il ne resterait à la tête du pays que le temps de rétablir les grands équilibres nationaux. Quant au PPP, la succession de Benazir Bhutto pose problème, car son mari, Asif Ali Zardari – appelé jadis M. 10 % à cause du pourcentage qu'il prélevait sur les marchés publics –, est une personnalité contestée. Il ne pourra longtemps fédérer le parti, même si, selon le testament politique de Benazir Bhutto, il lui revient de le diriger en attendant que son jeune fils Bilawal lui succède dans plusieurs années. Par ailleurs, nombre de petits partis refusent de participer à des élections tant qu'un semblant de justice dans le pays n'aura pas été restauré. Contrairement à ce qu'il prétend en tout cas, le président Musharraf n'est pas indispensable à un meilleur fonctionnement de la société pakistanaise, même si les difficultés de gestion du pays n'ont pas d'égal dans le monde du fait d'intérêts claniques totalement opposés et d'une atmosphère permanente de crise et de tension.

Les scenarii les plus catastrophiques courent sur le Pakistan. Il faut les prendre avec recul, qu'il s'agisse de l'implosion du pays, de la création d'un Pachtounistan ou encore de la prise du pouvoir par les islamistes : si l'ensemble des fondamentalistes prenait part aux élections, il n'obtiendrait pas plus de 20 % des voix. La société civile pakistanaise est majoritairement plus modérée qu'elle n'en donne l'impression à l'extérieur, et les Mollahs ne sont pas près de prendre le pouvoir dans la configuration actuelle.

Le président Axel Poniatowski a souhaité savoir comment se ferait le partage du pouvoir après le scrutin entre les trois pôles du pouvoir, l'influence des partis religieux au sein tant de l'armée que de la société civile étant faible.

Par ailleurs, les troubles récurrents au Baloutchistan font-ils courir des risques d'éclatement au Pakistan ?

Selon M. Olivier Guillard, l'architecture souhaitable du pouvoir doit être fondée sur un rééquilibrage entre les trois centres de pouvoir que sont la Présidence de la République, le Premier ministre et le chef des armées, l'idéal étant qu'ils coopèrent plutôt qu'ils continuent à fragiliser l'édifice. Aujourd'hui en effet, la Présidence de la République est toute puissante alors que le Premier ministre n'a aucune marge de manoeuvre. La restructuration des pouvoirs est en tout cas acquise, et elle devrait avoir lieu quelle que soit l'équipe en place. De toute façon, le maintien du général Musharraf à son poste ne devrait pas aller au-delà de la fin 2009, ne serait-ce que parce que Washington n'a plus confiance en lui.

Les partis de Benazir Bhutto et de Nawaz Sharif, qui font cause commune, devraient réunir, sauf trucage aberrant, entre 55 et 65 % des suffrages. Comme M. Sharif ne sera certainement pas habilité à exercer le mandat de chef de gouvernement et comme il ne sera pas souhaitable qu'une personnalité charismatique du PPP accède au poste de Premier ministre, et surtout pas M. Zardari, c'est une personnalité du PPP sans grand relief, mais avec une notoriété importante au sein du parti, qui pourrait être choisi, ce qui permettra peut-être de vider les querelles actuelles entre le président Musharraf, le nouveau Premier ministre et l'actuel chef d'état-major des armées.

S'agissant du risque d'éclatement du Pakistan, M. Jean-Luc Racine a estimé qu'il ne fallait pas exagérer les tensions entre provinces, car si les Pakistanais se définissent volontiers comme Sindhis, Baloutches ou encore Pendjabis, un sentiment national existe, ne serait-ce que sous l'influence , pendant plus d'un demi-siècle, des manuels scolaires, des célébrations patriotiques ou de la télévision d'État. Et l'armée interviendrait en cas de risque sécessionniste avéré.

Le Baloutchistan, qui dispose de ressources en gaz, est, avec 3 % de la population totale – soit un poids beaucoup plus faible que l'ethnie pachtoune – la plus vaste des provinces pakistanaises. La question baloutche pourrait d'ailleurs être facilement réglée si l'on attribuait à cette province, comme elle le demande de façon raisonnable, une part plus conséquente des revenus tirés de ses ressources naturelles.

Quant aux zones tribales, où s'enlisent 80 000 hommes de troupe de l'armée pakistanaise, le problème y est différent, du fait de la déréliction de l'État. Au total, plus que l'éclatement du pays, les risques principaux semblent être l'expansion des attaques terroristes, et l'enracinement de kystes insurrectionnels localisés, deux menaces difficiles à résorber.

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