Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Philippe de Ladoucette

Réunion du 22 octobre 2008 à 11h00
Commission des affaires économiques

Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie :

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, d'être venus m'écouter, alors que l'emploi du temps de l'Assemblée est actuellement très chargé. Je pourrai ainsi vous rendre compte des activités de la Commission de régulation et, en quelque sorte, rendre des comptes aux parlementaires, ce qui est très intéressant pour une autorité administrative indépendante.

J'évoquerai en premier lieu la présidence française de l'Union et l'évolution du « troisième paquet », qui a pour but d'améliorer les conditions de libéralisation du marché de l'énergie.

La séparation patrimoniale a fait l'objet de nombreux débats. C'est un sujet que vous connaissez bien, puisque vous avez, à l'initiative de M. André Schneider et de M. Jean-Claude Lenoir, adopté une résolution sur le troisième paquet de libéralisation du marché de l'énergie. Un accord sur le marché de l'énergie a été conclu le 10 octobre. Les différences entre les États ont été supprimées, mais il appartient aux parlementaires européens d'en négocier l'adaptation. Ce qui ressort de cet accord, c'est que la troisième voie défendue par la France et l'Allemagne a été acceptée par la Commission et l'ensemble des États européens. Par conséquent, l'ITO – Independent transmission operator – pourra être mis en oeuvre dès que la directive aura été transcrite dans les législations nationales.

Le fait d'avoir préservé les entreprises intégrées du démantèlement va sans aucun doute renforcer le rôle des régulateurs dans les systèmes ITO, puisque le régulateur aura pour mission de veiller à l'indépendance des systèmes de transports du gaz et de l'électricité.

Tout aussi importante est la mise en place de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie au niveau européen. Cette agence, dont la création ne nécessite pas de transcription législative, aura un rôle fondamental pour les opérations aux frontières, et elle sera opérationnelle dès juin 2010. Ces opérations portant sur les infrastructures gazières et électriques participent à la construction de l'Europe de l'énergie et à la mise en place d'un grand marché unique de l'énergie. L'Agence de coopération jouera un rôle déterminant dans les différends qui existent aux frontières entre régulateurs et gestionnaires de réseaux. C'est un domaine où nous rencontrons parfois des problèmes, notamment avec les Allemands. L'Agence trouvera des solutions, et cela permettra de faire avancer la construction du marché européen.

J'en viens à la question des initiatives régionales, que j'avais déjà évoquée l'année dernière. Nous avons beaucoup avancé sur cette question au cours des derniers mois. Dans le domaine de l'électricité, la France participe à quatre initiatives régionales sur sept, et à deux sur trois dans le domaine du gaz. S'agissant de l'électricité, nous disposerons bientôt d'une plateforme continentale véritablement intégrée, ce qui correspond à un couplage des marchés entre la Belgique, les Pays-Bas et la France, bientôt l'Allemagne, suivie d'autres pays européens. Cette plateforme contribuera pour beaucoup à l'intégration des marchés.

On peut se demander à quoi sert réellement une telle intégration. Concrètement, il s'agit d'utiliser au mieux les moyens de production qui existent à l'échelle européenne. Les parcs de production et les consommations étant complémentaires, il faut utiliser ces complémentarités afin d'éviter de solliciter des moyens de pointe coûteux et polluants. Je prendrai l'exemple de l'heure de pointe : si le pic de consommation est atteint en France à dix-neuf heures, il l'est à dix-sept heures en Grande-Bretagne et à vingt et une heures en Espagne. Notre pays manque des moyens nécessaires pour assurer la production d'énergie aux heures de pointe. Le fait de disposer d'interconnexions fluides nous permettra de faire appel à des productions moins coûteuses. Nous pourrons notamment utiliser l'énergie éolienne produite par l'Espagne. L'objectif de cette intégration, vous l'aurez compris, est d'optimiser l'ensemble des moyens existants sur la plaque continentale en fonction des périodes.

Cette intégration, qui favorise une mutualisation plus poussée des réserves de chaque système, fera que le développement des échanges transfrontaliers d'électricité bénéficiera aussi à l'amélioration de la sécurité du réseau interconnecté, et qu'il renforcera, par la suite, la solidarité des États membres.

Si l'interconnexion est un facteur d'optimisation en matière de production d'électricité, elle est fondamentale s'agissant du gaz car notre pays n'est pas producteur. Celui que nous utilisons transite par les autres pays européens.

L'initiative régionale « Nord-Ouest », qui concerne l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, pose deux questions essentielles : le fonctionnement des interconnexions et l'accès à la capacité. Trois interconnexions ont été jugées prioritaires, dont deux concernent la France : l'une à la frontière allemande, par où passe le gaz russe, et Taisnière, à la frontière belge, où transite le gaz provenant du Nord de l'Europe. L'enjeu étant d'optimiser les capacités existantes et d'investir en vue de créer de nouvelles capacités.

Dans la région Sud, la priorité est de développer les interconnexions gazières entre notre pays et la péninsule ibérique – l'Espagne et le Portugal. Il en existe quelques-unes, mais elles sont peu développées. Une nouvelle interconnexion permettra de faire remonter le gaz de l'Espagne vers la France, alors qu'il va essentiellement du Nord au Sud, plus précisément de Norvège jusqu'en Espagne. Cette interconnexion est très intéressante pour notre pays, car elle nous permettra de recevoir du gaz de pays situés au sud de l'Espagne, grâce aux terminaux méthaniers espagnols et au futur pipe-line qui devrait dans un futur proche relier l'Algérie à l'Espagne. C'est une avancée importante pour la diversité de notre approvisionnement et la sécurité des ressources.

Il était donc essentiel de confier à la CRE, par la loi relative au secteur de l'énergie de décembre 2006, la responsabilité d'approuver les programmes d'investissement des transporteurs de gaz. Nous en avions déjà la responsabilité pour l'électricité. Nous l'avons exercée pour la première fois dès la fin de l'année 2007. Depuis, nous établissons un bilan annuel des réalisations – nous l'avons fait pour GRTgaz et pour TIGF – Total Infrastructures Gaz France –, et nous analysons l'efficacité des programmes d'investissement. Il faut savoir qu'en 2008 GRTgaz a investi 585 millions d'euros, contre 382 millions l'année précédente ; quant à TIGF, il a investi 191 millions d'euros, contre 160 l'année passée. TIGF concerne une petite partie de la région Sud-Ouest, très proche de l'Espagne. La responsabilité d'approuver les programmes est donc essentielle pour la CRE.

En complément de l'approbation des programmes, la CRE a pour mission de décider des tarifs. Nous avons procédé, au cours de l'année 2008, à un renouvellement tarifaire. Au cours de la première partie de l'année, nous avons établi le tarif de distribution, puis celui du transport de gaz. Ce dernier entrera en application le 1er janvier 2009. Et, dès demain, la CRE va se réunir pour élaborer les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité, TURPE 3. Ces tarifs concernent RTE – Réseau de transport d'électricité – et ERDF – Électricité Réseau Distribution France. Cette nouvelle filiale, qui, vous le savez, a été créée le 1er janvier dernier, a la responsabilité de l'ensemble du réseau de distribution national.

Conformément à l'article 4 de la loi du 10 février 2000, le nouveau tarif fixé par la Commission de régulation de l'énergie doit offrir aux gestionnaires de réseau les ressources nécessaires à l'accomplissement de leurs missions et des contrats de service public.

Pour ce qui est de la méthode, nous avons cette année veillé à élaborer un nouveau tarif en concertation approfondie avec l'ensemble des acteurs concernés. Nous avons ainsi organisé deux consultations publiques pour exposer nos orientations et recueillir les réactions et les suggestions de tous, notamment de parlementaires et d'élus locaux. Forts de leur expérience du terrain et éventuellement de leurs responsabilités à la tête d'une autorité concédante, ils nous ont fait part de leurs préoccupations concernant la qualité de la distribution de l'électricité. Cette préoccupation est fondée. En effet, comme l'a souligné la CRE dans son rapport de juin 2008, nous avons constaté une dégradation de la qualité de l'énergie électrique sur les réseaux concédés à ERDF, dont l'origine est antérieure à l'ouverture du marché et qui correspond à une baisse de l'investissement entre 1994 et 2003.

C'est pourquoi un effort important de rattrapage devra être réalisé dans les prochaines années pour revenir au niveau de qualité que nous connaissions à la fin des années quatre-vingt-dix. C'est la raison pour laquelle la Commission de régulation de l'énergie a considéré, après analyse, que les défis auxquels étaient confrontés les gestionnaires de réseaux justifiaient pleinement des demandes de moyens supplémentaires. Ainsi, les orientations de la CRE prennent-elles en compte toutes les prévisions de charges futures présentées par l'opérateur en termes d'exploitation, de maintenance, de développement et de modernisation des réseaux. C'est le cas, par exemple, des trajectoires d'investissements. La CRE a en outre retenu pour ERDF la trajectoire d'investissements la plus favorable à la qualité, mais elle a dans le même temps tenu compte de toutes les charges d'exploitation prévisionnelles des opérateurs, notamment des charges de personnels.

J'insiste sur le fait que ces orientations permettent à ERDF de dégager un résultat net profitable sur la période prévisionnelle 2009-2012 et une rentabilité sur fonds propres supérieure à 10 %. Dans le contexte actuel, on peut considérer qu'il s'agit d'un montant satisfaisant. Le montant des fonds propres affecté à la filiale atteignait 2,7 milliards d'euros lors de l'établissement du bilan d'ouverture.

Ces orientations permettent également de dégager une capacité d'auto-financement en vue de financer l'essentiel de ces investissements. En tenant compte de la trésorerie disponible, ERDF n'aura pas besoin de recourir à l'emprunt, sous réserve de la politique de dividendes qui sera menée par son actionnaire.

Ces dernières semaines, plusieurs autorités organisatrices de la distribution d'électricité ont fait part à la CRE de leur souhait d'une relance des investissements. Certaines d'entre elles indiquent même que « le TURPE est à ce jour la seule garantie dont disposent les collectivités concédantes et les concessionnaires pour assurer les niveaux d'investissements indispensables ». Ce n'est pas tout à fait vrai : le TURPE ne suffit pas à garantir la réalisation de tous les investissements nécessaires. En effet, l'évolution de l'endettement et la politique de remontée des dividendes de la maison mère décidée par EDF pourraient entrer en compétition avec les investissements prévus pour améliorer la qualité sur les réseaux. Dans ces conditions, étendre aux réseaux de distribution la compétence d'approbation des investissements par le régulateur, comme c'est le cas pour RTE, pourrait être un gage de contrôle de l'adéquation des investissements avec les besoins, bien entendu en complément du rôle essentiel des autorités concédantes au niveau local.

Autrement dit, le TURPE est important mais, sans pouvoir d'approbation du programme d'investissement de la distribution par le régulateur, il n'y a pas de certitude sur la réalisation du programme. Il faudrait pour cela une disposition législative.

En vertu de l'article 4 de la loi du 10 février 2000, la CRE propose un tarif au ministre chargé de l'énergie, qui dispose d'un délai de deux mois pour s'y opposer. Dans le cas de TURPE 3, la CRE transmettra sa proposition d'ici à la fin du mois d'octobre.

J'en viens aux énergies renouvelables.

Au premier abord, le développement durable ne semble pas relever de la compétence de la CRE ; pourtant, les discussions européennes sur le paquet « Énergie Climat » et le troisième paquet « Énergie » démontrent que l'énergie et l'environnement seront désormais liés.

L'objectif fixé par la proposition de directive européenne sur les énergies renouvelables est déjà en cours de transposition, grâce à l'adoption du texte sur le Grenelle de l'environnement. Cet objectif particulièrement ambitieux repose sur le développement de toutes les filières, dans des conditions raisonnables sur les plans économique et écologique.

Je voudrais aborder ce sujet sous les deux angles de l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux de transport, d'une part, et du soutien à ces énergies renouvelables, d'autre part. La nécessaire intégration aux réseaux de ces nouvelles sources d'énergie doit être sûre et fiable, conformément aux recommandations du rapport de la présidence française de l'Union européenne sur la sécurité énergétique, présenté le 16 octobre dernier au Conseil européen. Dès lors que les énergies renouvelables connaissent un développement important, il est nécessaire de renforcer les réseaux et leur intégration au niveau européen, ainsi que d'améliorer les outils de gestion de ces réseaux.

Les capacités d'accueil du réseau de transports sont réelles. Selon RTE, on pourrait raccorder de 6 000 à 7 000 mégawatts sans qu'il soit besoin de renforcer les réseaux existants, sous réserve d'une bonne répartition géographique des projets. Je sais que vous avez longuement débattu de la question.

Pour accueillir 20 000 mégawatts de production éolienne à l'horizon 2020, RTE évalue à 1 milliard d'euros les investissements nécessaires. Cela dit, le caractère intermittent et difficilement prévisible de certaines énergies renouvelables, en particulier l'éolien, ne devrait pas entraîner de besoins supplémentaires, tout au moins jusqu'à 10 000 mégawatts. Au-delà, il faudra intégrer les systèmes électriques de tous les pays européens pour obtenir un équilibre permanent. Concrètement, le vent souffle toujours quelque part en Europe : nous pourrons donc, avec un système interconnecté, profiter des implantations de l'éolien de toute l'Europe.

Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables prévus par la loi du 10 février 2000 sont au nombre de deux : le mécanisme d'obligation d'achat et les appels d'offre. Je m'attarderai sur le premier, qui concerne tout particulièrement l'éolien.

Quel est le rôle de la CRE ? Le décret du 10 mai 2001 précise que les tarifs d'achat de l'électricité sont égaux aux coûts de production évités sur le long terme au système électrique, auxquels on peut ajouter une prime, dont le niveau ne peut conduire à une rentabilité excessive. Cette prime contribue à la réalisation des installations en vue des objectifs fixés par la loi.

La CRE rend un avis consultatif aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie sur les obligations d'achat par EDF et les entreprises locales de distribution de l'électricité produite par des installations utilisant des sources d'énergie renouvelables. La loi invite la CRE à fonder son appréciation essentiellement sur la rationalité économique, puisqu'elle l'a chargée de vérifier que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations n'excède pas le niveau d'une rémunération normale des capitaux. En 2006, la CRE avait émis un avis défavorable sur le tarif envisagé pour la filière éolienne, estimant que ce tarif générait pour les investisseurs une rentabilité très supérieure à ce qui serait nécessaire pour susciter l'investissement dans les moyens de production et représentait un moyen coûteux pour la collectivité d'atteindre les objectifs de développement assignés par la loi du 13 juillet 2005. Comme vous l'avez rappelé, le Conseil d'État a récemment annulé le décret pour vice de forme : la CRE l'examinera à nouveau le 30 octobre. Si j'ai parfaitement conscience de l'intérêt qu'il peut représenter, je ne peux en aucun cas préjuger de l'avis de la CRE. Je serai donc très prudent. Je peux néanmoins vous livrer quelques éléments structurants.

En ce qui concerne l'obligation d'achat, nous devons être conscients du fait que la spécificité française accorde une part prépondérante au nucléaire ; de ce fait, les surcoûts de production induits par l'éolien sont assez élevés au regard de la baisse des émissions de gaz à effets de serre. Il est par ailleurs vraisemblable que la rentabilité du tarif d'obligation d'achat pour les sites faiblement ventés – où la durée pendant laquelle le vent souffle est inférieure à 2 000 heures par an – est faible ; pour les sites ventés pendant 2 200 heures par an, le tarif est rentable ; au-delà de 2 400 heures, il devient très rentable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion