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Intervention de Jean-Claude Sandrier

Réunion du 21 octobre 2008 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Sandrier :

Monsieur le président, monsieur le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, mes chers collègues, ce débat budgétaire a un côté surréaliste : en pleine crise du capitalisme, le Gouvernement fait comme si de rien n'était, nous présentant un budget dans la droite ligne des précédents, ceux-là mêmes qui ont contribué à alimenter la crise par la réduction de l'investissement public et des services publics ainsi que par des exonérations de toute nature favorisant l'accumulation du capital sans qu'aucune contrepartie soit exigée en termes de développement économique, d'emplois rémunérés et de progrès social. Bref, vous persévérez dans l'erreur, faisant aujourd'hui ce qu'il ne fallait déjà pas faire hier.

Avec les responsables politiques des grands pays capitalistes, vous partagez l'entière responsabilité de ce qui se passe. Et il est trop facile de venir dire aux Français, telles des vierges effarouchées, que cette crise est due à quelques banquiers indélicats ou égarés qui – on va voir ce qu'on va voir ! – seront punis alors même que le système dans lequel nous sommes, le comportement de ce monde financier prédateur, vous les avez non seulement couverts mais, pis, encouragés et entretenus.

Comment pouvez-vous avoir le culot de dire, comme à une certaine époque : « nous ne savions pas » ? Vous saviez que certains capitaux exigeaient des rendements de 10, 15, voire 20 % alors même que la croissance était à 2 %. Vous saviez que les fonds spéculatifs existaient. Vous connaissiez les mises en garde répétées des économistes les plus éminents indiquant que nous allions dans le mur. En 2003 – mais certains avaient fait part de leurs inquiétudes bien avant –, le prix Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz dénonçait dans son livre Quand le capitalisme perd la tête cette idéologie suicidaire de la liberté totale des marchés, notamment financiers, se nourrissant de la détérioration de la condition salariale et de l'attaque contre les services publics. Il expliquait que « la réduction des déficits n'a pas amené et n'amènera pas la reprise, ni aux États-Unis, ni en Europe, les réductions d'impôt pour quelques-uns amenant, quant à elles, simplement à créer des déficits à long terme sans stimuler vraiment l'économie à court terme ». Il ajoutait que cette politique du tout-marché, du tout privatisé, du tout subordonné aux super-rendements des dividendes conduisait à la fois à l'aggravation des inégalités, donc à un déséquilibre plus grand à l'échelle mondiale et nationale, mais aussi à des gaspillages dont « le chiffre doit se situer dans les centaines de milliards de dollars ». Que dire aujourd'hui !

En 2006, Joseph Stiglitz publiait un autre livre au titre tout aussi évocateur, sonnant comme un nouveau signal d'alarme, Un autre monde : contre le fanatisme du marché. « Tôt ou tard le monde devra faire certaines réformes […] il s'agit de savoir si ce sera avant ou après une nouvelle vague de désastres mondiaux », écrivait-il – avant la crise dite des subprimes, rappelons-le –, soulignant qu'autoriser la circulation sans entrave des flux de capitaux spéculatifs est extrêmement risqué. Or qui donne une telle autorisation si ce n'est les responsables politiques, englués dans leur idéologie dite libérale ?

Tout cela, vous le saviez. Et lorsque, à cette tribune, je citais Stiglitz, cela vous faisait, vous et vos prédécesseurs, monsieur le ministre, hausser les épaules ou sourire de ce sourire un peu dédaigneux des gens qui ont toujours raison face à ceux qui n'y comprennent rien.

Le gauchisme aussi soudain que pathétique du Président de la République et du Gouvernement ne trompera personne – surtout lorsque l'on sait ce qu'a proposé Nicolas Sarkozy en avril 2007, à genoux devant son grand modèle, le capitalisme américain : « Les ménages français sont aujourd'hui les moins endettés d'Europe. Or, une économie qui ne s'endette pas suffisamment, c'est une économie qui ne croit pas en l'avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. C'est pour cette raison que je souhaite développer le crédit hypothécaire pour les ménages. Je propose que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement. Il faut réformer le crédit hypothécaire. Si le recours à l'hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l'emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. Cela profiterait alors directement à tous ceux dont les revenus fluctuent, comme les intérimaires et de nombreux indépendants. ». Nicolas Sarkozy avait découvert les subprimes à la française et voulait les généraliser au plus vite ! Fort heureusement, l'arrivée de la crise ne lui en a pas laissé le temps.

Enfin, pour clore ce chapitre, je veux citer Patrick Artus, professeur d'économie à la Sorbonne. Dans Le capitalisme est en train de s'autodétruire, publié en 2005, il tirait lui aussi la sonnette d'alarme : « L'argent coule à flots mais alimente plutôt la voracité des investisseurs, dans une course aux rendements financiers à court terme », affirmant plus loin que « cette logique court-termiste à rentabilité élevée porte en elle-même sa propre fin puisqu'elle suppose de sacrifier l'avenir ».

Alors cessez de dire que vous ne saviez pas, cessez de dire que vous ne pouviez rien faire, cessez de demander la solidarité entre ceux qui ont couvert et encouragé une politique désastreuse et ceux qui la subissent de plein fouet. Pour une fois, assumez votre idéologie et votre responsabilité politique. Ne demandez pas à ceux qui ont vu arriver l'incendie, qui se sont battus contre ce système, de venir soutenir ceux qui ont mis le feu et l'ont attisé.

Oui, selon l'expression de Patrick Artus, vous avez « sacrifié l'avenir ». Vous avez conduit une politique qui accordait une liberté dont les limites étaient chaque jour reculées pour permettre à la finance de dominer le monde, l'Europe et la France. Et notre chance, dans ce malheur, c'est qu'en France, vous n'aviez pas encore pu faire sauter tous les verrous. Pourtant, vous avez tout fait pour inscrire notre pays dans cette logique néolibérale anglo-saxonne : la libre circulation des capitaux, c'est vous ; la politique de dérégulation, de déréglementation, de suppression des services publics, c'est vous ; l'accumulation du capital au détriment des salaires par des exonérations fiscales, des exonérations de cotisations sociales ou le bouclier fiscal, c'est encore vous !

Selon vous, il fallait enrichir les riches pour faire fonctionner l'économie, mais la promesse d'enrichissement perpétuel des détenteurs de patrimoine financier est fondée au bout du compte sur la détérioration de la condition salariale : chômage, précarité, laminage de l'assurance-maladie et des retraites, casse du code du travail, exploitation éhontée des salariés avec des petits boulots suffisant à peine à les nourrir et à les loger, augmentation de la pauvreté – aujourd'hui supérieure à 13 %.

En dix ans, le patrimoine des 500 plus grosses fortunes françaises est passé de l'équivalent de 6 % du PIB à 14 % aujourd'hui, soit un enrichissement de 150 milliards d'euros. La voilà, votre politique ! Et après cela, vous allez lamentablement chercher 1 milliard d'euros pour le RSA dans la poche du Français moyen : quelle indécence !

Dans ces conditions, comment osez-vous affirmer devant nos concitoyens qu'il est impossible de boucher le trou de la sécurité sociale mais qu'il faut boucher celui des banques, sans avoir à compter les milliards ? En vingt-quatre heures, 15 milliards d'euros viennent d'être débloqués.

Et le problème, c'est qu'avec votre projet de budget, vos textes de loi, vous persévérez à vouloir faire grossir des fortunes qui ne peuvent ensuite qu'alimenter la spéculation. Vous ne tirez aucune leçon de ce qui vient de se passer, vous faites, comme d'habitude, juste semblant de vouloir réguler, mais réguler à la sauce du milliardaire Soros, c'est-à-dire « un peu mais pas trop » – ce qu'un chercheur français du CNRS vient de qualifier de chimère car la maîtrise du risque financier est sans solution, selon lui.

En fait, cet épisode de la crise du capitalisme marque pour vous une cuisante défaite idéologique. Vous qui chantiez, avec quelques médias bien intentionnés, le triomphe idéologique de la droite et du libéralisme, vous êtes bien obligés de reconnaître aujourd'hui que rien ne peut être rétabli sans une intervention lourde de l'État, passant même par des nationalisations comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Vous les champions de la privatisation tous azimuts, vous voilà acculés à renoncer à privatiser La Poste car elle se révèle être aujourd'hui le seul pôle financier français à l'abri de la crise parce qu'elle est un service public. Certes, à vos yeux, ce n'est pas moderne, ce n'est pas faire comme nos partenaires. Sans doute, mais c'est efficace pour nous préserver d'un système qui a perdu tout sens de l'humain.

Cet échec idéologique et politique ne fait que renforcer les responsabilités de l'ensemble de la gauche, qui ne saurait se contenter de rafistoler ou de bricoler un système qui produirait les mêmes catastrophes demain. Il y a, en effet, un autre monde à construire. Il n'est à chercher ni dans un capitalisme light, ni dans un social-libéralisme de type Canada Dry, ni dans les vieilles recettes étatistes de l'ex-URSS. Mais une chose est sûre, il ne se construira qu'en s'attaquant aux racines du mal. C'est tout le sens de notre combat.

La racine du mal, c'est la dictature des marchés financiers et des taux excessifs de rentabilité. Nous ne pourrons sortir durablement de la crise sans remettre en cause les niveaux d'exigence de rentabilité des capitaux. Voilà ce qui doit être à la base de cet autre monde à construire.

L'urgence est de créer dès maintenant une nouvelle dynamique économique qui ne peut être fondée que sur un autre partage des richesses et une nouvelle façon de les produire. Seule une gauche ayant trouvé sa place à gauche peut y parvenir ! Cette urgence peut se traduire en un slogan simple que nos concitoyens comprennent parfaitement aujourd'hui : il faut rémunérer davantage le travail que le capital. Moins pour les profits, les dividendes, les stock-options, les cadeaux fiscaux accordés à quelques-uns ; plus pour les salaires, l'emploi, les retraites, la recherche, l'enseignement, en fait pour tout ce qui renforce la seule richesse réelle, celle des capacités humaines.

Aujourd'hui, nous n'en sommes plus à une régulation impossible car quand quelque chose ne marche plus, le problème n'est pas de réguler mais de changer.

Nous proposons trois niveaux de mesures – mondiales, européennes, françaises.

Au plan mondial, il faut supprimer les paradis fiscaux, véritable cancer du développement économique. Il s'agit également de taxer les transactions financières, grâce à une taxe Tobin améliorée, dont le produit permettrait à lui seul d'assurer un minimum vital en matière d'alimentation, de santé et d'éducation aux deux milliards d'êtres humains qui manquent de tout. Il importe aussi de plafonner les dividendes dont le niveau est un véritable fauteur de désordre. Ce ne sont pas les grèves qui mettent le désordre, ce n'est pas l'immigré, c'est la rapacité des actionnaires !

Enfin, il faut organiser un nouveau système financier international, sous l'égide de l'ONU, en créant une monnaie unique d'échange qui ne soit pas le dollar.

Au niveau européen, il faut :

Premièrement, changer les statuts et les missions de la Banque centrale européenne, qui doit servir prioritairement l'emploi en qualité et quantité, la recherche et l'investissement public, sources de croissance ;

Deuxièmement, se fixer des objectifs et un calendrier précis pour une harmonisation sociale et fiscale par le haut ;

Troisièmement, supprimer l'article 56 du traité européen qui autorise la liberté totale de circulation des capitaux ;

Quatrièmement, lancer un programme d'investissement en faveur de la recherche, des transports – notamment du rail –, de l'énergie, de la santé et de l'industrie.

À l'échelle de notre pays, il faut :

Premièrement, créer un pôle financier public car une des leçons à tirer de la situation, c'est la nécessité du double contrôle de l'État et du citoyen afin de permettre notamment un crédit sélectif et incitatif pour les investissements utiles à la production, à l'emploi, et dissuasif pour les investissements financiers – je pense en particulier au nécessaire soutien aux PME. Nous proposons dans le même temps de consacrer les 360 milliards d'euros de garanties de l'État directement à la sécurisation des prêts aux particuliers et aux PME ;

Deuxièmement, engager une réforme de la fiscalité consistant à supprimer le bouclier fiscal et les niches fiscales inutiles pour l'emploi et le développement économique, à instituer un impôt sur le revenu réellement progressif et juste avec une assiette assez large et un impôt sur les sociétés avec un taux différencié selon l'utilisation des profits ;

Troisièmement, élaborer un programme d'investissements publics coordonné avec l'Union européenne et surtout ne pas étrangler les collectivités locales, comme vous le faites en baissant les dotations d'État, alors même qu'elles réalisent 73 % des investissements publics en France ;

Quatrièmement, remplacer la recherche d'une rentabilité financière immédiate et outrancière par une augmentation des salaires et des retraites, car la consommation est et reste le premier moteur de la croissance économique ;

Cinquièmement, rééindexer l'augmentation des salaires sur la productivité.

Cette crise offre une chance à saisir car elle fait la démonstration que nous assistons aujourd'hui à l'épuisement d'un modèle de croissance économique à l'anglo-saxonne, un modèle qui est allé au bout de sa logique : créer toujours plus de valeurs pour les actionnaires en comprimant la part des salaires et de l'investissement utile et public dans la valeur ajoutée.

Cette crise efface comme d'un revers de manche cette affirmation mensongère ou ridicule – au choix – selon laquelle les caisses seraient vides, alors que partout, y compris chez nous, des milliards se perdaient dans la spéculation comme d'autres aujourd'hui vont se perdre dans le renflouement public de banques privées.

Face à ceux qui proposent la tenue d'états généraux de la dépense publique, les élus communistes et républicains proposent des états généraux sur les gaspillages privés, notamment ceux des banques, des assurances et des grandes entreprises multinationales. Cela ferait d'excellents états généraux, que nous pouvons tenir ensemble si vous le souhaitez !

Il faut saisir cette chance de changer la donne, c'est une responsabilité qui incombe à toutes les forces de gauche, politiques, syndicales, associatives, et, au-delà, à tous nos concitoyens qui ont vu et compris que ce système nous emmenait dans le mur. Cette responsabilité ne peut s'exprimer efficacement que dans le respect de toutes les composantes de ce rassemblement. Vouloir agir autrement serait, pour la gauche, signer pour un nouvel échec cuisant.

Madame, monsieur les ministres, votre budget et votre programmation sont à revoir pratiquement de A à Z car ils ne tirent aucun enseignement de la crise majeure que nous traversons actuellement. Pis, vous vous entêtez dans les choix qui l'ont favorisée. Le groupe de la gauche démocrate et républicaine, dans chacune de ses composantes – communistes et républicains, verts, et nos collègues des DOM-TOM –, s'opposera à un budget hors du temps.

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