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Intervention de évelyne Reguig

Réunion du 10 février 2009 à 17h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

évelyne Reguig, représentante de l'Association VIFF SOS Femmes :

Je dirige le centre d'hébergement de l'association VIFF SOS Femmes. Ce centre – l'un des premiers en France, créé à l'initiative de Mme Pascale Crozon – accueille les femmes dans des logements, selon une structure éclatée visant à éviter l'effet de ghetto et s'attache à apporter une réponse complémentaire à celle des structures collectives existantes. Cette forme d'hébergement permet à des mères accompagnées de grands enfants de quitter le domicile, alors que les limites d'âge imposées – on est considéré comme grand à partir de 13 ans – se traduisent ordinairement par un placement et donc par l'éclatement de la famille.

La question des enfants devrait être abordée plus systématiquement en cas de référé, lorsque des décisions doivent être prises en urgence pour autoriser une victime de violences à quitter le domicile. De fait, dans l'agglomération lyonnaise, il faut parfois attendre quatre à six mois une décision de la chambre de la famille.

L'idée selon laquelle un homme pourrait être « mauvais conjoint, mais bon père », encore répandue en France, doit être remise en cause. Au Canada, où l'on a constaté depuis longtemps que les pressions morales et psychiques augmentaient à mesure que la violence physique était interdite et condamnée, un père maltraitant envers la mère de ses enfants est considéré comme un père maltraitant envers les enfants eux-mêmes.

Il conviendrait de signifier au père, dès le départ de sa conjointe, que ses actes ont aussi touché ses enfants. Le fait que les conjoints violents puissent dire – dans le meilleur des cas – qu'ils n'ont « rien à faire » du départ de leur conjointe, mais qu'ils ont encore des droits sur leurs enfants montre aux petits garçons que la société admet le droit du plus fort. Le fait qu'un homme puisse venir récupérer ses enfants dans un centre d'hébergement sape la confiance chez toutes les femmes hébergées. Une position plus ferme est donc nécessaire pour ce qui concerne les enfants, et plus encore lorsque les enfants eux-mêmes sont victimes – notamment lorsque des garçons adolescents tentent de s'interposer pour protéger leur mère. Les femmes en seraient bien plus encouragées à exercer leur droit à porter plainte.

Si elle doit être proposée et facilitée, la mesure d'éviction du conjoint violent ne doit pas être systématique. Cette mesure peut éviter un départ en urgence de la victime et sa prise en charge par le SAMU social. Les modalités d'accueil de ce dernier sont très insuffisantes en raison de la fermeture du dispositif durant la journée qui contraint les femmes à faire le tour de la ville avec leurs enfants. Les villes qui ont la chance de disposer d'un accueil spécifique sont rares et les places y sont très peu nombreuses. Au demeurant, la majorité des femmes concernées ne souhaitent pas rester dans leur logement, où elles ont vécu des choses difficiles et où elles subissent le regard des voisins, voire l'emprise de la famille, ce qui leur rend presque impossible de recommencer une autre vie. En outre, le comportement de l'homme violent, souvent lié à un territoire, peut être exacerbé par la perte de celui-ci. Peut aussi se poser la question du coût du logement, parfois hors de portée de la femme qui se retrouve seule, notamment dans les milieux moyens et favorisés.

Aider les femmes et les enfants à recommencer leur vie ailleurs pose encore la question des places en centre d'hébergement. Souvent, les femmes ne portent pas plainte parce qu'elles n'ont aucune assurance d'avoir pu quitter le domicile lorsque leur conjoint recevra la convocation. L'exemple de la loi DALO montre que les meilleures idées se heurtent parfois à la réalité. Les logements sociaux sont peu nombreux et les femmes victimes, ne sont pas plus prioritaires que les occupants de logements indignes ou les personnes qui sont à la rue. L'IGAS a déjà consacré un rapport à cette question et a consulté notre association à ce propos.

La durée moyenne de séjour dans les centres d'accueil est passée de neuf mois à deux ans, voire deux ans et demi. Les sorties sont paralysées, car les bailleurs sont peu enclins à accueillir des mères de famille dont les enfants adolescents font peur dans les cages d'escalier. Or, moins les sorties sont rapides et plus le secteur de l'urgence est embouteillé. Ainsi, alors que notre connaissance de la problématique progresse, que les professionnels – y compris les policiers, dont ce n'était pas le métier de base – se forment, que les juges prennent en compte ces questions et que la réponse sociale se développe les femmes ne sont toujours pas des citoyennes de plein droit, car ce n'est pas être citoyenne que de devoir passer quatre ans dans un centre d'hébergement pour avoir osé dénoncer les violences dont on a été victime. À tout prendre, quand on s'occupait moins de ces questions, les femmes retrouvaient plus vite leur place de citoyennes !

L'insuffisance du logement social est une question majeure. Si les femmes avaient la garantie d'obtenir un logement, elles dénonceraient bien plus vite les violences, sans avoir peur d'être à la rue et d'entraîner leurs enfants dans ces difficultés. On a vu des pères obtenir la garde des enfants pour ne pas les faire changer d'école et parce qu'ils avaient un salaire, alors que leur mère ne pouvait leur garantir un toit. Les femmes sont confrontées à une triple victimisation. Cela ne se produisait pas quand l'emploi et le logement étaient un peu moins difficile et que ces questions faisaient l'objet d'un peu plus d'engagement.

En termes de moyens, l'écoute téléphonique, qui est l'une des premières possibilités offertes aux femmes d'être entendues et de voir s'ouvrir des portes, n'est pas financée. Les heures que nous consacrons au 3919 sont prises sur l'accompagnement social des personnes hébergées. C'est du bricolage associatif.

Même s'il est normal de donner la priorité aux familles en grande précarité, il n'en est pas moins préoccupant de constater que les femmes de milieux moyens et supérieurs sont moins nombreuses à solliciter notre intervention. C'est sans doute ce qui explique la multiplication des violences sur enfants dans des situations de huis clos familial qui perdurent. Si cet aspect du problème n'est pas réglé, les progrès accomplis par ailleurs resteront vains.

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