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Intervention de Jacques Le Guen

Réunion du 23 juillet 2009 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Le Guen, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques :

Je rappelle qu'à la suite des événements survenus à l'automne et en hiver derniers, vous avez, Monsieur le Président Ollier, en réponse à la demande de plusieurs députés ultramarins, pris l'initiative de la création de la mission d'information sur les prix des carburants dans les départements d'outre-mer en y associant les deux commissions des affaires économiques et des finances.

Il paraissait indispensable que le Parlement tente de cerner non seulement les mécanismes de formation des prix, mais aussi les causes plus profondes qui font l'originalité de la chaîne du pétrole dans les DOM, en raison notamment des particularismes locaux.

Alors que le Gouvernement chargeait en décembre un groupe de hauts fonctionnaires appartenant à l'inspection des finances, à l'inspection générale de l'administration et au conseil général des Mines d'une mission d'expertise et commandait à l'Autorité de la concurrence un avis sur les pratiques concurrentielles dans ce secteur particulier, il nous appartenait de jeter sur cette délicate question un regard moins administratif, mais tout à la fois plus prospectif et plus politique.

Malgré l'urgence de la situation, il est apparu judicieux aux rapporteurs, en accord avec le président Patrick Ollier, de prendre le temps de la réflexion, de travailler sur le long terme et de tenter de faire coïncider la publication des propositions en cohérence avec l'avancement des travaux des états généraux sur l'outre-mer, de façon à compléter leur information et à éclairer les décisions politiques à venir.

Notre rapport s'articule autour de quatre parties principales :

– la première décrivant les spécificités des marchés des carburants dans les DOM,

– la deuxième, plus analytique, s'efforçant de mettre à jour les dysfonctionnements des marchés des carburants,

– la troisième traitant les particularités propres à chaque département ; partie dans laquelle sont abordés les cas de la Société réunionnaise des produits pétroliers (SRPP) à La Réunion et de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) en Martinique,

– enfin une quatrième partie qui recense et argumente les propositions de la mission.

Il nous est apparu nécessaire de rappeler en tout premier lieu que les marchés ultramarins sont des marchés de petite taille, mais où depuis peu, notamment pour la Guyane, s'appliquent les spécifications réglementaires prévues par les normes européennes en matière de carburants ; normes particulièrement contraignantes au regard de leur composition, de manière à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter ainsi contre le réchauffement climatique de la planète.

Autre caractéristique commune aux quatre départements : l'absence de concurrence réelle conférant au système de distribution de détail un rôle social particulier ; il n'est pas rare que les stations-service, qui assurent un véritable service à la pompe, emploient, de ce fait, une dizaine voire plus de salariés.

L'éloignement, les normes à respecter pour les carburants et le mode d'approvisionnement par voie maritime expliquent notamment que les prix des carburants soient fixés administrativement. Ce sont en effet des arrêtés préfectoraux qui fixent un prix maximum des carburants sur lequel s'alignent immanquablement les distributeurs de détail.

Les variations brutales des prix du baril, notamment la baisse enregistrée l'année dernière, ont révélé les dysfonctionnements des marchés pétroliers ultramarins. En effet, le système de fixation des prix lié aux approvisionnements ne répercute qu'avec retard les fluctuations des cours du brut.

Face à une crise sociale dont le prix des carburants a été le catalyseur et qui s'est propagée d'un département à un autre (La Réunion dès septembre 2008, puis la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique) les préfets ont procédé à une baisse unilatérale des prix des carburants, retenant d'ailleurs un prix proche de celui du prix moyen en métropole, sans que celui-ci réponde à la moindre logique économique.

Une étude approfondie des deux entreprises ultramarines, la SRPP pour La Réunion et la SARA pour les départements français d'Amérique, fait apparaître une organisation complexe de structures d'entreprise intégrées, dans lesquelles les compagnies pétrolières occupent une position dominante, dans une certaine opacité. La décomposition de la chaîne pétrolière met en évidence des relations complexes où les filiales des compagnies pétrolières se cèdent les unes aux autres les produits exploités, puis transportés, puis raffinés pour enfin qu'une nouvelle filiale veille à sa distribution dans un réseau de stations-service à son enseigne données en location gérance selon des contrats aux clauses parfois sibyllines.

À la suite des déplacements réalisés par la mission d'information, il est apparu que chaque département avait ses spécificités propres.

À La Réunion, la SRPP importe de Singapour des produits raffinés qu'elle stocke pour le compte de ses actionnaires, qui sont également les grossistes distributeurs. Un examen des comptes de la société fait clairement apparaître que les bénéfices tirés de cette activité de stockage sont très élevés ; les marges des grossistes et des distributeurs de détail apparaissant elles aussi confortables. Enfin, il faut souligner que le coût du transport, du fait de la taille réduite des navires, dimensionnés aux accès du port, est relativement élevé. Toutefois, des travaux d'aménagement du quai ont été entrepris afin d'accroître le tonnage des approvisionnements sans que la SRPP ait réalisé les travaux nécessaires à sa mise en service.

Les trois départements français d'Amérique (DFA) partagent un même problème, celui de ne pas respecter les obligations découlant de la réglementation européenne sur les volumes des stocks stratégiques pétroliers, les capacités de stockage étant insuffisantes. Cette situation est d'autant plus préoccupante que cette réglementation va être prochainement rendue plus rigoureuse.

En Martinique, la SARA, qui a été créée à l'initiative du général de Gaulle en 1969 afin de garantir l'approvisionnement des Antilles, constitue le pivot de la chaîne du pétrole. Comme pour la SRPP, ses actionnaires sont également les compagnies pétrolières qui organisent la distribution de gros et de détail dans leurs réseaux de stations-service. Rien d'étonnant donc que cette société ait focalisé les critiques et les accusations de « profitation » lors des événements qui ont paralysé les départements français d'Amérique. Il faut bien reconnaître que, s'agissant de ses activités, notamment l'importation de produits raffinés, la SARA n'a pas été d'une transparence totale, alimentant ainsi les rumeurs à son encontre.

La Guadeloupe, comme la Guyane, est approvisionnée en produits raffinés par la SARA. Contrairement à la Martinique, des distributeurs indépendants tentent de s'implanter sans pour autant disposer de capacités de stockage, l'ensemble des réservoirs implantés en Guadeloupe appartenant à la SARA, et le développement de nouvelles capacités se heurte à des difficultés liées à l'insularité. Comme pour la Martinique, le réseau de stations-service présente une forte densité, à tel point que le secrétaire d'État à l'outre-mer a signé un protocole d'accord avec les gérants visant à geler temporairement l'ouverture de toute nouvelle station-service. Par ailleurs, les salariés des stations-service bénéficient d'une convention collective départementale particulièrement favorable. Enfin, il convient de souligner qu'en application du protocole d'accord signé le 4 mars dernier entre le préfet, les élus territoriaux et les associations de consommateurs dont le LKP, l'État s'engage à mettre en place un nouveau dispositif de gestion des carburants assurant plus de transparence et tenant compte de la problématique des emplois dans les stations-service. De même, il entend suspendre dans la structure des prix des carburants la taxe sur les huiles usagées et « dans l'hypothèse où la mission d'inspection aura mis à jour la perception de sommes indues par l'un ou l'autre des acteurs de la filière pétrolière, ces sommes, susceptibles in fine d'être reversées par ce ou ces acteurs, serviront à alimenter un fonds de formation professionnelle par la Région ».

Ce n'est que récemment, en 2007, à la suite d'une action en justice des concessionnaires automobiles, que les distributeurs guyanais qui s'approvisionnaient précédemment à Trinidad et Tobago sont tenus de livrer des carburants aux normes européennes plus onéreux et donc de s'approvisionner auprès de la SARA. Autre élément intervenant dans la cherté des prix des carburants, le poids d'une fiscalité (la taxe spéciale sur les carburants) au taux maximum. Il faut toutefois convenir que les besoins en investissements publics sont considérables, en particulier en matière d'infrastructures routières. La SARA n'assure en Guyane qu'une prestation de stockage dont elle a le monopole et qui est largement bénéficiaire.

La mission d'information a pu constater combien l'incompréhension d'un système de fixation des prix, au demeurant complexe, était à l'origine du malaise exprimé tant par les élus et les acteurs économiques que par les consommateurs. Il lui est alors apparu que les mesures prioritaires à mettre en oeuvre consistaient à établir les conditions d'une transparence totale sur le régime des prix administrés afin de lever à l'avenir toute forme d'ambiguïté. C'est dans cet esprit que la mission propose 21 mesures que mon collègue Jérôme Cahuzac et moi-même allons détailler.

La première proposition tend à créer un comité de suivi des prix des carburants permettant de consulter l'ensemble des parties prenantes, préalablement à la publication de l'arrêté de fixation des prix des carburants. En effet, il importe de mettre en place, dans chaque département une structure, associant toutes les parties prenantes : représentants des consommateurs, représentants de l'État et des collectivités territoriales (régions et départements), et représentants des acteurs de la chaîne du carburant (compagnies pétrolières, gérants de stations-service, transporteurs). Il convient en effet de disposer d'une instance multipartite, indépendante du préfet (contrairement aux observatoires des prix), dédiée spécialement à la question cruciale des prix des carburants, dont les membres auront pour mission de lever l'opacité actuelle et de créer les conditions d'une transparence totale sur l'ensemble des procédures de fixation des prix. Ce comité de suivi donnera son avis préalablement à toute décision (nationale ou locale) touchant à la formation des prix des carburants, excepté la fiscalité qui restera de la responsabilité des collectivités territoriales. Ses avis seront rendus publics et annexés aux arrêtés préfectoraux de fixation des prix. Sa présidence sera confiée à une personne dont l'indépendance ne saurait être mise en doute, par exemple un membre de l'Autorité de la concurrence, appelé à présider les quatre comités de suivi.

La deuxième proposition a pour objet d'imposer aux stations-service l'affichage visible des prix administrés, avec la précision du «prix maximum ». Le prix des carburants n'est pas affiché dans les DOM. Le consommateur ignore donc qu'il acquitte systématiquement le prix maximum autorisé. Rendre cet affichage obligatoire ainsi que celui du prix maximum autorisé pourrait se révéler susceptible de faire jouer un minimum de concurrence. Des différences de quelques centimes entre distributeurs concurrents ne devraient pas mettre en péril le modèle social protecteur que constitue le mode de commercialisation des carburants.

La troisième proposition vise à recenser les cuves privées et à soumettre leur installation, à partir d'une certaine capacité, à une autorisation administrative. Le stockage de produits pétroliers dans des « cuves privées » constitue actuellement dans les DOM une solution adoptée par les particuliers et les entreprises, largement facilitée non seulement par les grossistes indépendants, mais également par les compagnies pétrolières. Le développement rapide de cette forme de stockage est mal perçu par les distributeurs de détail qui y voient une forme de concurrence déloyale. Cette forme de stockage est d'ores et déjà réglementée et le stockage dans des cuves particulières doit répondre à des spécifications précises. Si les citernes particulières d'un volume inférieur à 1 500 litres ne font pas l'objet de règles précises, tout stockage supérieur à ce volume doit obligatoirement répondre, en raison de sa dangerosité, à des normes de sécurité particulières et faire l'objet d'une déclaration en préfecture. Or, d'après les informations recueillies, il semblerait qu'il n'existe, dans les DOM, aucun recensement officiel du nombre et de l'emplacement de ce type de stockage. Compte tenu des risques élevés, il apparaît souhaitable que toute installation de cuve supérieure à 1 500 litres soit à l'avenir soumise à une autorisation préalable délivrée après vérification de la prise en compte dans ses conditions d'installation, des risques sismiques et climatiques.

La quatrième proposition tend à obliger les compagnies pétrolières à transmettre aux directions régionales de la concurrence et de la répression des fraudes, les contrats signés avec les détaillants, permettant ainsi à l'administration de vérifier qu'ils ne comportent pas de clauses abusives. La mission a pu avoir accès à plusieurs contrats de location-gérance liant les gérants de stations-service aux compagnies pétrolières propriétaires. Ceux-ci présentent un diverses clauses dont la portée est particulièrement contraignante pour les locataires-gérants. Les compagnies ont, en effet, une forte propension à transférer aux gérants, une part importante des charges de maintenance des installations. Par ailleurs, les tournures juridiquement sibyllines de certaines clauses des contrats pourraient laisser entendre que le montant du loyer réclamé tiendrait compte d'activités annexes (boutique notamment) non liées directement à la distribution de carburants. Il apparaît donc important que les contrats et leurs éventuels avenants, soient transmis aux directions régionales de la concurrence et de la répression des fraudes afin de s'assurer qu'ils ne comportent pas de clauses exorbitantes.

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