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Intervention de Benoist Apparu

Réunion du 27 mai 2009 à 10h00
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenoist Apparu, rapporteur :

Avant de présenter les principales propositions du rapport, je tiens à rappeler que la nécessité d'une réforme du lycée fait l'objet d'un large consensus puisqu'en juillet 2008 les organisations syndicales et lycéennes ont signé sur ce sujet un document relatif aux points de convergence sur les objectifs et les principes directeurs de la réforme.

Toutefois, ce consensus est essentiellement syndical et n'est pas partagé par tous les intéressés sur le terrain. Si chacun a conscience que l'école primaire et le collège constituent des maillons faibles de notre système éducatif, une réforme du lycée n'est pas jugée nécessaire par de nombreux élèves, parents ou enseignants, soit précisément tous ceux qui fréquentent des établissements de centre ville où n'existe aucun problème. Or ces lycées, où « tout va bien » et qui ne constituent 40 % du total, ne doivent pas nous faire oublier que notre véritable objectif est de faire en sorte que 100 % des établissements aillent bien.

Cette réforme doit être menée sous réserve du respect de deux préalables :

– la réforme doit bénéficier de moyens constants ; par conséquent, la diminution des dépenses qu'elle devrait permettre doit se traduire non pas en de simples économies mais en réaffectation de moyens dans les lycées ;

– notre action doit être rapidement engagée, mais doit s'inscrire dans la durée ; cela fait quarante ans que l'on réforme le lycée pour supprimer ce qu'on pourrait appeler l'effet filière : on peut donc estimer que les modalités du nouveau lycée ne doivent pas être toutes mises en oeuvre en 2010 ou 2011, mais être appliquées progressivement, en prenant trois ou quatre années s'il le faut.

J'en viens maintenant à mes principales propositions. Elles tendent à répondre aux critiques relatives à l'organisation actuelle des études au lycée général et technologique, qui a pour effet de sélectionner les lycéens par défaut, en fonction de filières : dès la seconde, les meilleurs élèves sont dirigés vers la série S, les moyens vers les séries ES et L et les plus faibles vers les séries technologiques. Par ailleurs, ces préconisations visent à remédier à la situation absurde actuelle où le lycée ne prépare pas assez ses élèves à l'enseignement supérieur.

Je le disais tout à l'heure : cela fait quarante ans qu'on réforme le lycée pour mettre fin à l'orientation subie. Je rappelle que la mise en place des filières actuelles du lycée avait pour origine la volonté de mettre fin à la sélection précédente – qui s'exprimait au travers des filières A, C et D – et plus précisément pour remédier à la prééminence de la voie C.

Cette réforme ayant échoué, il en faut une nouvelle : le lycée doit proposer aux lycéens un vrai choix d'études ; il ne doit pas les diriger en fonction d'un classement scolaire qui, en outre, ne les prépare pas suffisamment à l'enseignement supérieur.

J'en viens maintenant aux propositions du rapport, dont je vais vous présenter les sept ou huit principales.

La première proposition tend à redéfinir la place du lycée général et technologique dans l'ensemble du parcours scolaire et universitaire, dont les finalités ont profondément évolué sans que le découpage actuel de la scolarité n'ait évolué.

Autrefois, l'Éducation nationale avait pour objet principal que tout jeune Français atteigne la fin du primaire, le premier degré de la scolarité. Aujourd'hui, la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans et l'institution d'un socle commun de connaissances et de compétences que tout élève est censé maîtriser doit nous conduire à considérer que chaque élève, soit 100 % d'une classe d'âge, doit aller jusqu'en troisième. Par ailleurs, notre société réclame aujourd'hui de plus en plus de jeunes qualifiés et spécialisés, des jeunes possédant un niveau d'études Bac plus 5. A titre d'illustration, les enseignants ont été longtemps recrutés à la sortie du collège. Désormais, avec la mastérisation, ils sont recrutés à un niveau Bac plus 5, soit un écart de huit années par rapport à la situation initiale. Par conséquent, le lycée général et technologique n'est plus une fin en soi ; ne débouchant plus sur la possibilité d'exercer une profession, ce qui est la finalité du lycée professionnel, il doit conduire vers un niveau d'études supérieures, soit à l'obtention de la licence.

C'est pourquoi, il est proposé une nouvelle segmentation du parcours scolaire, organisée autour de deux grands « blocs » : le socle commun – devant être acquis par chaque classe d'âge et comprenant le primaire –, suivi d'un nouveau cycle, précédé par le sas que constitue la classe de seconde et qui englobe les classes de première et de terminale, ainsi que le cycle court de l'enseignement supérieur, soit les trois années de la licence.

Cette nouvelle segmentation permet de faire ressortir l'articulation entre le lycée général et technologique et l'enseignement supérieur court et le rôle que joue le premier dans l'accès de 50 % d'une classe d'âge à un diplôme de l'enseignement supérieur.

Une autre proposition vise à créer une nouvelle organisation du lycée afin d'offrir un véritable choix aux élèves. Aujourd'hui, les trente-cinq heures hebdomadaires moyennes de cours ne permettent aux élèves ni de choisir leurs études, ni d'acquérir une méthodologie les préparant à l'enseignement supérieur.

Il est donc proposé d'organiser les enseignements autour d'un triptyque constitué d'un tronc commun, d'un temps d'approfondissement et d'un temps d'accompagnement dont les durées diffèreront selon les classes :

– En seconde, un tronc commun (français, mathématiques, sciences expérimentales, histoire-géographie, langues vivantes, éducation physique et sportive) représenterait 70 % du temps des études. Un temps d'approfondissement permettrait la découverte obligatoire des sciences économiques et sociales et de la technologie, ainsi qu'un approfondissement en lettres ou en sciences ; il correspondrait à 20 % du temps des études. Un temps d'accompagnement, représentant 10 % du temps scolaire, qui n'existe pas à l'heure actuelle, permettrait aux élèves de bénéficier d'un soutien et d'un apprentissage sur les méthodes de travail (travail en groupe, travail personnel) et sur l'orientation.

– En première et terminale, le tronc commun se réduirait progressivement (à 50 % puis à 40 % du temps des études) au profit du temps de l'approfondissement (qui passerait à 40 %, puis à 50 %), le temps de l'accompagnement restant toujours le même.

En définitive, je propose une refonte de l'organisation du lycée fondée sur un principe d'orientation progressive. L'une des difficultés principales du lycée est en effet qu'il oblige des élèves âgés de seize ou dix-sept ans à s'orienter pour deux ans, dès la fin de l'année de seconde, vers la filière scientifique, économique et sociale ou littéraire. Ce choix d'orientation est compliqué et souvent le fait des parents avec l'idée que la filière scientifique constitue la voie royale, les autres filières étant choisies par défaut.

C'est pourquoi nous proposons une spécialisation plus progressive. À cet effet, il nous semble souhaitable de garder une seconde générale et technologique indifférenciée. Un premier pallier d'orientation serait proposé en fin de seconde, afin d'orienter les élèves vers une première générale ou technologique. Un second pallier d'orientation serait proposé en fin de première et ce n'est qu'en terminale que la spécialisation serait effective entre la terminale générale (littéraire, scientifique ou économique) et la terminale technologique (sciences de l'industrie, sciences de la gestion, sciences de la santé ou sciences du laboratoire). Une telle organisation rendrait ainsi possible la réorientation en première entre la voie générale et la voie technologique qui existe, certes, sur le papier, mais pas dans les faits.

S'agissant de l'organisation plus précise de la seconde, nous proposons une nouvelle répartition du temps scolaire qui serait consacré à 70 % au tronc commun (français, mathématiques, histoire-géographie, langue vivante 1, langue vivante 2, sciences expérimentales, sport). Par ailleurs, 20 % du temps scolaire serait consacré à l'approfondissement, prenant la forme de quatre modules de spécialisation, soit deux modules obligatoires et deux modules au choix. Les deux modules obligatoires porteraient sur des matières qui n'appartiennent pas au « tronc commun » et ne sont pas enseignées de manière systématique au collège : les sciences économiques et sociales et les disciplines technologiques. Les deux modules librement choisis par l'élève lui permettraient soit de découvrir des matières n'appartenant pas au tronc commun, soit de reprendre, pour les approfondir, des disciplines parmi celles qui lui sont déjà enseignées. Enfin, 10 % du temps scolaire serait consacré à l'accompagnement.

Parmi les propositions les plus importantes et novatrices du rapport figure la création d'un sas de rattrapage l'été pour lutter contre le redoublement en seconde. L'une des principales critiques contre le lycée porte en effet sur le taux de redoublement en fin de seconde, qui est la classe la plus redoublée du secondaire, collège et lycée confondus. Le taux de redoublement est de 15 % pour un coût d'un milliard d'euros. Nous proposons d'investir ce milliard d'euros dans le passage en première en créant un sas de rattrapage l'été. Ainsi le conseil de classe de fin d'année de seconde aurait trois options :

– proposer le redoublement ;

– autoriser le passage en première ;

– autoriser un « passage suspensif » en première en obligeant l'élève à accomplir, pendant le mois de juillet ou d'août, un sas de remise à niveau au lycée qui offrirait à l'élève un soutien individualisé, centré sur les matières dans lesquelles il a besoin de progresser et à la suite duquel un conseil de classe prendrait à la rentrée une décision définitive. Il ne s'agirait donc pas pendant ce stage de parcourir à marche forcé le programme, mais de concentrer les enseignements sur les points les plus faibles de l'élève.

Je souhaite à présent revenir sur un point fréquemment évoqué : le temps scolaire. Ce dernier est considéré à juste titre comme trop lourd. Entre les heures de cours, qui représentent, en moyenne, entre trente-cinq et trente-huit heures, et les heures de travail à la maison, qui atteignent dix à quinze heures hebdomadaires selon les filières, le lycéen français travaille entre quarante et cinquante heures par semaine.

Nous proposons de ramener ce temps de travail à « trente-cinq heures TTC », c'est-à-dire tous types de travaux compris. Car, il convient de le souligner, le travail à la maison est un facteur déterminant des inégalités sociales. Plus les heures de travail à la maison sont importantes, plus les élèves issus d'un milieu social favorisé sont avantagés, car leurs parents (enseignants, cadres, etc.) sont plus en mesure de les aider à faire leurs devoirs ou de leur offrir des cours particuliers, tandis que les autres élèves sont pénalisés. Une différenciation importante se fait par ailleurs entre les élèves qui ont envie de travailler à la maison et ceux qui préfèrent s'adonner à d'autres activités telles que les jeux vidéo et la télévision.

Ce que l'on nous a dit, notamment lors de notre déplacement au lycée de Bondy, c'est qu'il faut faire le maximum de travail au lycée. C'est pourquoi nous proposons de ramener le temps scolaire à trente-cinq heures au total comportant cinq heures d'étude au lycée, ce qui permettrait aux élèves de faire leurs devoirs au lycée sous la surveillance et avec l'aide des enseignants. Ainsi, le temps scolaire en seconde, si l'on prend l'exemple de cette classe, se répartirait entre trente heures d'enseignement (vingt-et-une heures de tronc commun, six heures de spécialisation, trois heures d'accompagnement) et cinq heures d'étude.

La diminution de l'horaire hebdomadaire des élèves aurait donc pour conséquence de réduire à vingt-sept heures par semaine, au lieu de trente-cinq heures en moyenne actuellement, les enseignements disciplinaires. Cette diminution est nécessaire car je rappelle que l'horaire moyen en classe du lycéen français et supérieur de 10 à 20 % à celui du lycée des pays européens.

Cependant, afin que la diminution des horaires disciplinaires n'entraîne pas une perte de qualité des enseignements et une diminution du niveau de compétence, une refondation complète des programmes permettant un travail interdisciplinaire plus important qu'aujourd'hui est nécessaire. Des points de convergences doivent être établis entre les disciplines, par exemple entre l'histoire et l'économie, la physique, la chimie les mathématiques. A titre d'illustration, comme la géologie est enseignée en classe de sciences de la vie et de la terre et en classe de géographie, on devrait pouvoir établir des passerelles entre les différents programmes.

Je tiens à souligner que cette refonte des programmes, loin d'instaurer le lycée « light » que beaucoup craignent, ne baissera en rien le niveau des connaissances et des compétences exigées mais conduira, en misant sur l'interdisciplinarité, à faire davantage appel à l'intelligence.

Quelles pourraient être les conséquences de cette nouvelle organisation du lycée sur le baccalauréat ? Si les nombreuses tentatives de réforme du baccalauréat ont échoué, c'est notamment parce que ce dernier fait figure de « vache sacrée » quasiment intouchable. Nous souhaitons le maintien d'un examen terminal qui demeure utile sur le plan pédagogique en ce qu'il sanctionne un parcours scolaire. Mais la question se pose d'une redéfinition de son périmètre. Nous proposons le maintien de l'épreuve anticipée de français à la fin de la première, mais nous proposons pour le baccalauréat un format resserré sur quatre épreuves écrites : deux épreuves de culture générale (histoire-géographie et philosophie) et deux épreuves portant sur les enseignements de spécialisation. Tous les autres enseignements, comme les deux langues vivantes, les enseignements de la spécialisation non contrôlés lors des épreuves du baccalauréat, et l'éducation physique et sportive, feraient l'objet d'un contrôle en cours de formation.

J'en viens maintenant aux mesures qui permettraient d'améliorer le passage du lycée vers l'enseignement supérieur, car chacun s'accorde à reconnaître que le premier ne prépare pas assez ses élèves au second.

À cet effet, nous proposons tout d'abord de redonner aux instituts universitaires de technologie (IUT) leur finalité initiale. Rappelons que les IUT sont censés être des formations courtes et le débouché naturel des bacheliers technologiques. Or on constate un dérèglement des flux d'orientation puisque 70 % des étudiants d'IUT sont issus de la filière générale et seulement 30 % de la filière technologique ; 40 % des bacheliers technologiques intègrent donc l'université faute d'avoir pu s'inscrire dans la formation qu'ils voulaient, avec un taux d'échec très important en premier cycle. Nous proposons donc de créer un quota de bacheliers technologique dans les IUT, qui serait fixé à 50 % contre environ 30 % aujourd'hui. Rappelons que le Conseil européen de Lisbonne a fixé l'objectif que 50 % d'une classe d'âge atteigne un diplôme de l'enseignement supérieur. L'attribution de 50 % des places en IUT aux bacheliers technologiques et la mise en place, au bénéfice de ces derniers, de sas méthodologiques en début de formation permettraient de progresser vers cet objectif.

Nous proposons en second lieu la déspécialisation de la première année de licence. Cette première année déspécialisée est inspirée de la réforme de la première année des études de médecine prévue par une proposition de loi en cours de discussion et qui prévoit d'instaurer une première année commune aux études de santé (médecine, odontologie, sage-femme et pharmacie). Ainsi, la première année de licence pourrait être relativement généraliste. L'étudiant explorerait les savoirs de celui des quatre grands secteurs de formation dans lequel il souhaite se spécialiser, à savoir les disciplines juridiques, économiques et de gestion, les lettres et sciences humaines, les sciences et technologie ou les disciplines de santé. La première année universitaire permettrait donc une orientation plus progressive de l'élève et lui permettrait de découvrir des matières qui ne lui ont pas été enseignées au lycée (sociologie, psychologie, etc.).

Pour améliorer le passage entre le lycée et l'enseignement supérieur, le rapport formule sept ou huit propositions. Il y en a donc des propositions que je n'ai pas abordées car j'ai souhaité centrer mon propos sur les deux principales.

Je souhaite à présent revenir sur notre méthode de travail et souligner que nous avons travaillé dans de très bonnes conditions. Le travail fut intéressant et fructueux, notamment nos déplacements et en particulier celui que nous avons fait à Bondy. Je remercie les onze députés membres de la mission mais aussi les soixante députés qui nous ont fait parvenir, à ce jour, des contributions d'une grande richesse après avoir organisé des réunions dans des lycées de leur circonscription. Je salue le caractère innovant et fructueux de cette méthode de travail.

Je voudrais enfin faire part de mon étonnement et regretter que le président de la mission d'information ait refusé de soumettre les propositions au vote, contrairement à l'accord qui avait été donné par les membres de la mission – tant sur le principe d'un vote proposition par proposition que sur le fond des sept ou huit propositions principales que j'ai présentées –, lors de la réunion de travail du 28 avril dernier.

Ce virage à 180 degrés, par lequel les mêmes députés qui avaient approuvé le schéma général de la réforme présenté le 28 avril dernier et le rejettent maintenant, résulte probablement de consignes prises auprès de la rue de Solférino. Dans le contexte politique actuel, sans doute a-t-il été considéré qu'un accord sur des propositions présentées par la majorité n'était pas politiquement envisageable. La conclusion que l'on peut en tirer est que les « godillots » siègent sur tous les bancs de notre assemblée.

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