J'évoquerai tout d'abord la situation de La Poste, ses enjeux et ses opportunités, mais également les risques auxquels elle devra faire face pour assurer son avenir et celui de ses missions de service public.
Actuellement, La Poste remplit parfaitement ses missions, et pour cela elle est très appréciée des Français. Depuis des lois de 2005 et 2008, qui les ont parfaitement définies, ces missions sont au nombre de quatre : le service universel du courrier, la présence territoriale, la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire, conformément aux principes de financement dictés par la loi. La Poste respecte les préconisations de la loi comme s'il s'agissait d'un cahier des charges, quelles que soient les orientations du Parlement. Le plus important sera, à l'avenir, de préserver le socle de ces missions de service public.
Ces missions étant inscrites dans la loi, le seul risque de les voir disparaître tient au manque de moyens. Si nous voulons que La Poste les assure pleinement, nous devons veiller à la maintenir en bonne santé et encourager son développement. Pour cela, il faut lui permettre de faire des investissements et de développer la qualité de ses services et ses performances économiques. Il n'y a pas de contradiction entre la bonne santé d'une entreprise et ses exigences de service public, et j'irai jusqu'à dire que ces deux éléments se renforcent mutuellement.
Pour autant, la Poste doit assurer ses missions dans un milieu concurrentiel, qui le sera encore plus en 2011, et c'est dans un contexte de crise et confrontée à la concurrence qu'elle doit faire face à d'importantes mutations technologiques.
Quelques chiffres : avec un effectif de 300 000 personnes, dont 20 000 à l'extérieur de notre territoire, un chiffre d'affaires de 21 milliards d'euros, dont la moitié provient du courrier, le quart des colis et exprès et le quart de la Banque, La Poste a fait le choix stratégique de rester un groupe uni et de conserver des activités diversifiées. En période de crise, ce choix est un véritable atout. Certains concurrents n'ont pas suivi la même voie : les Allemands, par exemple, ont choisi de devenir des leaders dans le domaine de la logistique et d'abandonner le savoir-faire et les valeurs postales.
La Poste représente 1 % du PIB français et elle est présente sur tout le territoire : son poids dans notre économie est donc considérable. Elle est très liée à l'activité économique dans la mesure où, grâce à l'activité courrier et colis express, 90 % de son chiffre d'affaires provient des acteurs économiques, dont 40 % de ses cinquante plus gros clients. C'est sur ceux-là que portera la concurrence, et l'avenir de La Poste dépend de leur bonne santé. Ainsi, les difficultés des entreprises de vente à distance ont un impact direct sur l'économie de La Poste, et ce d'autant que ces entreprises sont des clients à double titre : lors de la phase de marketing, avec l'envoi du courrier ou du catalogue, et lors de la livraison aux clients.
La Poste ne vit donc pas des contribuables, mais uniquement de la vente de produits et de services, à l'exception toutefois de l'aide à la presse et à la distribution, mais les sommes concernées n'ont fait que transiter par les comptes de La Poste.
La Poste est une grande entreprise de logistique et de services, qui doit faire face à d'importantes mutations technologiques concernant le traitement du courrier, car la fréquentation des bureaux de poste est en constante diminution du fait de l'extension du réseau de postes automates et surtout de la consultation des sites Internet. La crise économique, qui amène les entreprises à délaisser le courrier, afin de réduire leurs dépenses, nous oblige à redoubler nos efforts. Entre 2007 et 2008, le volume du courrier a diminué de 3 % ; il semble que dès le premier trimestre 2009, cette baisse se situe entre 4 et 5 %.
Dans ce contexte en pleine mutation, il faut à La Poste un vrai projet industriel de développement, que la commission réunie autour de François Ailleret était chargée d'étudier et de valider. Ce projet entend poursuivre la modernisation du secteur du courrier – en proposant de nouveaux services et en renforçant notre engagement auprès des clients – et lui garantir des perspectives de développement suffisantes pour compenser les effets de la décroissance des volumes et des flux, en développant le service aux entreprises et sa dimension européenne.
Dans le domaine du courrier, l'avenir de l'entreprise ne sera pas assuré si elle poursuit ses activités traditionnelles, l'affranchissement et la distribution, sur le seul territoire national, puisqu'elles sont en constante diminution. L'avenir du courrier et du colis passe par la mise en place d'un véritable service aux entreprises à l'échelle européenne. Pour La Poste, la crise a ceci de positif qu'elle amène les entreprises à externaliser leur fonction courrier. Cela représente une opportunité pour l'entreprise, à condition qu'elle dispose des ressources et de la flexibilité nécessaires.
Que recouvre le service aux entreprises ? Demain, La Poste ne se contentera plus d'affranchir et de distribuer le courrier, elle prendra en charge l'ensemble du cycle en y ajoutant de la valeur, car les nouvelles technologies permettront de fabriquer, voire de trier le courrier à partir des bases de données des clients et de le distribuer, pour ensuite assurer la gestion de l'information et son archivage au sein même de l'entreprise. Mais ces nouvelles technologies nécessitent d'importants investissements. C'est un pan entier de développement qui s'offre à La Poste, si elle en saisit l'opportunité.
Le marché du colis est plus porteur, à condition que le groupe soit en mesure d'assurer un service de plus en plus personnalisé, ce qui nous obligera à investir dans les systèmes d'information. Jusqu'à présent, les caractéristiques d'un colis sont déterminées par les expéditeurs ; demain, elles le seront par les destinataires, qui choisiront le lieu et la date de la livraison. Cela nous amène à reconsidérer les chaînes de l'information, en prenant naturellement en compte l'importance d'Internet. Toutes ces évolutions exigent, elles aussi, des investissements importants.
Dans le domaine du colis express, d'une entreprise vers d'autres entreprises, La Poste devra conforter la place qu'elle occupe en Europe. Le choix que nous avons fait de placer nos produits en milieu de gamme – notamment en utilisant peu le transport aérien – devrait nous y aider, surtout en période de crise. Sur ce plan, La Poste occupe la meilleure position stratégique au sein de l'Europe, mais face à des phénomènes de concentration, il lui faudra conserver son rang – le deuxième en Europe – et élargir son réseau au niveau mondial. Pour cela, elle aura également besoin de ressources.
L'enseigne des bureaux de poste fait l'objet d'un important programme de modernisation. Plus de 2 000 bureaux ont été restaurés au cours des trois dernières années, et nous avons accompli des efforts considérables pour améliorer la qualité des services – accueil des clients, réduction des temps d'attente. Nous avons engagé pour cela quelque 5 800 partenariats. Bien que la fréquentation des bureaux de poste en milieu rural ne cesse de diminuer, nous réalisons environ cinquante transformations par mois. À La Poste, nous sommes très attachés au maintien, voire au développement des services publics, c'est pourquoi nous devons lui donner les moyens de développer les activités à forte valeur ajoutée, comme le conseil ou les activités de services.
Pour cela, il faut accélérer la modernisation des équipements et des systèmes d'information, et améliorer la relation de service. Dans les zones urbaines, dont le poids économique est considérable, nous nous efforçons de répondre aux attentes des clients. C'est ainsi que nous avons étendu les horaires d'ouverture des bureaux. À Paris, avant la fin de cette année, les bureaux de poste seront ouverts jusqu'à vingt heures du lundi au vendredi, jusqu'à 13 heures le samedi, et le samedi après-midi pour certains d'entre eux ; à Grenoble, tous nos bureaux seront ouverts le samedi après-midi. Cette dynamique nécessite, encore une fois, des ressources et des investissements.
Quant à la Banque postale, elle a montré en 2008 la qualité et la rigueur de sa gestion, qui justifient pleinement la confiance que les Français lui accordent. N'ayant ni subprime ni actif toxique, elle a pu contribuer de façon significative au refinancement des banques, et elle a remporté un vrai succès commercial en 2008 en enregistrant un nombre jamais atteint de collectes, de livrets A et de contrats d'assurances vie, et en voyant progresser son produit net bancaire.
Si nous avons craint que les transferts de livrets A se multiplient, nous ne déplorions, à la fin du mois de février, que 40 000 transferts – sur 23 millions de livrets A. Si la décollecte s'accélère, il est évident qu'elle n'est pas due à l'ouverture du capital, mais au fait que le taux du livret A ne cesse de baisser. Là encore, des ressources complémentaires sont nécessaires pour nous permettre d'élargir la gamme des produits que nous offrons aux particuliers – crédits à la consommation, offres d'assurances – et aux PME, et faire de la banque postale une banque domestique, ouverte à tous.
La Poste jouit d'une image excellente, tant pour la qualité de ses conseils que pour la modération de ses tarifs et le sérieux de ses produits. Le projet industriel que nous préparons, et qui a été validé par la commission Ailleret, est vital pour son avenir. Nous sommes à la croisée des chemins, et l'avenir de la Poste est assuré pour peu que nous sachions saisir certaines opportunités. Toutefois, les risques existent. Si nous restons recroquevillés sur une position nationale, nous ne pourrons mener à bien la modernisation de l'entreprise, que la crise a rendue encore plus indispensable.
Le rapport Ailleret indique dans ses conclusions que La Poste souffre d'un déficit de financement de 2,7 milliards. En l'absence de toute possibilité d'endettement supplémentaire – son endettement actuel étant deux fois plus élevé que ses fonds propres – cette entreprise est sous-capitalisée, et l'augmentation de 2,7 milliards de son capital est indispensable. Or, les communiqués de l'Élysée, à la fin de l'année 2008, mentionnent une dotation de l'État de 1,2 milliard et une souscription de la Caisse des dépôts de 1,5 milliard, pour une société anonyme à capitaux 100 % publics, si j'en crois les termes du projet de loi. Ce financement est nécessaire pour permettre à des acteurs publics autres que l'État d'augmenter son capital. Cette évolution des statuts permettra à l'entreprise de nouer des partenariats et des alliances dans toute l'Europe, sans lesquels elle devra se contenter du territoire national. Les missions de service public, prévues par la loi, seront intégralement maintenues, et seuls les parlementaires pourraient les remettre en cause.
Le financement du service universel est assuré, grâce à la mise en place du fonds de compensation, tout comme celui de l'accessibilité bancaire, puisque la loi de 2008 précise la manière dont sont financées les obligations liées aux spécificités du livret A de la Banque postale. Quant au financement de la presse, l'État, la presse et La Poste ont décidé ensemble d'annuler le déficit de 400 millions d'euros jusqu'à l'année 2015.
La présence postale sur tout le territoire est en partie financée par une exonération de taxe professionnelle. Or, cette compensation doit à l'évidence être reconfigurée. Pour mener à bien cette mission, nous disposons de 140 millions d'euros, mais nous estimons à 260 millions d'euros la ressource nécessaire à l'horizon 2010. Reste donc à trouver 120 millions d'euros pour mettre en place une présence pérenne et garantie, c'est-à-dire indépendante de la fiscalité, et qui couvre la totalité des surcoûts, étant entendu que ceux-ci seront vérifiés par d'autres instances que La Poste – ingénieurs des Mines ou inspecteurs des finances. En liaison avec l'Association des maires de France et l'Association des maires ruraux, nous veillerons à mettre en place des mécanismes propres à garantir la présence pérenne de La Poste sur l'ensemble du territoire.
Les droits et statuts des personnels de La Poste seront intégralement maintenus, conformément aux dispositions du projet de loi. Sur ce point, l'exemple de France Télécom devrait vous rassurer. Pour autant, messieurs les députés, je vous invite à inscrire dans la loi l'obligation de mettre en place une convention collective, car il est indispensable de vérifier que la concurrence, dans un contexte d'ouverture des marchés, ne s'exerce pas au détriment des salariés.
Le recours à l'actionnariat salarié qui sera proposé aux postiers est inédit dans une entreprise de cette taille, mais la formule est intéressante en ce qu'elle permettra aux personnels d'être partie prenante des performances et de la création de valeur au sein de l'entreprise, renforçant leur motivation. Si La Poste parvient à résoudre les problèmes complexes qui en résulteront, du fait du nombre très élevé de salariés, elle jouera en la matière un rôle de pionnier.
Le projet de loi a deux objets : la transposition de la troisième directive, qui porte exclusivement sur le service universel du courrier, et l'évolution du statut de l'entreprise dans le respect de ses missions de service public. A La Poste, nous souhaitons que les dispositions législatives et réglementaires interviennent de façon à permettre à notre groupe de changer de statut avant le 1er janvier 2010.