Le Parlement est donc sollicité à nouveau pour travailler sur un texte issu d'un accord entre les partenaires sociaux. Cette sollicitation est problématique à plus d'un titre : non seulement elle pose les questions du respect du dialogue social par le Parlement et de la marge de manoeuvre dont il dispose dans sa transcription législative mais elle interroge également les rapports entre démocratie sociale et politique ; elle nous place, enfin, devant une véritable révolution syndicale.
Nous travaillons en l'occurrence à partir d'une position commune et non d'un accord national interprofessionnel – comme ce fut le cas pour le projet de loi portant modernisation du marché du travail – ce qui semble donc nous donner une marge de manoeuvre plus importante. En outre, nombre de membres de la commission ont déjà eu l'occasion de dire qu'il n'était pas possible de faire entrer tous les accords syndicaux dans la loi sans que le Parlement n'intervienne – inversement, nous devons bien entendu tenir compte du travail fourni par les partenaires sociaux. Le risque est donc grand de vouloir calquer le fonctionnement de la vie économique sur celui de la démocratie politique. Je renvoie à ce propos à une note du Centre d'analyse stratégique selon laquelle le monde économique vit de plus en plus sur le mode de la démocratie politique en faisant de l'élection le point de départ de toute forme de légitimité et en adossant quasiment les modalités de financement des syndicats sur celles des partis politiques. Ce rapprochement est compréhensible, puisque les syndicats eux-mêmes ne savent pas comment limiter leur perte d'influence, et légitime à condition de ne pas faire dire aux élections internes aux entreprises plus que ce qu'elles signifient, l'élection constituant l'un des critères de la représentativité syndicale mais pas le seul.
Il s'agit d'une vraie révolution syndicale puisque nous sommes en train de passer d'un mode « gravitationnel », où la légitimité et l'action des centrales syndicales « tombent du ciel », à un mode « inductif », partant du bas.
Ce texte comprend en effet deux parties. La question s'est posée de savoir s'il fallait ou non les séparer mais il me semble que cela relève d'un faux débat puisque le Conseil d'État et la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) ont été saisis d'un seul texte. Je comprends en outre le mécontentement des organisations syndicales confrontées à une lecture de l'article 17 de la position commune bien différente de la leur – elles n'ont pas apprécié que les deux thèmes de la rénovation de la démocratie sociale et de l'aménagement du temps de travail soient liés et elles l'ont fait savoir – mais, outre que le statu quo est impossible, personne ne peut considérer que ce projet vient par surprise : la majorité a toujours dit qu'elle souhaitait modifier le système actuel du temps de travail tout en maintenant intégralement les seuils horaires : 48 heures hebdomadaires au maximum, 44 heures en moyenne sur douze semaines, dix heures de travail par jour, onze heures de repos quotidien consécutives et 35 heures consécutives de repos hebdomadaire. Le texte ne modifie aucun de ces cinq seuils mais il vise simplement à assouplir le recours aux heures supplémentaires grâce à des négociations internes aux entreprises et aux branches. Nous constatons d'ailleurs que la demande de travail ne fait que croître de la part des salariés.
Restent quelques questions concernant l'évolution du paysage syndical. La représentativité syndicale s'est d'abord fondée sur des critères légaux et une décision publique ; elle doit désormais être assise sur son impact réel dans les entreprises, les branches et le plan interprofessionnel. Que pensez-vous, Monsieur le ministre, du fait que seulement deux syndicats de salariés aient signé la position commune ? Qu'en est-il des seuils de représentativité fixés à 8 % et 10 % ? Faut-il par ailleurs modifier l'articulation entre le mandatement et le référendum dans les entreprises ? Comment considérer les représentants des syndicats ? Quelle règle de fonctionnement faut-il adopter pour les entreprises de moins de onze salariés ? Faut-il faire évoluer le financement du dialogue social, notamment la section 3 de l'article 8 ?
Quel sera le rôle des branches professionnelles ? On ne peut que s'inquiéter de leur état de faiblesse actuel, qui entraîne un déficit organisationnel et des capacités de négociation limitées. Il conviendra de réfléchir rapidement à leur évolution afin qu'elles puissent donner à ce texte toute l'ampleur qu'il mérite.
S'agissant du temps de travail, il sera donc possible de faire évoluer le contingent d'heures supplémentaires et d'aménager les systèmes de repos compensateurs. Le gouvernement a proposé en l'occurrence deux ajouts par rapport à la version initiale du texte : la définition d'un délai de prévenance de sept jours ; la possibilité pour les seuls salariés « autonomes » de bénéficier d'un forfait annuel en heures.
Comme l'a dit hier en séance publique Mme Martine Billard, il faut également résoudre les problèmes que connaissent les salariés qui ne sont attachés ni à un lieu ni à des horaires fixes. Je suis prêt quant à moi à me lancer dans cette réflexion de manière à ce que le texte évolue favorablement.