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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 14 octobre 2008 à 16h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Les propos de nos invités étaient plutôt une instruction à charge, à l'exception notable de celle de Jean-Claude Gayssot. Ils sont tout à fait intéressants pour nous car ils nous aident à réfléchir : nous tenons à entendre des points de vue différents.

Mme Chandernagor, qui mène ce combat depuis plusieurs années, demande que le Parlement s'en tienne là. Il est vrai que nous-mêmes demandons à être fouettés ! Nous nous interrogeons sur le rôle de notre institution – qui, il n'est pas inutile de le rappeler, émane du suffrage universel – et sur la délimitation du périmètre de nos compétences. Mais nul n'oserait parler de délimiter le périmètre de compétences des historiens et des juristes !

Madame Chandernagor, vous dites qu'il n'y a pas et qu'il n'y avait pas de négation de la traite et de l'esclavage. Pardon de vous démentir, mais le flot de courriers que je reçois et les propos tenus au cours d'émissions radiophoniques auxquelles j'ai participé m'obligent à le faire. La justice n'est pas nécessairement saisie par les victimes car elles ne savent pas toujours comment procéder, ou sont trop « cassées » pour le faire.

Madame Le Pourhiet, comme toujours, je vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt, mais j'avoue avoir été surprise car, après cinq minutes de la rigueur juridique dont vous savez faire preuve, vous nous avez servi une charge inattendue. J'ai découvert que nous vivions dans un régime totalitaire et que nous autres parlementaires n'avions qu'un plaisir, fabriquer des « neutrons législatifs ». Ce n'est pas tout à fait ce que je vis. Même s'il nous arrive de travailler mal, nous travaillons beaucoup et avec le souci constant de l'intérêt général. Même si je ne conteste pas l'existence de groupes de pression, ici comme ailleurs, nous sommes assez peu nombreux à avoir besoin de leçons sur l'intérêt général et lorsqu'un parlementaire s'en éloigne, il s'en trouve dix pour le rappeler à l'ordre.

Deux reproches contradictoires sont faits à la loi Taubira : elle est complètement insignifiante puisqu'elle se contente de reconnaître ; elle procède à du lavage de cerveau puisqu'il est question, en son article 2, d'enseignement de l'histoire. Il y est bien question d'enseignement de l'histoire, et même d'encouragement à la recherche : il serait tout de même singulier que les parlementaires, élus au suffrage universel, ne puissent pas s'interroger sur le contenu des programmes scolaires, lequel est défini par des structures dont les membres sont désignés ou nommés.

Monsieur Barcellini, votre effort de définition de catégories a malheureusement abouti à une confusion générale car vous avez passé tous les textes à la moulinette ; dans un premier temps je vous ai suivi, puis j'ai vu beaucoup moins clair. Quant au communautarisme, il faudrait peut-être prendre le temps de le définir, pour savoir de quoi nous parlons.

Madame Fort, l'esclavage, c'est l'histoire de l'Europe, de l'Afrique, des Amériques et des Caraïbes, ce n'est pas mon histoire à moi toute seule. Je n'ai précisément pas de réflexe communautariste : nous agissons dans l'intérêt général.

Madame Mallet-Poujol, vous avez prononcé les mots « malaise » et « inquiétude » : on peut les comprendre, mais la fonction des historiens serait-elle la seule fonction sans risque d'erreur, sans risque d'être contesté ? Dans les faits, l'unique cas qu'on nous brandit constamment est celui de cet historien qui n'a pas été poursuivi, qui a publié un livre largement diffusé en édition de poche, qui enseigne à Sciences-Po et qui a été primé par le Sénat ! Il y a des personnes plus inquiétées !

Ces lois ne visent pas et n'ont jamais visé les historiens, elles visent les négationnistes militants. Qu'elles provoquent de l'autocensure, c'est dommage, mais le cas de cet historien prouve que certains n'y cèdent pas. Je suis d'accord pour privilégier la réfutation sur le terrain scientifique, mais que faites-vous lorsqu'un négationniste profite du public captif des lycées ou des universités pour faire du prosélytisme ? Au demeurant, l'article 2 de la loi Taubira encourage la recherche.

En s'appuyant sur un socle de valeurs, en prenant la mémoire et l'histoire comme des objets de droit, les actes législatifs apportent des réponses à des débats qui ont lieu dans la société. Et lorsque Mme Chandernagor, dont je connais la rigueur et l'exigence, nous dit de ne pas toucher à ce qui existe, elle prend justement en considération les bruits et les grondements de la société.

Mais nous ne légiférons pas sur les bruits et les grondements, nous légiférons en connaissance de cause et en conscience, lorsque sont en jeu la cohésion nationale et l'identité commune. L'acte législatif permet que les mémoires fragmentées deviennent la mémoire de tous.

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