Le décalage entre mes propos et la manière dont ils ont été reçus par certains d'entre vous me gêne, car la conclusion à laquelle je souhaitais parvenir était précisément que nous devons traiter le discours de ce groupuscule comme nous le ferions s'il était tenu par des groupes d'une autre nature. Que ferions-nous si un groupe chrétien – ou bouddhiste – déclarait soudain que les autres n'ont rien compris à leur Bible et leur enjoignait de se nouer un linge vert autour de la tête ? Engagerions-nous un débat théologique sur la Bible, ou ne jugerions-nous pas plutôt qu'il s'agit d'un groupe de déréglés, comme celui-ci, qui éclabousse tout le monde avec son argent venu d'Arabie saoudite ?
Mon postulat de départ et la conclusion à laquelle je souhaitais parvenir étaient qu'il faut appliquer le droit commun et traiter ces groupuscules comme s'ils n'étaient pas musulmans. Ma réaction s'explique par le fait que je regrettais que mon propos n'ait pas été entendu.
Pour en revenir à mon discours éducatif, qui comporte des aspects psychologiques, je rappelle que le débat n'est pas intra-musulman, mais intra-républicain, intra-démocrate. Il n'est pas question de faire de l'exégèse – et je viens d'ailleurs de dénoncer ce discours comme étant de toute-puissance. Il faut certes que les musulmans démocrates et républicains aient une place, en tant que citoyens, pour lutter contre tout ce qui entrave la cohésion nationale, mais pas en tant que religieux. Voilà le débat que nous devons avoir.
Il est évident que l'uniformisation et la rupture sociale touchent particulièrement les femmes, tandis que les hommes continuent à travailler et à sortir, même s'ils sont mentalement enfermés. J'ai cependant tenu à éviter cette approche, qui renvoie aux traitements faits aux femmes dans l'espace public de certains pays musulmans, ou à l'idée que l'islam en serait la cause. Une grande ignorance prévaut et il existe un grand décalage entre les textes et la manière dont les musulmanes sont traitées.
Je le répète : le problème doit être traité selon le droit commun, comme il le serait dans le cas d'autres groupuscules qui agiraient de même. Il faut éviter de faire le procès de l'islam, car cela donnerait du pouvoir à ceux qui accusent les Occidentaux de vouloir imposer leur forme de liberté. En tant que musulmane et féministe, je souscris pleinement à la défense du droit des femmes, mais nous devons adopter une stratégie qui évite de produire des effets contraires à ceux que nous recherchons.
Monsieur Raoult, ce que vous dites de l'âge des femmes concernées par le port du voile est pour moi une information nouvelle, car j'ai principalement observé le phénomène chez des jeunes, c'est-à-dire des personnes de moins de trente-cinq ans, qui n'ont pas encore trouvé leur identité et ont encore un problème de territoire, de place ou de fonction. Je serais heureuse que vous me donniez plus d'informations sur ce point à la fin de votre mission.
Quant au changement d'attitude des musulmans, il me semble que nous avons répondu implicitement à cette question dans les échanges que nous venons d'avoir. On observe en France une véritable islamisation des diagnostics sociaux et politiques : lorsque des musulmans sont en cause, on présuppose que leurs comportements sont provoqués par l'islam et on oublie de leur appliquer une grille psychologique, sociale ou psychanalytique, alors même que les personnes concernées ne sont pas forcément croyantes et que les causes sont plutôt liées à leur identité ou, par exemple, à la place du père.
Le cas de ces jeunes qui ont refusé d'être contrôlés dans le train par une femme nous place au coeur du problème. Une importante enquête que je viens de réaliser sur « l'islam au travail dans les entreprises », qui sera publiée en octobre, fait apparaître les mêmes résultats que chez les élus, les éducateurs et les policiers. Il y a, en France, une véritable difficulté à appliquer aux musulmans la même grille de lecture qu'aux autres citoyens. Si un juif, un bouddhiste ou un protestant arrache une affiche en affirmant que sa religion l'empêche de voir une silhouette humaine, on impute son acte à un dysfonctionnement individuel et on le sanctionne immédiatement. S'il s'agit d'un musulman, on hésite.
L'islam est appréhendé comme l'altérité même et on ne lui applique pas les mêmes critères qu'aux autres religions. On ne sait pas ce qui relève de la liberté de conscience et ce qui révèle un dysfonctionnement individuel : ou bien la perception des musulmans en France s'apparente à une diabolisation totale qui les assimile à des intégristes, ou bien on considère qu'au nom de la liberté de conscience les intégristes peuvent dire n'importe quoi sur l'islam ou, par exemple, refuser de serrer la main d'une femme. S'il n'avait pas un faciès présumé musulman, un jeune qui refuse un contrôle effectué par une femme serait immédiatement sanctionné. Cette hésitation à évaluer ce qui relève de la liberté de conscience et du dysfonctionnement psychique individuel provoque une surenchère, car le jeune teste l'adulte et les limites qui lui sont fixées en tenant des discours qui sont le contraire même de l'islam.
Ce n'est certes pas à vous, Mesdames et Messieurs les députés, de dire ce qu'est l'islam, mais il vous revient d'appliquer les mêmes critères à Pierre, Paul, Mona ou Martine. Un dysfonctionnement qui s'oppose à la cohésion sociale doit être sanctionné, quelle que soit la religion de la personne concernée. La religion ne fait pas la loi.