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Intervention de Jean-Pierre Aubert

Réunion du 3 septembre 2008 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Aubert :

Le dossier Tapie, sur lequel vous avez souhaité m'entendre, est l'un des principaux contentieux dont le CDR a hérité lorsque le Crédit lyonnais lui a transféré, fin 1995, les actions de deux de ses filiales, la Société de banque occidentale – SBDO – et sa banque d'affaires Clinvest.

Peu de temps après la création du CDR à la fin de 1995, plusieurs procédures ont été engagées contre lui par les liquidateurs judiciaires du groupe Bernard Tapie : les sociétés du groupe Bernard Tapie et M. et Mme Tapie avaient en effet été déclarés en redressement judiciaire, puis, à l'exception de la société Bernard Tapie Finance, en liquidation judiciaire sous patrimoine commun, entre novembre 1994 et mars 1995.

La plus importante de ces procédures concernait le dossier Adidas. Les liquidateurs judiciaires du groupe Tapie reprochaient essentiellement au Crédit lyonnais :

– de s'être fait donner mandat par la société Bernard Tapie Finance, en décembre 1992, de vendre sa participation de 78 % dans Adidas au prix de 2,085 milliards de francs, sans lui révéler qu'il avait déjà trouvé un acheteur en la personne de Robert Louis-Dreyfus, à qui il a ensuite consenti une promesse de vente au prix de 4,4 milliards de francs ;

– d'avoir organisé le portage d'Adidas pour son compte par des structures qu'il contrôlait, de février 1993 date de sa vente par la société Bernard Tapie Finance, jusqu'à fin 1994, date de l'acquisition d'Adidas par Robert Louis-Dreyfus ;

– d'avoir été ainsi, à l'insu du groupe Bernard Tapie, la contrepartie de son mandant lorsqu'il a vendu Adidas en février 1993, et d'avoir capté à son seul profit, au détriment de son mandant, une plus-value de 2,3 milliards de francs.

Par ailleurs, les mêmes liquidateurs ont assigné le CDR, d'abord pour soutien abusif du groupe Bernard Tapie par le Crédit lyonnais et ses filiales, puis pour rupture abusive des concours bancaires consentis au groupe Bernard Tapie.

Voici, en quelques mots, le dossier que j'ai trouvé en arrivant à la présidence du CDR à la fin de 2001. Et je m'en suis saisi très vite en raison de son enjeu financier et de sa forte visibilité.

Dès le milieu de l'année 2002, je suis arrivé à la conclusion que, dans cette affaire d'une grande complexité, le CDR, comme successeur du Crédit lyonnais et de ses filiales concernées – SDBO, Clinvest –, n'était pas à l'abri d'une condamnation à payer des dommages et intérêts, d'un montant cependant très inférieur à la plus-value dont le groupe Bernard Tapie prétendait avoir été privé.

C'est en partant de cette analyse que j'ai proposé le 5 novembre 2002 au ministre de l'économie et des finances de rechercher, dans le cadre d'une médiation, une solution négociée sur la base d'une clôture pour extinction de passif de la liquidation judiciaire du groupe Bernard Tapie grâce à des abandons de créances du CDR. Cette solution avait l'avantage, pour M. et Mme Tapie, d'éviter la condamnation pour banqueroute dont ils étaient menacés devant le tribunal correctionnel et, pour le CDR, de clôturer rapidement de multiples procédures engagées six ans plus tôt et dont tout laissait à penser qu'elles se prolongeraient encore pendant plusieurs années.

M. Francis Mer m'a fait savoir fin 2002 qu'il préférait que la justice suive son cours.

En septembre 2004, le nouveau ministre de l'économie et des finances m'a demandé de mettre en oeuvre une médiation. À l'époque, le conseil d'administration du CDR et moi-même étions réservés sur ce processus qui avait pour inconvénient de dessaisir la cour d'appel quelques jours avant la date fixée pour les plaidoiries : je craignais que ce retrait de dernière minute ne soit perçu par la cour et par les adversaires du CDR comme un formidable aveu de faiblesse. En dépit de cette forte réticence, dont j'ai informé le ministre, le CDR s'est totalement impliqué dans la médiation conduite par M. Burgelin, ancien procureur général à la Cour de cassation, et il a accepté la proposition du médiateur, qui ne lui demandait que l'abandon de ses créances, tandis que les liquidateurs et M. Tapie l'ont rejetée.

Après l'échec de cette médiation, les parties se sont retrouvées devant la cour d'appel de Paris qui, par un arrêt du 30 septembre 2005, a condamné le CDR à verser 135 millions d'euros de dommages et intérêts aux liquidateurs judiciaires du groupe Bernard Tapie.

Après ce rappel, je voudrais indiquer pourquoi le CDR a tenu à se pourvoir en cassation et dans quelle situation il se trouvait après la cassation de la décision par un arrêt du 9 octobre 2006 de l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

La défense des finances publiques exigeait le pourvoi en cassation. En effet, il est très vite apparu aux avocats, au président et au conseil d'administration du CDR qu'une cassation totale de l'arrêt était très probable, notamment pour les raisons suivantes :

– la cour d'appel ne pouvait pas légalement retenir à la charge du Crédit lyonnais une obligation de financement du groupe Tapie pour lui permettre d'attendre une éventuelle levée de l'option accordée à Robert Louis-Dreyfus, alors que le banquier n'est jamais tenu de consentir un nouveau concours à l'un de ses clients ; au reste, un tel financement n'a jamais été demandé par la société Groupe Bernard Tapie Finance : au contraire, les liquidateurs du groupe Tapie reprochent au CDR un soutien abusif du groupe par le Crédit lyonnais ;

– selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cour d'appel ne pouvait pas non plus indemniser la perte d'une chance de plus-value par des dommages et intérêts égaux à 100 % de cette plus-value.

La seule objection de la tutelle du CDR à sa décision de se pourvoir en cassation reposait sur la crainte qu'après cassation, la cour de renvoi ne condamne le CDR aussi lourdement, voire plus lourdement, que la cour d'appel de Paris ne l'avait fait par son arrêt du 30 septembre 2005.

Pour les raisons que je vais indiquer, cette objection ne me paraissait pas pertinente, et je l'ai expliqué au comité des sages que M. Thierry Breton avait réuni pour le conseiller sur un éventuel pourvoi.

Finalement, par un communiqué du 13 janvier 2006, le ministre de l'économie et des finances a fait savoir que les deux représentants de l'État au sein du conseil d'administration de l'établissement public de financement et de restructuration – EPFR –, actionnaire unique du CDR, ne formuleraient pas d'objection à la décision du CDR de se pourvoir en cassation.

L'arrêt de cassation du 9 octobre 2006 conférait au CDR une position solide. L'appréciation du CDR, après consultation de ses avocats, était que l'assemblée plénière de la Cour de cassation avait jugé définitivement que les liquidateurs du groupe Tapie n'étaient pas recevables à demander la remontée de la plus-value éventuellement perdue et qu'il ne leur était pas possible de demander plus que la réparation du préjudice personnel de la société Groupe Bernard Tapie du fait de l'éventuelle inexécution à son détriment, par la SBDO, du mémorandum du 10 décembre 1992.

Les juristes étaient unanimes à dire que, la Cour de cassation ayant statué en assemblée plénière, ce qu'elle avait jugé était définitif et s'imposait à la cour de renvoi. L'unique obligation de la SBDO, seule signataire du mémorandum de 1992 avec les sociétés du groupe Bernard Tapie, était la remontée vers le groupe d'une fraction du prix de vente d'Adidas, fixée à 185 millions de francs. Cette somme ayant été effectivement versée par la SBDO à la société Groupe Bernard Tapie, la SDBO s'était entièrement acquittée de son obligation contractuelle.

Indépendamment de cet aspect juridique, plusieurs considérations laissaient à penser que, quoi que décidât la cour de renvoi sur l'existence d'une faute de la SDBO, les préjudices personnels dont la société Groupe Bernard Tapie et M. et Mme. Tapie pouvaient éventuellement obtenir réparation seraient très inférieurs à la condamnation prononcée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2005.

Selon le CDR et ses conseils, la cour de renvoi devait tenir compte de trois facteurs essentiels.

Premièrement, le prix de 2,085 milliards de francs était le bon prix parce que :

– il correspondait au prix auquel le groupe Tapie avait conclu la vente d'Adidas à Pentland – c'est-à-dire Reebok – en juillet 1992 et il était validé par les différentes expertises et les autorités de marché ;

– il était le meilleur prix possible en raison de la perte de plus de 500 millions de francs réalisée par Adidas en 1992 et de la nécessité de recapitaliser la société pour un montant équivalent, conformément aux exigences des banquiers allemands ;

– il permettait au groupe Bernard Tapie, sans avoir mis un franc de fonds propres et sans prendre de risques, de gagner 230,8 millions de francs dans l'opération Adidas.

Deuxièmement, le redressement d'Adidas et la levée par Robert Louis-Dreyfus, fin 1994, de son option d'achat étaient aléatoires.

Troisièmement, la survie du groupe Tapie durant les années 1993 et 1994 était impossible sans l'encaissement du prix de vente de sa participation dans Adidas en février 1993.

Autant dire que la chance perdue d'obtenir un meilleur prix que celui obtenu lors de la vente de février 1993 était proche de zéro et que la société Groupe Bernard Tapie n'avait subi aucun préjudice. Voilà pourquoi j'avais indiqué au conseil d'administration du CDR le 13 décembre 2006, au cours de la dernière séance que j'ai présidée, que le CDR pouvait attendre avec confiance la décision de la cour de renvoi et n'avait rien à demander ou à obtenir de quiconque jusqu'à ce prochain rendez-vous.

Le Président Didier Migaud : Je vous remercie pour ce propos très clair.

L'arrêt de la Cour de cassation n'est pas, comme l'aurait souhaité le CDR, une cassation totale. Le consortium encourait-il un risque en laissant la justice suivre son cours, compte tenu de cet élément ? Ce risque est un des arguments que l'on avance aujourd'hui pour justifier le recours à l'arbitrage.

En novembre 2002, vous avez proposé d'engager une procédure de médiation. Le ministre de l'économie et des finances de l'époque ne l'a pas acceptée. En septembre 2004, le ministre en poste propose une nouvelle médiation que, pour votre part, vous ne souhaitez pas. Pourriez-vous préciser pourquoi ce que vous proposiez en 2002 ne vous paraissait plus souhaitable en 2004 ?

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