Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Delphine Batho

Réunion du 24 mars 2009 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure :

Comme l'a noté mon collègue, nos travaux se sont étendus sur une durée de six mois et il s'agit d'une « première » dans l'histoire du Parlement. Pour autant, le sujet est tellement vaste que nous n'avons pas pu traiter de manière également exhaustive l'ensemble des fichiers. Nous nous sommes particulièrement attachés à des fichiers emblématiques des difficultés rencontrées, comme le STIC ou le FRG, mais de nombreux autres fichiers mériteraient à eux seuls un autre rapport d'information, notamment ceux qui concernent la politique d'immigration.

Si un rapporteur de la majorité et une rapporteure de l'opposition sont parvenus à se mettre d'accord sur 53 propositions communes sur un total de 57, c'est avant tout parce que nous avons porté une attention toute particulière aux réalités du fonctionnement des fichiers et, plus généralement, que nous partageons la conviction qu'un contrôle démocratique accru est nécessaire sur ce sujet.

Le constat de départ de nos travaux reposait sur les inquiétudes croissantes des citoyens résultant de la propension à créer de plus en plus de fichiers et du phénomène de massification de ces derniers. Les ambiguïtés et le manque de transparence du cadre juridique alimentent d'ailleurs ces inquiétudes, car il existe une grande diversité des modes de création de fichiers, par la loi, par le règlement, voire sans base juridique assez souvent.

Ensuite, il y a dans certains de ces fichiers des erreurs, tout particulièrement dans les fichiers d'antécédents judiciaires STIC et JUDEX, où figurent indûment de nombreuses personnes. Or, ces erreurs peuvent avoir des conséquences terribles, qu'il s'agisse de l'accès à des professions nécessitant un agrément administratif, que l'on estime à environ un million d'emplois, ou de l'obtention de la nationalité française. Nous avons également constaté une situation de blocage entre la CNIL et le ministère de l'Intérieur, préjudiciable tant à la qualité des textes réglementaires qu'à l'avancement des projets. Enfin, nous avons relevé des défaillances des contrôles, souvent faute de moyens, mais pas toujours.

L'idée centrale du rapport est que l'amélioration des droits des citoyens et des garanties va de pair avec une meilleure performance des outils. Or, les policiers et gendarmes ne disposent pas des instruments modernes nécessaires à l'exercice de leurs missions. La proposition de réserver au législateur l'autorisation des fichiers de police aura une conséquence immédiate : s'agissant du successeur d'EDVIGE, nous demandons qu'il ne puisse être créé que par une loi, après un véritable débat parlementaire. En l'espèce, nous proposons de mettre fin au « mélange des genres » qui a été à l'origine des inquiétudes concernant EDVIGE, ce fichier mêlant alors plusieurs finalités très différentes : enquêtes administratives tout d'abord, fichage de militants politiques et associatifs ensuite, et nécessaire évaluation des menaces pour mieux anticiper la protection des personnes et des biens enfin. Il s'agira désormais de clairement distinguer les finalités et de ne pas les mélanger au sein d'un même fichier. S'agissant des violences urbaines, il n'y a pas lieu de créer un nouveau fichier, car il existe effectivement déjà un outil moderne au sein de la préfecture de police de Paris, permettant d'étudier les structures des réseaux et de l'économie souterraine. À notre grande surprise, la sous-direction de l'information générale n'en connaissait pas l'existence. La généralisation de cette application, développée en interne, évitera de lourdes procédures de passation de marché.

Je ne reviendrai pas en détail sur nos divergences, qui sont exposées dans le rapport, mais je souhaite souligner que j'estime nécessaire, pour faire face aux violences urbaines, que les SDIG, qui remplacent les renseignements généraux, puissent inscrire dans GEVI les mineurs de plus de treize ans qui figurent déjà dans des fichiers d'antécédents judiciaires. Cette proposition s'explique par le fait que nous avons demandé à plusieurs responsables policiers quel pourrait être le critère objectif permettant l'inscription d'un mineur dans un tel fichier de renseignement et qu'aucune réponse satisfaisante ne nous a été apportée. Nous souhaitons que le Gouvernement retienne cette proposition.

Par-delà la nécessité de renforcer les contrôles, avec, d'une part, la mise en place d'une procédure de traitement en temps réel des demandes de mises à jour en fonction des suites judiciaires et, d'autre part, l'accroissement des moyens de la CNIL – la France étant mal classée en Europe si l'on s'attache au ratio entre personnels des autorités de contrôle et population – je souhaite faire encore deux remarques.

Dans le rapport, 20 propositions sur 57 portent sur le STIC et sur JUDEX. Le STIC est le plus massif, puisque 5,4 millions de personnes mises en cause y figurent aujourd'hui, et il s'agit de loin du fichier qui pose le plus de problèmes. Lors de la visite du service régional de documentation judiciaire de Versailles, nous avons pu constater ce que les deux ans de retard représentent : quatre grandes pièces entièrement consacrées, du sol au plafond, au stockage de piles de papiers. Nous l'avons décrit dans le rapport, au même titre de l'ensemble des processus qui peuvent conduire à des erreurs. Selon moi, on ne peut pas séparer les défaillances du STIC de la « politique du chiffre » qui a été mise en place dans la police nationale. En effet, l'un des problèmes majeurs est que l'outil d'alimentation du STIC et l'outil statistique sont identiques, ce qui conduit trop souvent en pratique à inscrire dans le fichier des personnes placées en garde à vue, alors même que les investigations menées à cette occasion ont pu contribuer à les mettre hors de cause. Ainsi, dans certaines affaires où plusieurs personnes étant placées au même moment en garde à vue pour des violences, celles qui sont relâchées immédiatement à l'initiative du parquet faute de charges demeurent en fait plus longtemps dans les fichiers d'antécédents que celles pour lesquelles la décision de classement sans suite intervient plus tard, la décision du procureur de la République se traduisant dans ce dernier cas plus rapidement par un effacement des données. De même, nous avons reproduit des échanges de courriers édifiants qui montrent qu'alors que les fichiers d'antécédents sont placés sous le contrôle du procureur de la République, il peut arriver que les services gestionnaires refusent de tenir compte des demandes que ceux-ci leur adressent.

Ma deuxième remarque porte sur les enjeux internationaux considérables en matière de fichiers et de protection des données personnelles, comme par exemple pour les données PNR (Passenger Name Records), lesquelles ont d'ailleurs donné lieu à un rapport d'information de notre collègue Guy Geoffroy. Dans ce contexte, la France a tout intérêt à faire valoir sa propre approche des fichiers et de la protection des données personnelles. Notre modèle est en effet très différent de celui mis en oeuvre dans le monde anglo-saxon ; ainsi, nous n'avons pas suivi le modèle britannique en matière de fichier ADN et disposons de ce fait d'un outil bien mieux encadré et bien plus fiable. Nous devons davantage mettre en avant cette conception à l'échelle internationale, ainsi que le fait que nous faisons davantage confiance à l'enquêteur qu'à la machine, laquelle ne pourra jamais le remplacer. Ce modèle français du fichier de police existe de fait empiriquement, mais il n'est pas clairement assumé.

Enfin, par-delà les défaillances relevées dans le rapport, même sous réserve de l'organisation d'une « opération nettoyage » des fichiers d'antécédents, force est de constater que le ministère de l'Intérieur a du mal à gérer l'acquisition ainsi que la mise en place de nouveaux systèmes modernes et à faire face à leur coût croissant. Si l'on souhaite une meilleure protection des données personnelles et des libertés et en même temps des outils plus pointus et plus modernes pour les policiers, cela nécessitera d'y consacrer les moyens budgétaires nécessaires. À cet égard, il faut souligner que c'est le fichier des brigades spécialisées, qui constitue l'outil chargé de traiter la criminalité et la délinquance organisées les plus dangereuses, qui fait face à l'obsolescence la plus certaine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion