Début 2007, le pétrole était à 60 dollars le baril ; aujourd'hui, il est à 125 dollars environ. S'il a plus que doublé dans cette monnaie, il n'a augmenté que de 66 % en euro. Ces rapports doivent être maniés avec prudence car le pétrole et le dollar sont corrélés par un mécanisme, qui n'est pas celui que l'on avance habituellement, en vertu duquel les pays producteurs, machiavéliques, compenseraient la baisse du dollar par une hausse des cours en diminuant leur production. En fait, comme je l'ai expliqué, les pays exportateurs placent une partie croissante de leurs revenus pétroliers en euro. Quand la Russie reçoit 100 dollars supplémentaires de recettes, elle en investit 40 en euros, ce qui contribue à faire monter l'euro, dans des proportions bien plus grandes que la gestion des prix par les quantités de la part des producteurs, laquelle ne se traduit pas dans les chiffres. On ne gagnerait pas tant que ça à la baisse du dollar, puisqu'elle fait monter l'euro.
Il y a dans le prix des matières premières agricoles une grosse composante spéculative, même si elle n'est pas évidente à mesurer. Les données disponibles proviennent des marchés dérivés. Il s'agit de la position des opérateurs qui ne sont pas des professionnels du secteur. Elle est gigantesque sur le blé, encore qu'elle se soit maintenant reportée sur le riz, le sucre, le maïs. En revanche, elle est très réduite pour le pétrole. Il n'existe pas de marchés dérivés de certaines matières premières, le minerai de fer notamment, ce qui n'empêche pas les prix de monter de façon considérable. À quelques exceptions près comme le nickel, les prix des métaux et du pétrole reflètent assez largement les fondamentaux du marché ; en revanche, ceux des produits alimentaires sont démultipliés par la spéculation. Ainsi, le prix du blé, après avoir été multiplié par quatre, a été divisé par deux depuis le mois de février. Les prix des denrées agricoles devraient se stabiliser. En revanche, la poursuite de la hausse des prix de l'énergie et des métaux – cuivre, fer, … – est à craindre.
Pour l'énergie, les prix sont tirés vers le haut par le mécanisme pervers du subventionnement dans les pays émergents, qui fausse l'élasticité de la demande. On n'est plus du tout dans la configuration des années 1980 car la demande ne baisse pas sous l'effet de la hausse des prix. La demande de pétrole des pays émergents augmente toujours de 4 % par an, parce qu'ils ne paient pas le prix. En Europe, le consommateur a vu sa facture d'énergie augmenter de 20 % en raison de la hausse du pétrole ; dans le monde, la hausse est de 8 % seulement. Il n'y a guère de retournement à attendre, d'autant que la production manufacturière des pays émergents continue d'accélérer.
Dans l'exploration pétrolière, les investissements sont passés de 150 milliards de dollars par en 2003 à 310 milliards cette année, mais, en volume, ils ont diminué. Le prix des équipements a plus que doublé à cause des métaux. En ayant doublé les budgets d'investissement, on fabrique moins d'équipements d'exploration pétrolière !
En ce qui concerne les prix agricoles, je vous renvoie au rapport très bien fait de la FAO. Les prix vont rester élevés, mais ils vont baisser par rapport au pic que nous venons de connaître. La contribution de l'alimentation à l'inflation devrait désormais être à peu près nulle, le prix des métaux pesant sur l'investissement, et ceux de l'énergie sur la consommation. En faisant tourner nos modèles, nous arrivons à une hausse des prix de 2,7-2,8 %, pas de 2 %, d'où une baisse du pouvoir d'achat, en retenant des hypothèses assez optimistes en matière de productivité.
Une énorme incertitude subsiste quant au prix du pétrole en 2015. Selon que l'on prend l'hypothèse de Total qui part d'un peak oil en 2016, avec une stabilité de la capacité de production mondiale un peu au-dessus de 100 millions de barils par jour, ou celle de l'Agence internationale de l'énergie, plus optimiste, qui table sur la poursuite de l'accumulation de capacités autour de 103-104 millions de barils en 2015, la fourchette des prix se situe entre 150 et 250 dollars le baril. Il s'agit de deux scénarios établis par des gens raisonnables et bien informés. La marge d'erreur est considérable en raison de la très faible élasticité de la demande au prix, 0,05. Autrement dit, pour réduire la demande mondiale de 1 % ; il faut augmenter le prix de 20 %. Avec une marge d'erreur de 3 % à 4 % sur les capacités, ce qui est la marge d'erreur à dix ans, le prix varie du simple au double.