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Intervention de Jean-Pierre Grand

Réunion du 3 juin 2008 à 17h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Grand :

Ce sujet qui préoccupe beaucoup l'opinion m'inspire plusieurs remarques.

Tout d'abord, des forces puissantes sont à l'oeuvre dans le monde, qui modifient les grands équilibres internationaux.

Premièrement, je citerai le creusement des écarts entre épargne et investissement dans un grand nombre de pays, qui trouvent leur contrepartie dans les déséquilibres des paiements courants. Le paradoxe fréquemment souligné de la situation actuelle tient au faible niveau d'épargne des pays riches, notamment les États-Unis, que vient compenser une épargne très élevée dans les grands pays émergents. Ainsi, contrairement à ce que pourrait dicter l'intuition, ce sont les pauvres qui financent la consommation des riches et les flux nets de capitaux se dirigent principalement des pays émergents vers les pays développés.

Le deuxième grand changement est bien sûr l'apparition d'une nouvelle monnaie, l'euro, qui a conquis en dix ans le statut de grande monnaie internationale, désirée pour elle-même. Elle sert de plus en plus d'unité de compte et de valeur, et son poids dans les réserves de change tend à augmenter.

Il va de soi que ces forces exercent une influence sur la compétitivité des économies, sur la position relative des diverses monnaies et sur la configuration des taux de change.

Deuxièmement, une grande hétérogénéité des régimes de capitaux et de change caractérise l'architecture financière internationale. Les grandes monnaies, comme le dollar et l'euro, flottent librement, de même que celles de la plupart des grands pays émergents d'Amérique latine. À l'opposé, des pays qui contrôlent étroitement leurs mouvements de capitaux et leurs taux de change sont gérés par les autorités. C'est le cas de la Chine et, dans une moindre mesure, de l'Inde. Dans une position intermédiaire, se situent les monnaies de beaucoup de pays asiatiques, en principe en flottement libre mais dont les banques centrales tentent en permanence de gérer et de contrôler l'évolution.

Troisièmement, les variations de taux de change, notamment de celui de l'euro, sont le croisement de ces forces puissantes, et de cette architecture désordonnée. La conjonction de déséquilibre élevés et de monnaies inégalement libres peut conduire à répartir de manière non optimale la charge de l'ajustement des balances des paiements.

Quatrièmement, si l'on se place dans une perspective historique, le taux de change bilatéral de l'euro vis-à-vis du dollar atteint maintenant son plus haut, mais il ne dépasse pas dans des proportions très importantes les pics atteints dans les années 1970. Historiquement, également, on observe des fluctuations régulières de la parité euro-dollar autour d'un niveau moyen sur des périodes de plusieurs années. Une question centrale, à laquelle il est difficile de répondre aujourd'hui, est de savoir si ce schéma peut se reproduire à l'avenir ou si, au contraire, on assiste à une rupture structurelle, compte tenu de l'importance du déficit américain et de la position croissante de débiteur net des États-Unis.

Cinquièmement, il est évident que les fluctuations d'aujourd'hui sont favorables à certaines activités, celles qui importent des produits minéraux par exemple, et en pénalisent lourdement d'autres, à savoir les entreprises en concurrence avec la zone dollar. D'un point de vue macroéconomique, il faut essayer de se faire un jugement d'ensemble, ce qui est très difficile, principalement à une période où les prix des matières premières ont explosé, et où l'appréciation de l'euro joue donc un effet modérateur.

Sixièmement, pour le secteur productif dans son ensemble, il faut considérer la compétitivité sous un angle plus large. Une fraction importante de nos exportations et de notre activité se fait dans la zone euro. La détérioration, puis l'amélioration très récente, de notre compétitivité prix joue probablement un rôle plus important sur notre croissance globale que le taux change de l'euro, même si celui-ci n'est bien sûr pas neutre. Il s'agit là d'un message fort.

Septièmement, face aux forces puissantes qui sont à l'oeuvre, la politique monétaire ne peut ni ne doit tenter de viser un objectif de change. Elle ne peut le faire, car il est clair que les déterminants profonds sont ailleurs. Certains graphiques semblent faire apparaître une relation directe entre les anticipations de taux à court terme et le taux de change. En réalité, ces deux mouvements ont une cause commune : les perspectives de croissance. Quand celles-ci s'améliorent, les marchés anticipent à la fois une hausse des taux d'intérêt et une appréciation du change. Quand les perspectives se détériorent, c'est l'inverse.

La politique monétaire ne doit pas le faire, car en se subordonnant à un objectif de change, elle abandonnerait son mandat en faveur de la stabilité des prix. La théorie est claire sur ce point : sauf à contrôler les mouvements de capitaux, il faut choisir entre stabilité interne et stabilité externe de la monnaie. Les pays qui visent les deux, comme aujourd'hui certains pays asiatiques, se heurtent rapidement à de très grosses difficultés et à d'importantes pressions inflationnistes.

Huitièmement, des dispositions institutionnelles permettent au conseil des ministres ECOFIN de se saisir des problèmes de change et de les traiter. Là encore, la théorie et l'expérience sont claires : si les mouvements correspondent à des évolutions fondamentales, il est vain de chercher les contrarier. Si l'on veut parer à des ajustements désordonnés, il est important d'envoyer un signal clair, c'est-à-dire que la position européenne s'exprime d'une seule voix.

Neuvièmement, nous avons un intérêt majeur à ce que les régimes de change dans le monde se réforment et s'harmonisent. Ce peut être aussi aujourd'hui l'intérêt de beaucoup des pays en cause. Je l'ai dit, ils sont actuellement confrontés à des contradictions et à des difficultés de gestion considérables, qui se résolvent dans une poussée inflationniste très forte. Pour le monde, il en résulte une expansion exagérée des liquidités, dont on peut penser qu'elles jouent un rôle dans la hausse des prix des matières premières. C'est probablement un axe prioritaire d'action pour l'ensemble de la communauté internationale.

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