Le débat n'a guère avancé depuis 2005, ce qui est tout de même très fâcheux compte tenu des évolutions notables des usages culturels. Bien que le projet de loi tire enfin un trait sur les DRM, que votre prédécesseur défendait avec une ferveur quasi religieuse, on a l'impression que vous ne voulez pas tenir compte des évolutions de notre société. Or, depuis 2005, il y a encore plus de raisons de chercher à élaborer une nouvelle conception du droit d'auteur, adaptée à l'ère numérique.
De nombreuses prédictions sur lesquelles reposait la loi DADVSI, et qui demeurent au coeur du nouveau texte, ont en effet été battues en brèche. Pour s'en convaincre, il suffit de songer au partage des fichiers musicaux à des fins non lucratives et à la place qui revient désormais à la gratuité dans les échanges culturels : on peut aujourd'hui accéder gratuitement à l'essentiel du patrimoine musical, y compris dans des conditions qui peuvent passer pour légales à vos propres yeux. Certains sites permettent, par exemple, d'écouter des catalogues entiers sous forme de flux, autrement appelé streaming. C'est grâce à cela que j'ai pu écouter gratuitement – et légalement – le dernier album de Mme Carla Bruni-Sarkozy, que je n'avais pas reçu en cadeau, n'étant pas membre du Gouvernement.
Contrairement à ce qu'affirmait M. Olivennes dans son rapport, j'ajoute que la gratuité n'est pas le vol dans la civilisation numérique. C'est plutôt le désintérêt de la puissance publique pour la rémunération des créateurs qui pourrait conduire à les spolier. En tout cas, leur rémunération n'est contradictoire ni avec l'existence d'échanges non marchands, à but non lucratif, ni avec la mise à disposition gratuite de catalogues entiers de musique. Le développement des objets nomades, tels que des smartphones permettant l'accès à des fichiers en flux continu, pourrait même rendre obsolète la notion de téléchargement.
Pour toutes ces raisons, ce texte fleure l'archaïsme, au point qu'on pourrait croire qu'il a été écrit avant le déploiement de l'Internet. C'est sur ce terrain-là que nous nous battrons, alors même que nous mènerons également le combat sur celui des libertés, en vue de limiter les effets néfastes de ce texte, qui ont notamment été dénoncés par la CNIL.
Comme l'indique une note récemment publiée par le ministère des finances – vous voyez que je suis très éclectique dans mon usage des sources –, il existe à Paris des centaines de bornes Wi-Fi, qui permettront de continuer à télécharger gratuitement des fichiers musicaux. Pour cela, il suffira de se rendre chez McDonald. Ce texte repose donc sur une illusion sécuritaire.
Il a également le défaut de ne pas apporter un euro supplémentaire aux artistes et aux créateurs. Vous manquez en effet une double occasion : tout d'abord, il aurait fallu aborder enfin la question des droits des artistes et des créateurs à l'âge numérique, qu'il faut veiller à bien distinguer de ceux qui reviennent aux autres ayants droit, notamment les producteurs et les éditeurs – lesquels se rémunèrent parfois grassement sur leur dos ! C'est ce débat qu'il faudrait ouvrir, au lieu d'opposer les artistes aux internautes ! Un tel oubli ne peut que rendre votre texte furieusement ringard.
Vous faites ensuite l'impasse sur le développement de nouvelles modalités de rémunération des artistes, alors qu'elles sont tout à fait envisageables. Comme Martine Billard vient de nous l'expliquer, la filière musicale française aurait pu bénéficier des dizaines de millions d'euros qui sont allés financer la nouvelle « ORTF » que le pouvoir exécutif appelle de ses voeux.
Sur ces différents sujets, nous ferons des propositions pour que les artistes puissent vivre dignement en France.