Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invitée pour parler de cette question.
Nous avons découvert l'existence des mutilations sexuelles féminines au début des années 1980 avec l'arrivée massive, dans le cadre du regroupement familial, de femmes originaires notamment d'Afrique subsaharienne. Les centres de protection maternelle et infantile ont été les premiers à tirer la sonnette d'alarme, car ils accueillaient des femmes en état de grossesse qui exprimaient l'intention de faire exciser leurs filles, en France ou dans leur pays d'origine. Des procès ont rapidement été intentés – le premier date de 1979 – et l'excision a été considérée comme un crime dès les années 1983-1984, par l'application de l'article du code pénal relatif aux mutilations.
Les premiers chiffres ont été donnés par les centres de protection maternelle et infantile PMI de Seine-Saint-Denis et des Yvelines : en 1980, entre 40 et 70 % de la population féminine concernée était touchée ; au début des années 1990, avec la première campagne de sensibilisation « Nous protégeons nos petites filles », les constats d'excision par les centres avaient chuté à 1 % par an et ne concernaient plus que des primo-arrivants d'Afrique subsaharienne. Nous avions l'impression que les familles avaient intégré le fait que cette pratique était interdite sur le territoire national, d'autant que des campagnes de sensibilisation étaient également menées dans un certain nombre de pays d'origine et que des lois y étaient prises pour interdire l'excision. Les centres de protection maternelle et infantile continuaient à en parler et à examiner les enfants mais le nombre de constats était nettement plus faible que par le passé.
En 1999, s'est déroulé le procès d'Hawa Gréou : pour la première fois, une victime portait plainte contre son exciseuse exerçant sur le territoire national. Plus de 200 familles ont été concernées, réparties sur plusieurs procès jugés par la Cour d'assise de Paris ou par celle de Bobigny.
Vers 2000, on estimait que la pratique avait bien reculé. Le constat est plus mitigé aujourd'hui.
Si l'on a assez peu de signalements pour les filles âgées de moins de six ans – bien qu'il y en ait encore et j'en ai encore eu un la semaine dernière dans le XIXe arrondissement de Paris –, nous sommes beaucoup plus inquiètes pour les plus de six ans. Je précise que notre association n'est appelée par un centre de protection maternelle et infantile ou un service d'aide sociale à l'enfance que s'il y a un dysfonctionnement. Mais, comme nous ne sommes que deux associations en France à travailler spécifiquement sur cette thématique, les informations passent par l'une ou l'autre de ces associations qui se tiennent régulièrement informées.
Les praticiens de la médecine scolaire ne peuvent pas procéder à des examens systématiques des organes génitaux externes des enfants de plus de six ans – le contexte scolaire ne s'y prête pas et on ne voit pas comment légitimer le fait d'examiner certaines enfants et pas d'autres –. Par contre, les collègues travaillant dans le secteur de la planification familiale rencontrent des jeunes filles venues les voir et découvrent, après avoir reconstitué leur histoire, qu'elles ont été excisées entre l'âge de six et douze ans sans que cela ait jamais été détecté. Souvent, ces jeunes filles se sont fait « piéger » lors d'un premier voyage dans le pays où elles ont été, non seulement excisées, mais encore mariées de force, ce qui constitue un double traumatisme. Il y a des plaintes – la loi les autorise maintenant jusqu'à l'âge de 38 ans – mais, malheureusement, les parquets les classent sans suite.
Nous cherchons actuellement à affiner notre outil statistique. L'étude démographique et de santé lancée actuellement ressemble à un recensement : des agents se rendent au domicile des familles et demandent aux femmes si elles sont excisées et si elles ont l'intention de faire exciser leurs filles. De plus, il arrive que des femmes qui, en 2000, ont dit avoir été excisées, affirment en 2006 qu'elles ne l'ont pas été. Nous réfléchissons au moyen de croiser l'outil statistique avec les examens cliniques.
En effet, on se trouve dans une situation paradoxale qui est une source inquiétude. Alors que les observateurs nationaux et internationaux constatent, à la suite des campagnes d'information et de prévention, des résultats encourageants dans les pays d'origine, les populations vivant dans les pays occidentaux et, notamment, en France – y compris de deuxième et de troisième génération – s'accrochent, par un phénomène de repli identitaire, à ce qui peut les rattacher à leur pays d'origine, dont l'excision. On note pourtant une baisse de cette pratique dans quasiment tous les pays, à l'exception de l'Égypte. Au Mali, alors qu'il y avait un taux de prévalence de 94 % en 1991, à l'époque des premières campagnes, celui-ci est passé à 91 % en dix ans – ce qui était déjà une baisse importante dans un pays où il n'y a pas de loi condamnant cette pratique – et vient de baisser à 83 %.
Le mythe du retour au pays d'origine prévaut toujours. Des personnes, vivant depuis deux ou trois générations en France, sont toujours dans cette optique. L'excision étant un préalable le mariage, ils en perpétuent la pratique. Dans un village du Mali, alors que les autorités administratives locales et les autorités coutumières étaient d'accord pour décider l'abandon de l'excision, c'est un groupe de migrants venant de France qui s'est élevé contre cette décision au motif qu'il s'était battu en Europe pour maintenir cette pratique.
La réalité d'aujourd'hui est faite de ce décalage entre les pays d'origine où il y a une avancée vers l'abandon de l'excision et les pays européens où l'on constate un recul.
Nous nous heurtons également à des résistances des professionnels : travailleurs sociaux, médecins, professionnels de la protection maternelle et infantile. Lors du colloque national sur la prévention des mutilations sexuelles féminines, en décembre 2006, destiné à susciter une déclinaison de notre travail en région, le professeur Henri-Jean Philippe a reconnu, avec une grande sincérité, que les professionnels de la santé ne savaient pas constater les excisions. Les médecins, notamment généralistes, les sages femmes, les infirmières, n'ont pas été formés pour cela. Les grands services de gynécologie obstétrique ne savent pas non plus faire ces constats.
L'étude de l'INED – Institut national d'études démographiques –, qui constitue la première recherche scientifique réalisée sur le sujet en France, estime que 20 % des 53 000 femmes adultes excisées vivant régulièrement en France, l'ont été sur le sol français. Nous connaîtrons les chiffres définitifs à la fin du mois de mars.
Cela impose une remise en question de la pratique des professionnels de terrain qui accueillent les femmes, les adolescentes et les petites filles, et la poursuite du travail d'information, de sensibilisation et de prévention car le repli identitaire en Europe risque d'avoir à terme des effets pervers dans les pays d'origine. Nous devons poursuivre concomitamment notre travail sur les deux continents.
Nous travaillons également au niveau européen pour demander une cohérence et une harmonisation des mesures de protection de l'enfance dans tous les pays car il y a aussi le risque, qui nous inquiète beaucoup, que les enfants n'aillent plus dans le pays d'origine des parents mais en Espagne, au Portugal ou aux Pays-Bas, pour subir une mutilation. La France est en effet très en pointe sur cette thématique, et les enfants ne sont pas aussi bien protégés partout en Europe.
Il existe également une hétérogénéité dans la prise en compte du problème d'un département et d'une région à l'autre, parfois même en traversant le périphérique : une enfant peut être protégée à Paris et ne pas l'être de la même manière dans un département limitrophe. Nous espérons que la nouvelle loi sur la protection de l'enfance apportera une aide en ce domaine.
La problématique du mariage forcé est encore plus large : alors que les migrants pratiquant l'excision viennent majoritairement, quoique pas exclusivement, d'Afrique subsaharienne, ceux pratiquant le mariage forcé sont issus de très nombreux pays d'Asie, du Moyen-Orient – dont la Turquie – et d'Afrique, dont l'Afrique du Nord. De surcroît, les pratiques sont multiformes, allant du mariage précoce au crime d'honneur.
L'élévation de l'âge légal du mariage des filles en France en 2006 a été une avancée très importante. Mais la difficulté vient de ce que nous sommes face à des populations qui continuent à pratiquer des mariages dits coutumiers, qui se font au domicile des familles de façon très peu visible.
Le milieu scolaire reste le principal lieu de repérage de ce genre de mariage.
Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Dans le premier cas, la jeune fille part en vacances dans le pays d'origine de ses parents et ne revient pas. Elle y a été mariée de force et obligée de rester. Dans le deuxième cas, la jeune fille, mariée de force dans le pays d'origine, revient en France où elle peut déposer une plainte. Le renforcement de la législation a permis de faciliter les annulations de mariages, notamment dans le cas de personnes mariées à quelqu'un d'une autre nationalité. Les auditions faites dans les consulats peuvent également permettre de prévenir ces unions forcées. Mais il reste malheureusement encore des cas qui passent au travers de ces dispositions. Dans le troisième cas de figure, la jeune fille est mariée de force en France, continue à aller à l'école pendant la semaine mais rejoint son époux ou est rejointe par lui pendant le week-end. Lorsqu'elles ont moins de 21 ans et dans certains départements, en fonction de la prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, il est possible de conclure un contrat jeune majeur et de verser à la jeune femme une allocation lui permettant, le cas échéant, de poursuivre ses études ou sa formation professionnelle.
Nous essayons d'agir au maximum en prévention, avant le mariage et ses effets – le viol et la séquestration. Cela étant, autant nous pouvons apporter des solutions lorsque l'union a été organisée par la famille, autant il est difficile de faire reconnaître qu'il existe un risque réel avant qu'il se réalise. Si, dans une fratrie, la soeur aînée n'a pas été victime d'un mariage forcé, il est très difficile de se faire entendre à ce sujet.
Comme l'a indiqué le docteur Berger, en France, on essaie avant tout de préserver la cellule familiale. Cela peut faire réagir quand on entend qu'on peut obliger une petite fille victime d'un inceste à aller voir son père en prison. Mais c'est une réalité qui vaut pour toute forme de maltraitance et de violence faites aux femmes, qu'elles soient mineures ou majeures. L'importance donnée au maintien du lien familial a des raisons historiques – on était tombé dans un autre excès auparavant – et ses raisons d'être. Mais c'est une réalité contre laquelle nous butons en matière de mariage forcé et qui nécessite des adaptations.
Le combat que nous menons actuellement est de donner toute sa place à la parole de la personne concernée. On rencontre les parents puis on organise une confrontation entre eux et la jeune fille. Quand vous avez 16 ou 17 ans et que vous avez subi depuis votre plus jeune âge un véritable matraquage psychologique et moral tendant à vous expliquer que vous êtes destinée à une union dont dépend l'honneur de la famille, comment espérer que vous serez capable de redire devant votre père ce que vous avez dit à une association, à une assistante sociale scolaire ou à tel adulte bienveillant ?
Autant on peut être relativement content, même s'il y a des ajustements à faire, de l'avancée enregistrée en matière de mutilations sexuelles féminines, autant on doit déplorer un manque de réflexion de la part des acteurs politiques et sociaux en matière de mariage forcé. Il existe, là aussi, une hétérogénéité des pratiques suivant le lieu où l'on se trouve sur le territoire national ; mais, partout prévaut le maintien du lien familial, de sorte que la victime ou la victime potentielle est ramenée dans sa famille et n'est pas écoutée comme elle le devrait quand elle appelle au secours pour ne pas être mariée de force.
Le nombre de jeunes femmes qui tombent enceintes pour éviter un mariage forcé est encore trop élevé. Cela signifie que l'on n'a pas su apporter les réponses dont elles ont besoin.