Permettez-moi de faire d'abord un rappel historique.
Dans le service dont j'ai la responsabilité au CHU de Saint-Étienne, nous nous sommes spécialisés, depuis une vingtaine d'années, dans la prise en charge des enfants très violents.
Au début, nous pensions recevoir essentiellement des enfants qui avaient été maltraités, c'est-à-dire battus, négligés. Or nous avons constaté que, pour un certain nombre de ces enfants – parmi les plus violents –, ce n'était pas le cas. Par contre, ces enfants avaient été soumis au spectacle de scènes de violence conjugale extrêmement fortes, et de manière répétée. Cette observation est venue battre en brèche nos théories selon lesquelles l'enfant devait avoir été directement frappé ou négligé corporellement pour être violent.
De surcroît, beaucoup de ces violences avaient eu lieu alors que l'enfant avait moins de deux ans. Autrement dit, plus l'exposition à la scène de violence avait eu lieu précocement, plus elle avait d'impact, ce que nous n'imaginions pas.
Face à ces observations, nous avons débuté une recherche clinique et nous sommes mis en relation avec des collègues d'autres pays, en particulier du Québec, de Belgique et d'Israël. Je vais donc vous faire part de quelques-unes de nos conclusions concernant l'impact sur les enfants des violences faites aux femmes – dans lesquelles j'inclus les violences sexuelles faites aux femmes en présence de leurs enfants.
En plus de l'axe de référence psychologique, nous avons été obligés de faire appel à des connaissances neurologiques et sociologiques. Je précise tout de suite que notre position est mitigée – je dis « notre » car c'est un travail d'équipe – sur l'impact de la précarité. Les violences conjugales existent dans tous les milieux. La précarité aggrave tout, c'est vrai, et vivre dans un tout petit appartement avec plusieurs enfants crée des tensions intrafamiliales. Cependant, le premier rapport faisant part de l'augmentation inquiétante des violences en milieu scolaire date de 1972, c'est-à-dire pendant la période des Trente glorieuses et avant le premier choc pétrolier, époque où il y avait seulement 50 000 chômeurs. Je ne dis pas que la précarité ne joue pas, mais on en fait trop souvent un argument unique.
Nous avons dû également nous appuyer sur l'axe culturel et sur une réflexion judiciaire, que j'évoquerai plus tard.
Mon propos comportera trois chapitres : les troubles que, nous cliniciens, observons directement chez les enfants ; les causes de ces troubles ; et ce que peut proposer la société ?
En premier lieu, les troubles.
Tous les enfants exposés à des scènes de violence conjugale ne présentent pas des troubles. Nous ne connaissons pas le pourcentage d'enfants qui en souffrent – ce serait une recherche à faire.
La première sorte de troubles est ce que nous appelons la violence pathologique extrême.
Un enfant, que j'appelle Joël dans mon livre, a vu sa mère être rouée de coups devant lui par son père, en particulier lorsqu'elle était enceinte. Les scènes ont été répétées, très violentes, et la police est intervenue à plusieurs reprises. Cet enfant n'a pas été suffisamment protégé par le juge des enfants qui, l'ayant retiré treize fois du foyer, l'y a rendu treize fois. Il nous a été adressé à l'âge de deux ans et demi parce qu'il tentait sans arrêt d'étrangler les autres enfants – il avait d'ailleurs vu son père essayer d'étrangler sa mère. Nous avons réussi à sortir à peu près d'affaire cet enfant. Le coût du traitement a été de 582 000 € sur notre budget de service, ce qui est énorme. Lorsque cet enfant frappait les autres enfants –et certains ont été blessés –, il riait avec un sourire complètement « plaqué ». À notre demande : « Explique-nous pourquoi tu fais cela ! », il répondait : « C'est papa en moi qui me fait agir ainsi. ».
Selon nos propres statistiques, réalisées à partir de nos observations dans la Loire et extrapolées par rapport à la population française, il y a – au minimum – 14 000 enfants de ce type en France. C'est un chiffre important.
Un autre exemple – parmi beaucoup d'autres –, cité par la chercheuse israélienne Miri Keren concerne un bébé de six mois. Cet enfant a vu le compagnon de sa mère la gifler et lui cracher au visage. Dès qu'il a eu la maîtrise musculaire pour le faire, il a reproduit ce comportement sur les autres : il a donc enregistré cette scène.
Nous nous sommes donc demandé comment des troubles pouvaient être inscrits aussi précocement.
Selon nos hypothèses, confirmées par le travail clinique et thérapeutique d'autres équipes, ces enfants n'ayant pas la parole pour comprendre ce qui se passe, cette violence s'inscrit dans leur cerveau, dans leur psychisme, sous la forme de cris, d'images, de sensations à l'état brut. Et, à l'occasion d'événements minimes, comme une exigence éducative du genre « va te brosser les dents », ou à l'occasion du contact avec le corps d'autres enfants en groupe, cette violence ressurgit de manière immédiate comme une hallucination. C'est une sorte de reviviscence hallucinatoire : l'enfant est habité par l'image du parent violent, et elle se met en route comme si l'on appuyait sur un bouton. C'est aussi ce qu'on trouve chez certains agresseurs ayant attaqué une personne dans la rue car, selon eux, elle leur avait lancé un « mauvais regard ».
Cette violence présente une caractéristique très précise : l'enfant se transforme. Il profère des insultes d'adulte qu'il a entendues – un enfant de deux ans et demi ou trois ans ne pouvant pas les avoir appris d'autres enfants. Il frappe jusqu'au bout, c'est-à-dire avec une violence impossible à arrêter par des sanctions, ou en le tenant dans les bras, en le maternant, en essayant de le calmer par des mots. Il n'a aucune culpabilité et « efface » l'événement par la suite. Si nous lui disons « Il faut qu'on parle de ce qui s'est passé ! », il répond : « Oui, mais c'est terminé ! », quels que soient les dommages créés à la victime. Ces enfants pris en charge – avec cinq entretiens hebdomadaires individuels –, parviennent petit à petit à nous expliquer qu'ils ont, en eux, l'image de la scène où le parent frappe la mère.
Je citerai aussi le cas d'un enfant de sept ans pour lequel j'ai été appelé en urgence un soir dans mon service car il était en train de frapper l'infirmière. J'ai essayé de parler avec lui, rien n'y a fait. Il a mis son visage à vingt centimètres du mien et a hurlé pendant vingt minutes – à tel point que j'ai souffert d'un traumatisme auditif. Je n'avais jamais entendu un enfant hurler aussi fort. Il a fallu lui injecter un calmant. Cet enfant avait été soumis, sans être battu, à des scènes de violence interminables – elles duraient quatre ou cinq heures – entre son père et sa mère. C'est ce qu'il avait reproduit entre lui et moi, et entre lui et l'infirmière.
On le voit : l'impact des violences conjugales est terrible !
L'autre aspect qui nous complique considérablement la tâche est l'aspect neurologique.
On pourrait penser naïvement pouvoir expliquer à l'enfant : « Ce n'est plus comme cela, maintenant : tu es protégé. » Or on constate que ces enfants ont enregistré ces souvenirs sous la forme de ce qu'on appelle une « mémoire traumatique ». Les neuropsychologues sont parfaitement clairs là-dessus : il ne s'agit pas de notre mémoire habituelle, celle des souvenirs, d'un voyage, par exemple, dont les personnes concernées ne donnent pas la même version. Les enfants enregistrent à la milliseconde près la scène et la ressortent exactement de la même manière : c'est une mémoire automatique. Cela est très compliqué à traiter. Lorsque ces scènes sont enregistrées, elles sont fixées à partir de l'âge de deux ans, et entraînent d'énormes complications thérapeutiques.
La deuxième sorte de troubles est la violence associée à la cruauté. Dans la violence pathologique extrême, l'enfant n'est pas cruel : il frappe automatiquement et peut même blesser grièvement s'il en a la force physique, mais ce n'est pas de la méchanceté en soi. Avec la violence et la cruauté, les enfants se sont identifiés à la cruauté de l'homme par rapport à la femme. On les repère très rapidement car ils ont du plaisir à faire mal, à humilier l'autre. C'est aussi ce qu'on retrouve chez ces jeunes qui filment des scènes de viols et les rediffusent avec jubilation devant leurs camarades. Allègre, le tueur en série de Toulouse, a expliqué avoir été exposé de manière répétée – des centaines de fois – à des scènes de violence familiale extrêmement importantes entre son père et sa mère.
La troisième sorte de troubles est ce que nous appelons le syndrome post-traumatique.
En ce domaine, nous accusons en France un réel retard. Lors d'une conférence à Montréal en 2005 consacrée à ce thème, Miri Keren a fait part des travaux internationaux sur ce sujet. Ce travail a été mené par un groupe de psychiatres et de psychologues palestiniens et israéliens. Ils se sont dit qu'ils avaient au moins un point commun : les traumatismes causés à leurs enfants par la guerre et les bombardements. On a aujourd'hui des échelles d'évaluation de l'importance du syndrome post-traumatique chez les enfants de moins de trois ans. Surprise, ce traumatisme le plus important concerne les enfants exposés à une violence domestique au cours de laquelle leur figure d'attachement sécurisante, c'est-à-dire le plus souvent leur mère, est menacée. Ces enfants présentent un syndrome post-traumatique plus important qu'après avoir été pris dans des attentats ou – cela a aussi été mesuré – dans un tsunami. Ainsi, en prenant ces indicateurs, l'enfant de six mois ayant assisté aux scènes de violence dont je vous ai parlé présentait des séquelles beaucoup plus importantes qu'un autre enfant pris dans un attentat commis par des Palestiniens en Israël. En effet, la mère de ce dernier, bien que sévèrement blessée au bras, était restée à côté de lui, avait été sécurisante, était montée avec lui dans l'ambulance, l'avait accompagné jusqu'à la salle d'opération, avant de se faire soigner. Et, malgré de grosses blessures abdominales, cet enfant n'a gardé pratiquement aucune séquelle.
Il est impressionnant que ces chercheurs de ces deux pays arrivent à dire que les violences conjugales sont plus traumatisantes que les attentats.
Ces travaux datant de 1988, nous savons depuis lors que la mémoire d'un traumatisme demeure précise et fidèle chez l'enfant, quel que soit son âge ! On appelle événement traumatique chez l'enfant de moins de quatre ans tout événement vécu de façon directe ou en tant que témoin et qui menace son intégrité physique ou émotionnelle, mais aussi tout événement qui menace l'intégrité de la personne responsable de l'enfant.
Considérés comme insuffisants, ces travaux ont été repris en 1993 pour les enfants âgés de zéro à trois ans. Et, là encore, on a pu prouver que les nourrissons perçoivent des événements traumatiques et qu'ils s'en souviennent avec cette mémoire appelée « procédurale », « automatique » ou « traumatique », et que ces événements influencent leur développement ultérieur.
Différents de groupes des critères ont été établis.
Tout d'abord, ces enfants revivent les événements. Par exemple, ils « rejouent » leurs traumatismes dans leurs jeux. Ils ont également des épisodes dissociatifs, consistant à couper leurs pensées de leurs sentiments et de leurs sensations. Pour vous donner un exemple, une jeune femme qui a été violée n'a plus de sensation entre le haut du thorax et la racine des cuisses ; sa méthode pour se défendre étant de dissocier sa pensée de ses sensations.
Le deuxième groupe est celui de l'indifférence généralisée. Les enfants concernés perdent leurs compétences ou sont en retrait social.
Le troisième groupe celui de la suractivité : on voit des enfants hypervigilants, qui ont des réactions de sursaut ou ne s'endorment pas.
Dans le quatrième groupe, les enfants ont des nouvelles peurs : ils ont, par exemple, un comportement adhésif, ils « se collent » aux adultes. Ils peuvent aussi être agressifs.
Depuis 1993, ces cotations permettent de dire s'il existe un syndrome post-traumatique et de déterminer son intensité. Or je trouve que, là encore, on a du mal à les intégrer.
Une étude franco-suisse conduite par Franck Voindrot porte sur les syndromes post-traumatiques. Selon cette étude, 41 % des enfants reçus en pédopsychiatrie de liaison – un pédiatre, sentant que ce n'est pas de son ressort, appelle un pédopsychiatre dans la journée – pour encoprésie, angoisse, phobie, ont été exposés à des scènes de violence conjugale. La plupart du temps, les pédopsychiatres et les pédiatres ne les ont pas recherchées. Il a fallu pour cela une équipe sensibilisée d'autant que si l'on posait la question directement aux mères sur l'existence de violences, elles répondaient par la négative. Il fallait poser des questions indirectes du genre : « Y a-t-il des moments où vous n'êtes pas d'accord avec votre mari, où le ton monte ? » pour le savoir.
À ma connaissance, peu de travaux sont réalisés en France sur ce sujet. Ils sont essentiellement américains. Un important travail a été réalisé sur 8 860 adultes suivis par des services de soins psychiatriques – l'équivalent de nos consultations de secteur. Résultats : 43 % ont été soumis dans leur enfance à des traumatismes répétés, physiques, sexuels ou émotionnels, dont des scènes de violences conjugales, et 14 % ont eu comme traumatisme principal le spectacle de scènes de violences conjugales, si bien que les auteurs de ces travaux en ont fait une sorte de maltraitance particulière aux enfants. Les Québécois également – j'en reparlerai.
Un autre travail, intitulé « Hurtful words » – « Les mots qui blessent » –, compare les traumatismes en étudiant les conséquences psychiatriques à l'âge adulte de l'exposition à l'agressivité verbale et aux scènes de violence. Ainsi, on voit apparaître des symptômes anxieux, dépressifs, dissociatifs et des sentiments d'agressivité et, chose impressionnante – je suis presque gêné de le dire –, les troubles sont aussi importants que pour les enfants ayant subi des abus sexuels. Pour nous, c'est inimaginable. Faut-il faire d'autres études ? En tout cas, ce travail est valable.
Deuxième élément : les causes des troubles. J'en ai distinguées trois.
La première est l'exposition directe et l'enfant intériorise la scène de violence.
La deuxième cause est la baisse des compétences maternelles. Dans ces situations de violence, certaines mères étant avant tout préoccupées par leur survie perdent leur capacité protectrice et leurs préoccupations à l'égard des enfants. Une directrice de foyer pour femmes battues expliquait que toutes les femmes, au début de leur accueil dans le foyer, sont incapables de jouer avec leur bébé et il leur faut des mois pour se remettre de la violence et commencer à avoir du plaisir à être avec leur enfant.
Le troisième facteur est culturel. Parmi les principaux facteurs de risque, Jorge Barudy, l'un des responsables de la protection de l'enfance en Catalogne, place l'inégalité hommes-femmes quand elle est violente ou humiliante. Qu'entend-on par cette inégalité, souvent d'origine culturelle ? Les mariages forcés, qui, dans certains cas, s'apparentent à un viol, la violence sur l'épouse, les interdictions de sortir, la polygamie, l'excision, notamment.
Nous avons constaté une surreprésentation d'enfants d'origine maghrébine exposés aux violences conjugales, à peu près 30 %, alors que nous n'avons pas 30 % de population d'origine maghrébine.
La question de l'image de la femme est aussi posée par une étude publiée par la Fédération française de psychiatrie. Je ne suis sans doute pas politiquement correct en disant cela, mais il faut voir les choses en face : d'après des expertises réalisées par Patrice Huerre, psychiatre parisien connu, sur 52 jeunes de treize à dix-sept ans ayant participé à des viols collectifs, 50 % sont d'origine maghrébine et 22 % originaires d'Afrique noire.
Face à ces chiffres, nous avons décidé de travailler avec des psychologues maghrébins. Ils nous ont appris que les jeunes beurs, souvent, ne se trouvent pas séduisants. Or, si l'on ne se trouve pas séduisant, une des manières d'avoir des relations avec une fille, c'est de passer en force. Pourquoi ne se trouvent-ils pas séduisants ? En fait, beaucoup de mères maghrébines auraient du mal à investir leurs enfants de sexe mâle, car c'est le garçon de l'homme qu'elles n'ont pas forcément aimé, et c'est un garçon qui va devenir un homme comme leur compagnon. Même s'il ne faut pas généraliser, on retrouve très souvent dans ces situations de violence un investissement plus important de la part des mères auprès des filles. En outre, leur petit garçon n'aurait pas été pour elle « le plus beau bébé du monde », comme c'est le cas habituellement pour les nouvelles mamans.
Troisième chapitre : vous m'avez demandé quelles propositions peuvent être formulées. Je vais vous les exposer en sept points.
Premier point : il faut partir du principe que protéger une femme ou l'aider à se protéger, c'est protéger son enfant.
Deuxième point : on ne devrait plus entendre, en particulier de la part des juges aux affaires familiales, la phrase selon laquelle un mauvais mari – je précise qui donne des coups, je ne parle pas d'adultère – peut être un bon père. En effet, un homme qui tape sa femme devant son enfant perd toute préoccupation parentale puisqu'il soumet son enfant à un spectacle particulièrement angoissant.
C'est si vrai que les violences conjugales sont considérées dans la loi québécoise sur la protection de la jeunesse comme une forme de mauvais traitement psychologique. Pour élaborer leur loi sur la protection de la jeunesse, les Québécois n'ont pas eu recours à des facteurs émotionnels mais se sont référés aux travaux scientifiques existants. Voici ce qui figure maintenant dans leur loi : les mauvais traitements psychologiques sont susceptibles d'atteindre les jeunes sur tous les plans de leur développement avec une intensité qui pourrait même surpasser celle qui peut être associée à l'impact des autres formes de violence : abus sexuels, négligences et abus physiques. Ils nomment « mauvais traitements psychologiques » des mauvais traitements qui – caractéristique fondamentale – ne portent pas directement atteinte à l'intégrité physique de l'enfant.
Troisième point : les juges aux affaires familiales devraient être plus protecteurs pour l'exercice du droit de visite. Soit il faut permettre aux femmes de bénéficier d'un lieu d'accueil plus prolongé qu'actuellement, soit il faut créer l'obligation, plus longue, que ces visites se déroulent dans un lieu tiers. Vous le savez sans doute, l'enquête réalisée en 2006 en Seine-Saint-Denis a montré que, de toutes les femmes tuées par leur ex-conjoint, une sur deux l'avait été à l'occasion du droit d'hébergement par l'homme – l'enfant ayant probablement assisté à cette scène.
Quatrième point : une meilleure coordination entre les procédures pénales et le juge aux affaires familiales est souhaitable. En effet, en cas de procédure pénale pour mauvais traitements, les avocats du mari se débrouillent pour faire traîner la procédure de manière que l'homme ne soit condamné qu'après la décision du droit d'hébergement, et le juge aux affaires familiales ne peut pas en tenir compte.
Cinquième point : il ne faudrait pas de résidence alternée en cas de maltraitance avérée sur la femme. J'assure une consultation pour des enfants en résidence alternée souffrant de difficultés psychiques. Je précise très clairement aux parents que je ne ferai aucun certificat qui serait remis à leur avocat ou au juge ; la consultation sera centrée uniquement sur les difficultés psychiques de l'enfant. J'ai constaté que de 40 % à 50 % des mères venant consulter avaient été maltraitées avant ou même après la séparation d'avec leur conjoint, avaient été battues et vivaient toujours sous menace. Il y a trois semaines, j'ai reçu une mère que son conjoint avait quittée lorsque leur bébé avait huit mois. Ce père a exigé la mise en place d'un droit de visite du vendredi après-midi au lundi matin, plus un jour dans la semaine – c'est-à-dire presque une résidence alternée. L'enfant présente une angoisse importante, n'arrivant pas à s'endormir, ni à se séparer de sa mère. Le soir, il veut que la porte de sa chambre reste ouverte, il a peur qu'un loup ou un tigre ne vienne s'emparer de lui, ou que sa mère ne meure dès qu'il est chez son père, etc. Au fur et à mesure de la consultation, la mère s'est décomposée et a fini par me dire : « Cela va être terrible pour moi si mon fils parle à son père de ce qu'il vous a dit ; je ne reviendrai plus vous voir car j'ai trop peur. » Je lui ai alors proposé de la recevoir seule pour voir comment je pouvais l'aider, elle, à aider son enfant qui ne va pas bien, donc indirectement. Cette femme m'a téléphoné pour me dire qu'elle avait trop peur de revenir, et le rendez-vous suivant a été annulé. Je suis impuissant face à de telles situations.
Voilà pourquoi, selon moi, il ne faudrait pas de résidence alternée en cas de maltraitances avérées sur les femmes car ce dispositif d'hébergement est utilisé par l'ex-conjoint pour maintenir une emprise sur la mère. Ces pères se trompent en pensant attaquer leur femme ; ils créent en fait un handicap pour le développement affectif de leur enfant.
Sixième point : pourquoi nous n'arriverons pas à changer les choses. D'une manière générale, nos lois sur la famille, mais aussi sur la justice des enfants, ne sont pas centrées prioritairement sur les enfants c'est-à-dire sur les besoins minimums qui doivent être satisfaits pour qu'un enfant se développe à peu près correctement, en particulier son besoin de sécurité affective.
Malgré la loi du 4 mars 2002 sur l'autorité parentale et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, il manque plusieurs choses
Tout d'abord, il n'est jamais indiqué que l'intérêt de l'enfant doit avoir préséance sur celui des adultes. Les seuls pays où les lois soient réellement protectrices sont ceux où cela est précisé noir sur blanc, car on considère que l'enfant est vulnérable, que sa personnalité est en voie de développement, qu'il dépend totalement de son environnement et que, souvent, il n'a pas la parole pour faire comprendre ce qu'il ressent. En France, on cherche un équilibre entre les droits des parents et les droits de l'enfant. Or, dans certaines situations, ces deux droits sont incompatibles.
Ensuite, la définition de l'intérêt de l'enfant n'est pas appliquée pour plusieurs raisons.
Un débat parlementaire extrêmement tendu avait eu lieu à ce sujet, les parlementaires ayant imposé au gouvernement de l'époque – qui la refusait, puisque les juges, la sauvegarde de l'enfance et les conseils généraux n'en voulaient pas – la définition de l'intérêt de l'enfant. Et je ne cache pas avoir oeuvré pour cela.
Première raison : à l'École Nationale de la Magistrature, on m'a dit qu'il n'y a toujours pas de définition de l'intérêt de l'enfant. L'article L. 112-4 du code de l'action sociale et des familles, est pourtant ainsi rédigé : « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant ». C'est la définition du Canada, du Québec, de l'Italie, de certains cantons de Suisse et de l'Angleterre. Mais la virgule – après les mots « l'intérêt de l'enfant » – définit une juxtaposition de mots qui n'ont pas forcément de lien entre eux ! Il aurait donc fallu écrire : « l'intérêt de l'enfant, c'est-à-dire la prise en compte de ses besoins fondamentaux… », cette apposition permettant aux premiers termes de définir les suivants.