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Intervention de Paul Durning

Réunion du 17 mars 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Paul Durning :

Les questions des violences faites aux femmes et de l'enfance maltraitée ont émergé selon une chronologie sensiblement identique, même si l'analyse de leur interaction est très récente.

Le sujet de l'enfance maltraitée apparaît aux États-Unis dans les années soixante-dix. Le premier ouvrage français est publié en 1982. Les abus sexuels envers les enfants sont « découverts », si j'ose dire, en 1984, grâce à l'impact du congrès de Montréal. En 1985 et 1986, la médiatisation est forte.

En 1989, les deux thématiques se rejoignent : une loi relative à la protection des enfants maltraités est votée et la France ratifie la Convention internationale des droits de l'enfant ; dans le même temps une première campagne nationale de lutte contre la violence conjugale est organisée, à l'initiative de Mme Michèle André, secrétaire d'État aux droits des femmes, et les commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes sont instituées.

Ceux que l'on appelait les « enfants témoins » sont évoqués à notre connaissance pour la première fois comme victimes de maltraitance en 1996, avec la publication d'un ouvrage sur les violences psychologiques. Les violences psychologiques ont fait l'objet d'une conférence de consensus très importante aux États-Unis, en 1983, avec une première définition, à laquelle ont succédé deux autres. Cette approche a traversé l'Atlantique en passant par le Québec, où les premières recherches ont été traduites en français. La question de la typologie des violences psychologiques s'est très vite posée. Six ou sept formes ont été identifiées.

En quelque sorte, la problématique des violences psychologiques fait le lien entre violences faites aux enfants et violences faites aux femmes.

L'ONED est clairement centré sur les enfants ; nous interviendrons donc de ce point de vue.

Nous avons développé des activités avec le SDFE. Nous finançons trois travaux de recherche sur l'articulation entre protection de l'enfance et violences faites aux femmes et nous diffuserons les résultats sur notre site web.

Avant de répondre à vos questions, je dresserai un diagnostic puis je formulerai des propositions.

La littérature, qui est essentiellement étrangère, souligne que les conséquences sur l'enfant sont très variables dans leur forme et dans leur gravité : on retrouve le diptyque troubles intériorisés et troubles extériorisés, mais aussi les troubles de l'image de soi et de la capacité de gestion des émotions, avec des écarts importants entre enfants.

Le trouble manifesté par l'enfant n'est pas directement corrélé à la gravité des violences subies par sa mère. Du reste, pour tous les problèmes que nous étudions, de très nombreuses variables interviennent, au point qu'il est difficile d'élaborer un modèle du type causes-effets. Les variables interagissent et l'environnement a une influence forte. Selon les conditions de vie de la famille, à violences conjugales égales, le degré d'exposition de l'enfant varie. Certains enfants peuvent être très perturbés par une simple menace de séparation, même sans violences, même verbales, tandis que d'autres semblent surmonter le vécu de violences extrêmement fortes – même s'il convient d'insister sur leur impact. Tout dépend de la façon dont l'enfant perçoit les risques encourus par lui-même, par sa mère, mais aussi par ses frères et soeurs. Les Nord-Américains parlent également des dating violence, c'est-à-dire des violences dans les relations entre adolescents. Plutôt qu'un témoin exposé aux violences, l'enfant doit être considéré comme un témoin confronté aux violences : la façon dont il réagit fait partie du sujet d'étude ; c'est un acteur du processus.

Par ailleurs, la littérature souligne combien la concomitance entre violences exercées envers la femme et violences exercées envers un ou plusieurs enfants est fréquente : selon les auteurs, le taux est de 40 à 70 %. Les phénomènes sont donc reliés : dans certains cas le père est lui-même violent envers ses enfants, dans d'autres la mère reporte son énervement sur son enfant. Parmi les appels téléphoniques reçus au 119, 20 % relevant qu'un enfant encoure un danger font état de violences conjugales, élément évoqué spontanément par nos interlocuteurs. Au cours des huit derniers mois, cela représente 3 300 appels.

Le guide que nous avons élaboré avec le SDFE émet une série de propositions. Je soulignerai surtout l'importance de prendre en compte l'enfant. Ces propositions procèdent d'une recherche de consensus entre, d'une part, des professionnels et des spécialistes concernés par les violences faites aux femmes, d'autre part, des professionnels et des spécialistes concernés par l'enfance en danger. L'enfant, dans toutes les situations, doit être considéré comme une personne à part entière, sans identifier immédiatement sa situation, sa souffrance et son intérêt à ceux de sa mère.

Tout enfant témoin de violences conjugales relève-t-il de la protection de l'enfance ? Cette question est centrale. Si la réponse est positive, le nombre d'enfants à prendre en charge sera accru d'au moins 50 %. Quand les violences exercées contre la mère sont extrêmement graves, ses enfants relèvent incontestablement de la protection de l'enfance. Par ailleurs, la capacité des parents à assurer la protection de leur enfant et à assumer l'ensemble de leurs responsabilités est un critère essentiel. L'évaluation ne porte pas uniquement sur l'état de l'enfant mais aussi sur la capacité parentale – souvent maternelle – à exercer son autorité. Si c'est le cas, une aide psychologique peut être envisagée, sans nécessairement recourir au dispositif de la protection de l'enfance.

La question de la prévention est évidemment fondamentale. À une époque, les Québécois, imitant les Américains, développaient des programmes télévisés de prévention tous publics, sous forme de fictions, pour traiter des sujets relatifs aux violences entre enfants, aux violences en direction des enfants ou aux violences parentales. Les personnes précédemment auditionnées ont aussi évoqué les politiques de lutte contre l'alcoolisme et de lutte contre les valeurs machistes, qui interviennent fréquemment très en amont des violences physiques ou sexuelles contre les enfants et des violences faites aux femmes. L'importance de la prévention précoce est déjà soulignée par la loi de 2007, lors de l'entretien au cours du quatrième mois de grossesse ; les violences commencent en effet souvent au cours de la grossesse, les foetus endossant eux-mêmes des souffrances.

Dans les rapports de suivi de jeunes en AEMO – action éducative en milieu ouvert–, le diagnostic de situation fait souvent état de violences conjugales, mais on n'y voit pas trace d'une action vis-à-vis de ce problème. Il est donc indispensable de sensibiliser aux violences faites aux femmes les professionnels de l'enfance et, parallèlement, de sensibiliser aux besoins de l'enfant, les professionnels et les bénévoles intervenant dans le champ des violences faites aux femmes. Quand une mère en détresse arrive dans un service d'accueil et qu'elle entre dans le bureau de la psychologue, il arrive que son enfant en très bas âge reste sans jouet ni assistance, la psychologue étant uniquement prévue pour la maman. Il est essentiel de prêter attention aux enfants, y compris dans les situations de grande urgence.

Se pose aussi la question de l'offre de traitements psychologiques. Il manque des psychologues et surtout des psychologues formés à la question des violences faites aux femmes et à celle des enfants confrontés à ces violences que ce soit dans le secteur libéral ou dans les services de l'aide sociale à l'enfance. Pour les former, nous manquons de connaissances, d'expérimentations et de travaux. Faut-il privilégier l'approche par écoute empathique, assez généralisée parmi les thérapeutes français formés depuis plus de dix ans, ou l'approche centrée sur le coping, (stratégie pour faire face) visant à aider l'enfant à gérer les situations en adoptant des comportements de protection ? La communauté des psychologues n'a pas tranché le débat.

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