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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 3 juin 2009 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales :

C'est toujours avec grand plaisir que je me rends devant votre commission chaque fois que j'y suis conviée. Je me réjouis tout particulièrement aujourd'hui de pouvoir vous présenter ce projet de LOPPSI, qui était prêt depuis un certain temps mais que le calendrier parlementaire et des contraintes constitutionnelles avaient empêché de présenter.

Une loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, ce sont des moyens financiers et matériels, mais aussi des moyens juridiques, mis à la disposition des forces de sécurité pour accomplir leurs missions. S'il est important de mettre au point une stratégie pour lutter contre la délinquance à un moment donné, il convient aussi de s'inscrire dans une perspective plus large : une loi d'orientation est destinée à produire ses effets sur les cinq années qu'elle couvre, et au-delà, à dégager des orientations.

Depuis 2002, la délinquance a fortement diminué dans notre pays grâce à la LOPSI. La délinquance de proximité, celle qui affecte le plus nos concitoyens, a ainsi chuté de près de 30%, ce qui correspond à 488 000 actes de délinquance – et partant de victimes – en moins. En 2008, le nombre de faits constatés a atteint son seuil le plus bas depuis 1997. C'est un résultat dont il faut au premier chef féliciter les forces de l'ordre, mais nous ne saurions nous en contenter. Il faut à la fois aller plus loin et nous préparer aux mutations de la délinquance, qui vont de pair avec celles de notre société. La mondialisation rend les menaces à la fois plus nombreuses, plus diffuses et plus globales, et la délinquance prend de nouvelles formes.

Ce projet de LOPPSI nous donne les moyens d'inscrire notre action dans la durée pour faire baisser la délinquance. Il trouve logiquement sa place à la suite des propositions de loi issues de votre commission, celle du président Warsmann visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, celle de M. Bénisti et Mme Batho relative aux fichiers de police, celle enfin de M. Estrosi visant à renforcer la lutte contre les bandes violentes. Cette complémentarité du travail du Gouvernement et du Parlement fait honneur à notre démocratie.

Ce projet de LOPPSI engage 2,5 milliards d'euros sur cinq ans – vous avez déjà voté dans la loi de finances pour 2009 les crédits pour cette année. Dans la continuité du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, la LOPPSI intègre, pour la première fois, le domaine de la sécurité civile, avec notamment une meilleure préparation à la gestion des risques NRBC (nucléaire, bactériologique, biologique et chimique) qui peuvent survenir en cas d'acte terroriste mais aussi d'accident industriel.

Autre nouveauté : la LOPPSI est annualisée, ce dont je me réjouis. Cela permettra au Parlement de contrôler chaque année, lors de l'examen du projet de loi de finances, que les engagements ont bien été respectés. Que les crédits accordés au titre de la LOPPSI soient annualisés ne signifie pas qu'ils seront constants d'année en année ; au contraire, une montée progressive en puissance est prévue. Ainsi, pour la dernière année, 870 millions d'euros sont inscrits car nous devrons faire face à compter de 2012 au désengagement des armées outre-mer et acheter certains appareils, notamment des hélicoptères, pour continuer d'assurer la même protection aux territoires d'outre-mer et à leurs populations.

Ce projet de LOPPSI repose sur une stratégie globale, fondée sur la réactivité et l'anticipation face aux nouvelles formes d'insécurité d'une part, et sur le renforcement de la dissuasion et de la prévention d'autre part.

Premier principe : améliorer la réactivité et l'anticipation. Notre société évolue, la délinquance aussi. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester à la traîne. Bien au contraire, nous devons mobiliser tous les nouveaux moyens technologiques dont nous disposons. C'est pourquoi je souhaite développer une police scientifique et technique de masse, dont le champ d'intervention et les méthodes soient étendus et adaptés à toutes les formes de délinquance et de criminalité ; en effet elle n'intervient aujourd'hui que pour les crimes et les délits les plus graves, en permettant d'ailleurs d'obtenir des taux d'élucidation remarquables. L'idée est de pouvoir utiliser ces moyens pour des actes de délinquance tels que les vols dans un véhicule ou les cambriolages. Il faut pour cela développer les moteurs de recherche et faire baisser le coût des analyses.

Pour faciliter le recoupement des affaires et mieux lutter contre les actes de délinquance en série, le projet permet d'étendre l'utilisation des logiciels de recoupement à la lutte contre la moyenne délinquance. Aujourd'hui, ces logiciels peuvent être utilisés pour les crimes et délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement, dans le cas d'atteinte aux biens, et de sept ans dans le cas d'atteintes aux personnes. Il est prévu d'abaisser les seuils à cinq ans d'emprisonnement, toutes infractions confondues.

De même, le projet facilite les procédures d'alimentation du fichier national automatisé d'empreintes génétiques (FNAEG), qui a fait la preuve de son efficacité. Il est ainsi proposé que les agents du corps des personnels scientifiques de la police nationale puissent procéder, sous le contrôle des officiers de police judiciaire, aux opérations de vérification, de prélèvement et d'enregistrement. Dans un souci de transparence, un magistrat référent sera chargé du contrôle des fichiers d'antécédents et d'analyse sérielle.

Enfin, le projet améliore les procédures d'enregistrement et de contrôle des délinquants sexuels dans le fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.

Au-delà de ces moyens technologiques, des moyens opérationnels sont nécessaires pour mieux lutter contre la délinquance. En effet celle-ci se joue des frontières administratives et, même si la coordination entre les services a été améliorée, les procédures demeurent longues quand des délinquants se déplacent par exemple d'un département à un autre. Pour adapter l'organisation de la sécurité aux bassins de délinquance, identifiés sur le terrain, nous proposons qu'une police d'agglomération renforce la coordination entre les services de sécurité. Pour l'Île-de-France, le projet étend les compétences du préfet de police aux départements de la petite couronne pour le maintien de l'ordre public, dans sa totalité. Le préfet de police dirigera également l'action des services de police et de gendarmerie dans leur mission de régulation et de sécurité de la circulation sur les axes routiers d'Île-de-France, ce qui permettra notamment de mieux suivre les délinquants et de les empêcher d'agir. Le projet ouvre la possibilité d'étendre à d'autres agglomérations ce commandement unique en matière d'ordre public. Des travaux sont d'ores et déjà en cours à Lille, Lyon, Marseille. Toulouse pourrait éventuellement être également concernée.

Au-delà de cette plus grande réactivité et de cette meilleure anticipation, le projet vise à renforcer à la fois la dissuasion et la prévention. Des modes d'action adaptés et des moyens juridiques renforcés doivent le permettre.

Au premier rang des technologies adaptées figure la vidéoprotection qui, d'un avis unanime, constitue un moyen efficace de dissuasion et, partant, de prévention. Il vous est proposé de tripler le nombre de caméras installées sur l'ensemble du territoire. Dans les lieux exposés à des risques particuliers d'agression ou de vol, les personnes privées seront désormais autorisées à installer des systèmes de vidéoprotection filmant les abords de leurs bâtiments. Le délai de conservation des images, qui demeure plafonné à un mois, pourra dorénavant faire l'objet d'une durée minimale fixée par le préfet, afin de permettre l'exploitation des images au cours d'une enquête lorsqu'une infraction a été commise dans le champ des caméras, alors qu'elles sont aujourd'hui souvent effacées dans des délais trop brefs. Dans le même temps, il faut apporter aux personnes des garanties supplémentaires en matière de respect de la vie privée et de protection des libertés publiques. C'est ainsi que les compétences de la commission nationale de vidéosurveillance seront élargies à une mission générale de contrôle du développement de cette technique. La composition de cette commission sera diversifiée et ses possibilités de saisine élargies. Parallèlement, le préfet pourra décider la fermeture administrative des établissements qui auraient utilisé un dispositif de vidéoprotection non autorisé.

Il nous faut également renforcer la lutte contre la cybercriminalité en nous dotant d'outils aussi efficaces dans l'espace virtuel que sur le terrain réel. Contre la pédopornographie, le projet permet de bloquer l'accès depuis le territoire national à certains contenus, même s'ils proviennent de sites hébergés à l'étranger. Le dispositif est simple : le ministère de l'intérieur transmettra aux fournisseurs d'accès à internet la liste des sites à bloquer et ce sont aux FAI qu'il appartiendra ensuite d'en empêcher l'accès. Un tel dispositif technique existe déjà dans de nombreuses démocraties voisines.

L'usurpation d'identité sur internet doit également être plus sévèrement sanctionnée. Jusqu'à présent, elle ne pouvait être poursuivie que s'il en avait résulté un préjudice financier. Or, cette usurpation peut avoir de très graves conséquences non financières, par exemple en matière de diffamation. La multiplication des forums de discussion et des réseaux sociaux de type Facebook en a accru les risques. Le projet rend désormais condamnable l'usurpation de l'identité d'autrui sur internet, même sans préjudice financier.

Contre l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication par les grands criminels ou les terroristes, le projet donne aux enquêteurs les moyens de capter à distance et en temps réel les données informatiques telles qu'elles s'affichent à l'écran d'un ordinateur ou qu'elles y sont saisies, bien entendu dans le cadre d'une enquête judiciaire et sous le contrôle du juge. Alors même que le téléphone est délaissé au profit de l'ordinateur, il serait paradoxal qu'on puisse procéder à des écoutes téléphoniques – strictement encadrées –, mais non surveiller les messages transmis par voie électronique par des criminels ou des terroristes.

Des moyens juridiques renforcés sont également nécessaires pour prévenir certaines infractions et garantir l'efficacité des sanctions.

Il nous faut ainsi lutter contre les déviances de certaines officines dans le domaine dit de l'intelligence économique. Certains dérapages ont été sanctionnés, mais nous voulons réglementer plus strictement ces activités. Nous prévoyons un agrément préfectoral des dirigeants, gérants et associés des sociétés se livrant à de telles activités, ainsi qu'une autorisation administrative d'exercice desdites activités par les personnes morales. Tous les professionnels sérieux du secteur jugent ce dispositif pertinent. Le projet dispose également que les anciens fonctionnaires de police, les membres de la gendarmerie nationale ainsi que les agents travaillant dans certains services de renseignement ayant pu avoir, de par leur profession, connaissance d'informations réservées, ne pourront pas exercer d'activité privée dans ce secteur dans les trois ans suivant la cessation de leurs fonctions. Sans porter atteinte à leur liberté de retravailler, cette disposition paraît de nature à prévenir tout risque.

Il vous est également proposé de rendre plus efficace la lutte contre la violence dans les enceintes sportives. Les mesures existantes, comme l'interdiction administrative ou judiciaire de stade, ou bien encore la dissolution d'associations de supporters, doivent être renforcées. Nous prévoyons d'allonger de trois à six mois la durée d'une interdiction administrative de stade : en effet, si les actes ayant conduit à cette interdiction avaient eu lieu vers la fin du championnat de football par exemple, l'interdit de stade pouvait, dès le début de la saison suivante, retourner au stade comme si de rien n'était, après la trêve de l'été, le délai de trois mois s'étant écoulé. En portant la durée d'interdiction à six mois, et un an en cas de récidive, la sanction aura une application effective. De même, une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an pourra être prononcée en cas de non-respect de l'arrêté préfectoral d'interdiction ou de méconnaissance de l'obligation de pointage. Comme vous le savez, j'ai été amenée à dissoudre certaines associations de supporters, notamment pour injures racistes. Il vous est proposé que ces associations puissent faire l'objet d'une dissolution administrative ou d'une suspension de leur activité dès la commission d'un premier acte particulièrement grave.

Il est un autre domaine dans lequel des sanctions sont prévues, mais où il faut s'assurer qu'elles soient effectivement appliquées pour être pleinement efficaces : c'est celui de la sécurité routière. Même si le nombre de tués et de blessés sur nos routes a fortement diminué, ce sont encore en 2008, en moyenne, chaque jour, 12 personnes qui y ont perdu la vie et 250 qui y ont été blessées, certaines risquant de demeurer handicapées à vie. C'est inacceptable. Il vous est donc proposé, pour les infractions les plus graves et en cas de récidive de certains chauffards déjà condamnés par la justice, une peine complémentaire obligatoire de confiscation du véhicule – sauf décision motivée du juge prenant en compte des circonstances particulières. Le véhicule saisi sera remis à l'administration des Domaines puis vendu. Le produit de la vente pourrait être reversé à des associations d'aide aux victimes ou de lutte contre la délinquance routière. En cas de blessures involontaires ou d'homicide commis au volant sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, le juge pourra prononcer, à titre de peine complémentaire, une interdiction pendant cinq ans au plus de conduire un véhicule non équipé d'un éthylotest anti-démarrage. C'est une mesure technique de précaution, dont nous avons vérifié auprès des constructeurs automobiles qu'elle ne posait pas de difficultés.

Le permis à points est un outil efficace de lutte contre l'insécurité routière, mais à condition que les conséquences des retraits de points soient effectives. Nous proposons donc d'aggraver la sanction prévue en cas de récidive de conduite sans permis, ainsi que de réprimer plus fermement le trafic de points car, au-delà des trafics intra-familiaux bien connus, il en est qui s'opèrent sur internet moyennant rémunération. La loi, qui vise d'abord à protéger les plus faibles, doit être respectée. À défaut, c'est l'autorité même du Parlement et de l'État qui se trouve remise en question. Il vous est donc proposé de sanctionner le trafic de points par des peines pouvant aller jusqu'à six mois de prison et 15 000 euros d'amende.

Voilà brièvement résumé ce projet de LOPPSI. Il répond à une stratégie simple : ne jamais être en retard par rapport aux évolutions de la délinquance, se doter des moyens technologiques appropriés et garantir que l'autorité, sereine et tranquille, de l'État sera bien respectée. Toutes ses dispositions reposent sur une seule philosophie : le refus de la fatalité en matière de délinquance. Sans doute existera-t-elle toujours, mais il n'y a aucune raison que nous ne puissions pas la faire diminuer. La protection de nos concitoyens relève des missions fondamentales de l'État et de notre responsabilité commune. Ensemble, Gouvernement et Parlement, avec les forces de sécurité, donnons-nous les moyens de l'assurer.

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