En réponse aux questions des uns et des autres, je préciserai en premier lieu que le cabinet du ministre de la défense, que j'ai contacté, m'a indiqué que le projet de loi est en cours de rédaction et non qu'il est disponible depuis le 6 novembre. Pour autant, il est clair que le Gouvernement se rend compte qu'il ne peut plus différer une initiative dans ce domaine. Le président Pierre Méhaignerie, qui s'est excusé de ne pouvoir présider la commission ce matin, m'a fait part d'une réunion de travail à laquelle il a participé ; il s'est engagé à veiller à ce que les conclusions de cette réunion soient mises en oeuvre. Il demeure que nous n'avons pas sous les yeux le texte de cet avant-projet de loi.
Je suis impressionnée par les arguments juridiques mis en avant notamment par M. Pierre Lellouche pour tenter de laisser croire que cette proposition de loi serait juridiquement mal rédigée. La question est-elle vraiment trop complexe pour être traitée par une initiative parlementaire ? La rédaction de la proposition de loi a été effectuée avec l'aide de juristes réputés, dont certains accompagnent les victimes dans leurs démarches depuis des années ; la pertinence de cette rédaction a donc été soigneusement soupesée.
Je précise par ailleurs que, dans la proposition de loi, la liste des maladies radio-induites et la cartographie des territoires concernés doivent être fixées par décret pris après avis de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires. Lors des auditions, j'ai eu des échanges féconds et très francs avec de nombreux scientifiques, notamment des représentants de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), de l'Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC) et avec le docteur Behar Abraham et l'Association des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN). Il est vrai qu'il n'y a pas d'étude épidémiologique sur le sujet, mais l'importance du taux de mortalité chez les vétérans des essais nucléaires est indiscutable. Pour ce qui est de la présomption de causalité définie par la proposition de loi, il y a des précédents dans notre droit, en matière de reconnaissance des maladies professionnelles ou d'indemnisation des victimes de l'amiante par exemple.
Doit-on prendre en compte les accidents nucléaires dans le dispositif ? Si les problématiques du nucléaire civil et militaire sont certes différentes, le fait est que les suites de l'accident de Tchernobyl dans notre pays donnent lieu à de nombreuses et longues procédures judiciaires et qu'il serait difficile de déclarer à ces victimes que le législateur ne veut pas les prendre en considération. J'ajoute que le champ des maladies induites par cet accident ainsi que les secteurs géographiques concernés (Vallée du Rhône, Hautes-Alpes, région de Nice et Corse) sont bien délimités ; il n'y a donc pas de risques d'extension sans contrôle du dispositif. Enfin, si M. Pierre Lellouche a raison de mentionner la loi de 1968 sur les accidents nucléaires civils, elle est toujours inapplicable faute de parution des décrets d'application. Si le dispositif finalement adopté devait concerner les seuls essais nucléaires, il faudrait veiller au minimum à ce que le Gouvernement s'engage à publier ces décrets d'application.
Enfin, je souligne qu'il existe quelques études de l'INSERM, de la CRIIRAD, dont certains suspecteront peut-être la fiabilité du fait de leur origine non officielle, et une étude du Professeur Al Rowland sur les anomalies chromosomiques qui permettent d'étayer la présomption d'un lien de causalité entre les essais nucléaires et les pathologies dont souffrent les vétérans des essais à partir de ce que les scientifiques appellent « les dominantes » des causes des maladies radio-induites.