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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 15 avril 2008 à 15h00
Modernisation du marché du travail — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

…il n'en reste pas moins que la recherche constante de nouveaux outils permettant aux entreprises de gérer leurs effectifs avec plus de flexibilité et les nouveaux modes de management destinés à satisfaire les besoins d'un capitalisme de casino continuent de faire des ravages.

Les résultats, nous les connaissons : le « précariat » s'est installé, le phénomène des travailleurs pauvres s'est étendu, les classes moyennes sont déclassées, le sous-emploi galope.

Sous l'effet des départs en retraite et de la gestion administrative des catégories de demandeurs d'emploi, les chiffres du chômage sont affichés en baisse, mais la faiblesse de notre croissance et l'abaissement du coût du travail ont pour résultat la segmentation du marché du travail. Michel Husson, de l'Institut de recherches économiques et sociales l'a encore déploré récemment : « Nous nous sommes installés dans un nouveau modèle économique : un marché du travail plus dual. D'un côté, des “bons” emplois bien payés ; de l'autre, des emplois précaires et peu rémunérés, comme dans les services à la personne qui représentent le tiers des emplois créés en 2007. »

Sans sourciller, texte après texte, vous nous vendez les mêmes recettes. À la veille de prendre la présidence de l'Union européenne, vous référant à un des concepts préférés de la Commission, vous nous dites que la flexicurité à la française marquerait une avancée considérable. La flexicurité n'est pourtant pas aussi consensuelle que semble bien vouloir le dire le ministre, puisque la Confédération européenne des syndicats craint qu'elle « ne soit interprétée comme un permis de licencier plus facilement et d'adapter des formes de travail plus précaires ».

Vous n'apportez aucune preuve, bien au contraire, de l'efficacité des outils de flexibilité privilégiés par l'ANI pour résoudre le chômage des jeunes, celui des seniors, et freiner le tassement des salaires et la déclassification de l'emploi. Vous vous contentez de prendre pour modèle un pays avec lequel nous n'avons rien de comparable : le Danemark, où la population active est dix fois moins importante, qui dépense 2,7 fois plus que la France pour chaque chômeur et qui s'appuie sur un secteur public particulièrement développé. Comme le rappelle l'économiste Robert Boyer, le modèle danois repose sur trois piliers indissociables : « une forte flexibilité des règles d'embauche et de licenciement pour les entreprises, une indemnisation généreuse du chômage et une politique active de l'emploi ». « La flexibilité, écrit-il encore, ce sont des règles mais aussi un état d'esprit. »

Nous le verrons au fil de la discussion, en guise de règles le Gouvernement garantit uniquement le plus de flexibilité possible. Réduction des dépenses sociales oblige, la politique active de l'emploi passe à la trappe. Concernant le changement d'état d'esprit, les choses sont plus incertaines encore…

Aucune de ces considérations ne vous ébranle pourtant. Vous êtes tous à considérer que notre droit du travail, prétendument trop protecteur, est un obstacle au droit au travail. Un texte souhaité de longue date allant dans le sens d'une libéralisation du droit du licenciement et d'une individualisation des relations de travail ne peut a priori que satisfaire les libéraux que vous êtes. Bien sûr, les plus ultras d'entre vous trouveront à regretter que Nicolas Sarkozy ait du battre en retraite sur sa proposition d'un contrat de travail unique qui généralisait les principes du CNE, au premier rang desquels la période d'essai de deux ans durant laquelle tout était possible. Nous verrons cependant que le nouveau « super CDD », dit contrat de mission, pourrait bien ressembler, sous certains de ses aspects, à ce qu'aurait pu être le contrat unique.

D'aucuns évoqueront peut-être le caractère trop « light » des énièmes assouplissements consentis au droit des contrats de travail et de leur rupture. Certains oseront même transgresser la consigne gouvernementale et amenderont le projet de loi pour tenter de supprimer la seule véritable avancée qu'il contient pour les salariés : la disparition définitive du contrat nouvelles embauches et surtout sa requalification automatique en CDI, jugée totalement inadmissible par la CGPME, mais aussi par notre collègue Dominique Tian !

Quoi qu'il en soit, vous vous retrouverez tous pour vanter la supposée modernité de la rupture négociée du contrat de travail, concession majeure des organisations syndicales signataires de l'ANI au patronat. D'une seule voix, vous voterez un texte que vous qualifiez d'historique, non parce qu'il est la transcription d'un accord national interprofessionnel et que, désormais convertis au dialogue social, vous seriez prêts à assumer l'autonomie normative des partenaires sociaux, quelle que soit d'ailleurs la majorité qui viendrait à présider aux destinées de la France, mais avant tout parce qu'il est porteur d'une vraie rupture idéologique : comme n'a pas manqué de le noter Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à la Sorbonne, reprenant les propos de la présidente du MEDEF : « cet accord donnant-donnant et d'égal à égal veut aussi signifier que le vieux droit du travail destiné à protéger le collectif ouvrier décrit par Dickens ou Zola est dépassé. Que promu l'égal de l'employeur, le collaborateur du troisième millénaire peut négocier lui-même tout ce qui le concerne. »

Ce texte vous est d'autant plus précieux que, dans la foulée de la position commune du 16 juillet 2001 et du rapport de Virville, il contribue à déplacer les équilibres institutionnels, à alléger l'impératif légal, à réduire à sa plus simple expression le rôle de l'État et, de facto, à consacrer la thèse du contrat libérateur, toutes évolutions que nous sommes très loin de partager.

En leur temps, MM. Raffarin et de Villepin avaient largement satisfait ces demandes souvent dogmatiques. M. Fillon, quant à lui, profitant d'un texte dit de modernisation du dialogue social et transcrivant l'ANI sur la formation professionnelle, n'a pu s'empêcher de remettre en cause la hiérarchie des normes, en permettant aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche. Nous savons aujourd'hui, que ces accords dérogatoires n'ont globalement pas fait recette, la branche restant le niveau pertinent pour encadrer la concurrence entre les employeurs.

Reste néanmoins que cette étape, considérée comme essentielle dans la modernisation de notre système de négociations collectives par le MEDEF, sert de base à ce dernier pour tenter de faire accepter dans la réforme de la représentativité syndicale, en contrepartie du fait majoritaire, l'idée que des accords d'entreprise dérogent à des accords de branche sur les heures supplémentaires.

En 2004 déjà, nous avions reproché au Gouvernement sa conception pour le moins singulière du dialogue social : l'instrumentalisation de la question de la négociation pour consacrer la prééminence du contrat sur la loi. Deux ans plus tard, le Conseil économique et social dans son rapport, Consolider le dialogue social, rappelait que chacun donnait à cette notion de dialogue social le contenu qu'il souhaitait et que, devenue enjeu politique, elle renvoyait à des pratiques forts différentes, avec tous les risques de malentendus que cela induisait quant au degré d'implication des interlocuteurs.

Après avoir usé d'ordonnances, de projet présentés en urgence, de cavaliers législatifs, tantôt pour instituer le CNE ou le CPE, tantôt pour réduire les droits des instances représentatives des salariés, après avoir méprisé les partenaires sociaux avec autoritarisme, M. Chirac, dans les dernières semaines de son mandat, avait redécouvert les vertus du dialogue social.

Si le dernier texte de la précédente législature posait les bases d'une nouvelle architecture de la responsabilité partagée entre l'État, les syndicats et le patronat, en formalisant le temps de la négociation préalable à toute réforme du code du travail, ni dans sa lettre ni dans son esprit il n'était question de modifier les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement. Les rapporteurs du texte dans les deux chambres parlaient d'une seule voix, rappelant sans ambiguïté que la démocratie sociale venait en complément de la démocratie représentative, mais sans la concurrencer.

Ceux qui, hier, sur ces mêmes bancs de droite acceptaient, d'une main seulement, la modernisation du dialogue social français, refusaient en réalité purement et simplement de renforcer la légitimité des acteurs sociaux. Et nous étions très peu nombreux alors à défendre la position commune de la CFDT et de la CGT, qui demandaient à la représentation nationale de franchir le pas en fondant la représentativité syndicale sur l'élection des salariés et d'avancer sur la mise en place des accords majoritaires.

Nous étions peu nombreux à défendre une conception exigeante du dialogue social où chacun, fort de sa légitimité, serait capable de négocier sans contrainte. Jamais il n'a été explicitement question de retirer au Parlement et à la loi leur rôle en matière de droit du travail et de droit social.

Parce que le contexte est aujourd'hui politiquement et idéologiquement porteur pour le MEDEF et la droite, parce que le compromis signé par les organisations patronales et syndicales, à l'exception notable de la CGT, est bancal, vous prenez prétexte de la méthode qui aurait présidé à l'élaboration de l'ANI pour nous priver d'un débat nécessaire et d'un droit de regard salutaire sur l'évolution de pans protecteurs essentiels de notre droit du travail.

Nous sommes bien décidés, en tant que députés communistes, Verts et ultra-marins, à ne pas nous laisser enfermer dans le piège tendu aux organisations syndicales et aux parlementaires. C'est justement parce que ce texte est singulier et que la méthode particulière qui est à son origine risque fort d'être érigée en nouvelle méthode de gouvernement que nous ne pouvons nous interdire de l'amender.

À supposer que l'initiative des négociations revienne effectivement aux partenaires sociaux, rappelons néanmoins que si Mme Parisot a repris la main en matière de négociations, inventant la délibération sociale, c'est surtout pour éviter que les gouvernements, et plus globalement les politiques, n'interviennent dans la sphère économique. Du reste, la feuille de négociation était loin d'être blanche : «Nous ne nous faisons aucune illusion sur la difficulté de ces négociations », soulignait le leader de la CFDT, « d'autant que les documents d'orientation du Gouvernement sont quelque peu directifs ». Impossible, dans ces conditions, de faire comme si les négociations sur la modernisation du marché du travail ne s'étaient pas déroulées sous l'influence du MEDEF, un MEDEF porté par le candidat vainqueur de l'ultralibéralisme en embuscade, un MEDEF conforté par la menace permanente d'une intervention législative plus dure.

Au salon des comités d'entreprise, le mois dernier, la question de l'autonomie réelle des partenaires sociaux a été, comme on devait s'y attendre, au coeur des diverses interventions des membres des organisations syndicales signataires de l'ANI. Tous sans exception ont admis avoir accepté un texte de large compromis, en pensant limiter la casse.

Cessons donc ce jeu de dupes ! Ayez au moins l'honnêteté intellectuelle de reconnaître, comme l'a fait une journaliste du service économique du Figaro, que l'enjeu très politique de la représentativité syndicale a pesé dans la balance au moment où certaines organisations syndicales ont dû signer. Assumez le fait que Nicolas Sarkozy a fixé les règles du jeu et contraint les organisations syndicales à une obligation de résultat afin de garantir un avenir sans vague à ses projets, d'ailleurs communs avec ceux du MEDEF.

Il est vrai qu'il peut être délicat de porter une telle réforme aussi inédite dans sa méthode que déséquilibrée dans son contenu. Vous préfériez sans doute ne pas faire de remous, d'autant que les semaines à venir seront rudes. Ainsi, la semaine prochaine risque fort d'être particulièrement mouvementée et inconfortable pour la majorité présidentielle qui, revendiquant davantage de jeu collectif, devra assumer le bilan d'étape du chef de l'État.

Difficile exercice, en effet, que de justifier dans les circonscriptions auprès de Français déçus, étranglés par la hausse des prix de l'énergie et des produits de première nécessité, que vous ayez, en si peu de temps, récupéré autant d'argent auprès des classes moyennes et des plus pauvres pour servir les plus forts et alimenter le capitalisme financier.

Difficile exercice que de promouvoir la poursuite de réformes injustes, économiquement et socialement désastreuses pour notre société, au simple motif que « ce qui compte pour les Européens, c'est que la France fasse ses réformes, qu'elle ne soit pas inhibée par les difficultés économiques et financières ».

Difficile exercice que de cacher plus longtemps la réalité du programme présidentiel et la violence du plan de rigueur avec ses plus de 12 milliards d'euros d'économies sur les comptes de l'État et ceux de la sécurité sociale.

Difficile exercice que de nier les conséquences que ne manquera pas d'avoir ce tour de vis sans précédent sur les politiques sociales et sur la politique active de l'emploi.

Désormais, il est clair qu'afin de fluidifier le marché de l'emploi, le Gouvernement redoublera de volonté pour flexibiliser les règles d'embauche et de licenciement, oubliant d'instaurer en retour des protections nouvelles pour les salariés. Et si la logique « gagnant-gagnant » du système de flexicurité n'était qu'un leurre ?

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