Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, il s'agit pour nous d'examiner deux projets de loi.
Dans un premier temps, vous nous invitez, monsieur le secrétaire d'État, à ratifier la révision quinquennale de l'accord de Cotonou, qui lie les États ACP à l'Union européenne, et, dans un second temps, vous nous demandez d'entériner les engagements des membres de l'Union européenne dans le cadre du Fonds européen de développement.
Loin de s'engager dans une voie de rupture en matière de coopération multilatérale, nous sommes ici dans une logique de continuité, avec une réactualisation de la politique européenne, à laquelle contribue sensiblement la France, à l'égard de plus de quarante-sept États d'Afrique, de seize États ou pays de la Caraïbe, et de quatorze États et pays du Pacifique.
Je centrerai mon intervention sur une zone régionale ; la Caraïbe. Je crois fortement à l'avenir de la Caraïbe, et c'est parce que l'avenir de cette région ultrapériphérique – RUP – constitue une préoccupation première que je porte sur ces projets de loi un regard à la fois optimiste et inquiet.
Un regard optimiste, car je suis convaincue de la nécessité d'intensifier la coopération, régionale, bilatérale et multilatérale dans le bassin caribéen.
Un regard inquiet, car je ne peux ignorer les impacts délétères que pourraient avoir les accords de partenariat économique – APE – découlant de Cotonou, sur nos économies domiennes.
Un regard optimiste, donc, car comment s'ériger en pourfendeur de l'accord de Cotonou, dès lors que la démarche vise à renforcer l'espace caraïbe dans une optique de développement des ACP en améliorant les politiques sociales et en luttant contre la pauvreté ? Je souscris pleinement à la démarche de conditionnalité des aides communautaires, par référence aux droits de l'homme et à la ratification du traité de Rome visant à consacrer la Cour pénale internationale.
Je promeus et soutiens cet accord dès lors qu'il se fonde sur une stratégie de lutte contre les grandes pandémies, dont le sida, qui frappe de plein fouet un certain nombre de populations de la Caraïbe.
Je conserve mon optimisme intact, dès lors que nous demeurons dans une logique d'efficacité et de performance de l'aide multilatérale apportée aux États de notre bassin, exposés aux aléas climatiques et au sous-développement. Cette aide peut, si elle est intégrée, contribuer à freiner les mouvements migratoires vers les régions ultrapériphériques de la Caraïbe, dont les sociétés insulaires sont économiquement et socialement fragiles.
Monsieur le secrétaire d'État, l'espace caraïbe est le creuset de la mondialisation. Les populations qui y vivent, les cultures qui s'y expriment, les sociétés qui s'y développent sont toutes nées de la rencontre du continent africain avec l'Europe, l'Asie et les Amériques. La Caraïbe, c'est une mer et une périphérie territoriale composée d'un chapelet d'îles et de territoires continentaux. Mes chers collègues, même les phénomènes climatiques donnent une cohérence à la Caraïbe. Il suffit d'observer la trajectoire d'un cyclone comme Dean ou Hugo pour appréhender les tourmentes de l'espace Caraïbe. La Caraïbe, c'est un Derek Walcott, un Aimé Césaire, un Gabriel Garcia Marquez, un Léon-Gontran Damas, un Guy Tirolien. C'est un tout éparpillé que lient une mer, une culture, une histoire commune et des mémoires partagées.
La Caraïbe, c'est « l'Antillanité », d'un Édouard Glissant qui caractérise les hommes et les femmes qui appartiennent à cette région par une faculté d'adaptation au monde et une aptitude à résister.
Si j'estime que nos économies domiennes sont capables de s'adapter et de s'intégrer pleinement dans leur environnement régional, je dois néanmoins vous faire part des raisons qui m'amènent encore à résister à la ratification en l'état de l'accord de Cotonou, lequel ne peut lever cette inquiétude.
Incontestablement, la Guadeloupe est partie authentique de l'espace Caraïbe. Indubitablement, la Guadeloupe est une composante de la France, et de ce fait, la Guadeloupe est manifestement une frontière extérieure de l'Europe, aux portes des Amériques : c'est à l'évidence une région ultrapériphérique.
Par référence à l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, vous comprendrez que j'ai quelque difficulté à accepter les incohérences de la Commission européenne : d'un côté, elle propose aux régions ultrapériphériques « un plan d'action pour le grand voisinage » qui vise à décloisonner les politiques communautaires ; de l'autre, elle prétend éliminer, au titre de l'OMC, tous les droits et contingents d'importation pour les pays ACP sans aucune garantie de réciprocité. Et tout cela, sans associer ni même consulter les départements français d'Amérique, régions ultrapériphériques de l'Europe.
En effet, au 1er janvier 2008, la Commission européenne et Cariforum vont signer un accord de partenariat économique se fixant quatre objectifs : améliorer les politiques sociales et la lutte contre la pauvreté ; promouvoir le développement et l'intégration régionale ; stimuler la croissance économique des pays membres du Cariforum en développant leur compétitivité ; enfin, dans une optique purement libérale, intégrer les règles de l'OMC.
Monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, permettez-moi de vous faire part de trois préoccupations, au-delà de l'incohérence que j'ai relevée dans la démarche de la Commission européenne lorsqu'elle négocie avec les ACP en évinçant les RUP, sans que la France ne défende avec détermination les intérêts de la Guadeloupe, en matière de production de banane, de sucre, de pêche et de délimitation des zones économiques exclusives.
Ces préoccupations sont très largement partagées par les présidents des chambres de commerce et d'industrie des départements, collectivités et pays d'outre-mer réunis en conférence permanente à Papeete, le 13 novembre dernier, à propos des APE.
Ma première préoccupation concerne la non-réciprocité de l'ouverture des marchés ACP, puisque le dispositif des « negative lists » est prorogé de douze ans. Bref, une production des États de la Caraïbe qui entre sur notre territoire ne pourra être taxée qu'à un taux maximum de 20 %, alors que nos exportations à destination de la Caraïbe pourront l'être à 100 %.
Ma deuxième inquiétude concerne l'avenir de l'octroi de mer, taxe interne qui permet de compenser les surcoûts supportés par les entreprises des RUP, contribue sensiblement aux finances des collectivités locales, et compense partiellement les handicaps structurels de ces régions. En effet, les ACP pourraient, à terme, considérer cette taxe de manière hostile et en demander la neutralisation.
Mon ultime source d'inquiétude concerne les incertitudes qui pèsent tant sur les dispositifs mis en place par la loi de programme pour l'outre-mer, que sur les mesures à venir dans le cadre de la zone franche globale d'activité – mesures très attendues par les socioprofessionnels et la société civile de l'outre-mer. Or cela sera difficilement applicable si les APE n'intègrent pas les préoccupations de nos RUP.
Monsieur le secrétaire d'État, la France est le deuxième contributeur au FED après l'Allemagne. À ce titre, nous détenons 196 voix au comité du FED. Il faut que vous preniez ici, devant la représentation nationale, des engagements pour désigner, pour siéger au sein de ce comité, les présidents des régions d'outre-mer, ainsi que des parlementaires de ces RUP. À défaut d'avoir été associés ou consultés pour l'élaboration des APE qui seront, bon gré mal gré, signés, nous pourrions au moins contrôler l'utilisation des ressources de ce fonds.
Donnez de la cohérence à l'action communautaire en impliquant davantage les RUP à une véritable politique de grand voisinage ! Par ailleurs, j'ai deux autres propositions à soumettre à votre sagacité : l'une qui ne dépend pas de vous, mais de l'Assemblée nationale. L'autre qui relève de votre autorité politique. Je commencerai donc par celle-ci.
Monsieur le secrétaire d'État, à l'occasion de la conférence des ambassadeurs qui se tient annuellement à Paris, il serait à mon sens opportun d'organiser, avec la représentation nationale, une table ronde animée par les ambassadeurs en poste dans la région Caraïbe et de prévoir une rencontre annuelle avec tous les ambassadeurs des pays appartenant au Cariforum, dans l'une des régions ultrapériphériques de ce bassin,
S'agissant de l'Assemblée nationale, je crois qu'il serait opportun de créer une organisation pilote des groupes d'amitié, ayant vocation à devenir un pôle régional du bassin caribéen à même de traiter tous les sujets de la coopération régionale, bilatérale et multilatérale. J'en fais la proposition à tous mes collègues et au président de notre assemblée, car il faut donner de la synergie à la coopération avec les États de cette zone qui m'est chevillée au corps.
Monsieur le secrétaire d'État, je ne veux pas adopter une posture non constructive sur ces deux projets de loi. En évoquant à nouveau Paul Niger, je veux vous dire « Allons, la nuit déjà achève sa cadence, j'entends chanter la sève au coeur du Flamboyant ». En effet, je veux que la coopération au sein de la Caraïbe réussisse avec nous, guadeloupéens, martiniquais et guyanais, car ni les ACP, ni l'Union européenne n'attendront les RUP pour continuer à tisser des liens d'échange et de commerce.
Il me tarde de voir les zones d'ombre s'estomper grâce la détermination du Gouvernement de la France à faire avancer et à défendre les intérêts des quatre RUP, qui sont les frontières atlantiques de la France et de l'Europe.
Monsieur le secrétaire d'État, je ne veux pas bloquer le dispositif d'aide. Mais, pour préserver l'intérêt des RUP, je m'abstiendrai. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)