Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui a une importance fondamentale pour les pays d'Afrique et du Pacifique et pour les territoires d'outre-mer de l'océan Indien et des Caraïbes. Si nous partageons l'objectif de mise en place de zones d'intégration régionale et si nous pensons que la priorité doit être donnée au développement des marchés régionaux des ACP, nous estimons que le calendrier de négociation et de mise en place est beaucoup trop court. L'Europe elle-même a eu besoin de plus de trente ans pour mettre en place son marché commun ! Les intégrations régionales doivent être construites par les États en concertation avec leur société civile, et non imposées à marche forcée par des négociations commerciales, qui doivent respecter les processus en cours.
L'Union européenne est le premier partenaire commercial des pays ACP. Les produits industriels européens bénéficient d'un environnement technologique de pointe et de techniques de production beaucoup plus compétitives. Dans un tel contexte, les pays ACP ont peu d'avantages comparatifs et il leur est difficile de tirer partie d'un libre-échange, même asymétrique. Dès le départ, l'Union européenne a proposé des accords de libre-échange asymétriques, consistant à ouvrir son marché à 100 % et à libéraliser 80 % de ses flux vers les pays ACP. Or il nous semble fondamental, comme le revendiquent déjà certains États ACP, que les négociations ne s'enferment pas dans ce chiffre de 80 %, mais qu'elles se fondent plutôt sur les besoins et les volontés politiques des pays, en identifiant avec eux les secteurs économiques importants dans une perspective de développement durable. De même, la période de mise en oeuvre de douze ans doit pouvoir être allongée, de façon à permettre une réelle adaptation des économies des pays ACP.
Enfin, les accords de partenariat économique doivent permettre aux États signataires de mettre en place des dispositions similaires à celles négociées actuellement à l'OMC pour les pays en voie de développement : désignation de produits spéciaux qu'ils souhaitent protéger en raison de leur importance pour la sécurité alimentaire, la garantie des conditions d'existence et le développement rural ; recours à un mécanisme de sauvegarde spécial consistant en mesures ponctuelles de protection des marchés en cas d'augmentation brusque des importations ou de baisse importante des prix. Les APE doivent être plus favorables au développement des pays ACP que l'OMC, et non l'inverse.
Par ailleurs, la création des marchés communs régionaux nécessite la mise en place de droits de douane communs – le tarif extérieur commun ou TEC. Sous la pression des institutions financières internationales, les régions négocient actuellement des TEC fixés à des niveaux très bas. Or nos partenaires ACP dénoncent – et nous les soutenons – le trop faible niveau de ces droits de douane. Par exemple, le TEC de la CEDEAO ne protégera pas suffisamment les économies d'Afrique de l'Ouest de la concurrence entre importations et productions locales, ce qui obèrera leur développement. Les produits agricoles et alimentaires constituent la majeure partie des revenus de la population active dans la plupart des pays ACP. Or leur importation à bas prix entraîne mécaniquement une baisse des prix des productions locales, donc une baisse du revenu des agriculteurs locaux, alors que les subventions – directes ou indirectes – versées aux agriculteurs européens leur permettent d'exporter leur production en dessous de son coût réel.
En décembre 2005, à Hong-Kong, l'Union européenne s'est engagée à mettre fin à ses subventions aux exportations agricoles d'ici à 2013, et à l'essentiel d'ici à 2008. Cependant, cela ne suffira pas à faire cesser le dumping, c'est-à-dire au fait d'exporter un produit à un prix inférieur à son coût de production. Les produits ayant bénéficié d'un quelconque soutien domestique – aides découplées en particulier – ne devraient pas se retrouver sur les marchés d'exportation. Il faut évaluer les soutiens au regard de la production d'excédents, de la compétition entre agriculteurs et de la préservation de l'environnement.
La suppression des taxes douanières sur les produits européens importés et dans les échanges intrarégionaux, cumulée à l'application de TEC bas, va réduire considérablement les recettes des États ACP, qui reposent fortement sur les taxes douanières. La capacité d'investissement des pays dans des infrastructures ou dans des programmes sociaux, éducatifs ou sanitaires va s'en trouver réduite. C'est un risque de plus qui pèse sur la réussite des intégrations régionales. Nous ne pouvons donc que refuser une mise en oeuvre de la libéralisation qui ne serait pas la plus progressive et la plus longue possible, afin que l'intégration régionale ait un effet d'entraînement suffisant pour permettre aux États de se procurer les recettes nécessaires au remplacement des taxes douanières, faute de quoi leur équilibre budgétaire serait remis en cause. Cela plaide aussi pour un renforcement du Fonds européen de développement, qui pourrait fournir aux États des moyens suffisants pour ajuster leurs économies et compenser les pertes budgétaires.
Stimuler l'intégration régionale et les exportations vers l'Europe nécessite que des moyens supplémentaires à ceux du FED soient dégagés par l'Union européenne. Cependant, il ne saurait être question de réduire les enveloppes consacrées aux programmes sociaux, éducatifs et sanitaires au prétexte de renforcer l'aide au commerce. Le FED ne doit pas devenir une monnaie d'échange pour ces négociations et l'aide aux pays ACP ne doit en aucun cas être conditionnée à la signature d'un APE ou à l'ouverture de leurs marchés. Ceux qui ne souhaiteraient pas entrer dans un APE doivent réellement avoir des alternatives sans que les montants du FED soient amputés en représailles. Les petites et moyennes entreprises et les organisations de producteurs agricoles doivent être prioritairement appuyées.
Le processus de négociation doit refléter la préoccupation du développement humain. C'est pourquoi nous souhaitons que les méthodes participatives soient plus largement utilisées et que, à cette fin, les moyens nécessaires soient dégagés par l'Union européenne. La participation demande, certes, du temps, mais elle permet de prendre en compte différents intérêts. Il est donc fondamental que la priorité dans la négociation soit la participation et non la rapidité. Il convient donc de prévoir un calendrier en conséquence et non l'inverse.
Nous sommes donc extrêmement préoccupés par le risque que cette ouverture commerciale fera peser sur les économies et donc sur l'emploi dans les pays ACP, et, notamment dans les départements d'outre-mer. À l'exception d'un nombre limité de produits, comme le sucre, pour lesquels une période de transition de quelques années est prévue, toutes les productions locales, en particulier les denrées tropicales, seront confrontées à une concurrence exacerbée et inégale. Ce scénario remettrait aussi en cause un dispositif fiscal – que j'ai évoqué lors de la défense de la question préalable –, l'octroi de mer, qui est destiné à protéger l'économie locale. Cette libéralisation du commerce risque d'être fatale à des pans entiers de l'économie réunionnaise, guadeloupéenne, martiniquaise et de susciter des délocalisations en série, d'entraîner des répercussions sur l'emploi et la cohésion sociale.
Les responsables des départements d'outre-mer plaident pour la nécessaire prise en compte, dans ces accords, des intérêts spécifiques de la Réunion en tant que région ultrapériphérique. Se référant à l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui permet de déroger au droit communautaire, ils demandent unanimement l'insertion d'une clause en ce sens. Elle permettrait d'envisager, au sein de ces accords, un traitement différencié pour les régions d'outre-mer. Cette demande n'a pas été entendue jusqu'à présent par la Commission européenne, à laquelle la France a pourtant donné un mandat pour conduire les négociations.
Cependant, le Parlement européen, dans une résolution votée en mai dernier sur cette question, s'est déclaré favorable à la prise en compte des spécificités des régions, ultrapériphériques dans les discussions des APE.
Il est absolument indispensable que le parlement français se prononce en ce sens. Les populations de ces régions, déjà touchées par les catastrophes du chikungunya, du chlordécone, des pesticides, du chômage et de la pauvreté, ne comprendraient pas que la France les abandonne à cette sorte de néocolonialisme économique lié à la mondialisation financière.
Pour toutes ces raisons les députés Verts et communistes du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne voteront pas ces textes.