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Intervention de François Loncle

Réunion du 20 novembre 2007 à 15h00
Accord de cotonou sur le partenariat acp-ce — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loncle :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons en effet deux textes, qui concernent les relations de l'Union européenne avec l'Afrique, les Caraïbes et le Pacifique. Ces projets de loi, à en juger par leur intitulé, s'inscrivent dans une continuité, celle des premiers accords de partenariat Europe-ACP signés en 1975. Mais est-on sûr que les rapports entretenus par l'Union européenne et les ACP reposent aujourd'hui sur les mêmes principes ?

Les accords de 1975, 1979, 1984 et 1989 – accords de Yaoundé, Cotonou, et Lomé – ont pendant des années fait figure de modèle de coopération entre pays du Nord et pays du Sud.

Le Nord européen acceptait de commercer avec certains pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, de façon inégale, au bénéfice de ces derniers. Pour une fois, l'inégalité profitait au sud. L'Europe, prenant en compte le déséquilibre économique existant entre les deux parties, avait accordé un avantage commercial à ses partenaires du Sud, leur donnant ainsi la possibilité d'un rattrapage, ou en tous les cas du développement.

Ces accords, que nombre d'observateurs jugeaient exemplaires, n'ont pas bien fonctionné. Seuls 28 % des crédits affectés pour la période 2000-2007 auraient, nous dit-on, été consommés. Les exportations de l'Europe vers l'Afrique ont nettement progressé, sans réciprocité. Il fallait donc réviser ces traités. Un esprit cartésien aurait pu penser qu'il s'agissait de remettre l'ouvrage en chantier sur la base des principes initiaux, et qu'il fallait maintenir un système de préférences favorable aux plus faibles, les ACP.

Mais le cycle des négociations commerciales internationales en a décidé autrement. L'Organisation mondiale du commerce, condamnant les discriminations positives, entend loger tous les pays du monde à la même enseigne commerciale. Ce louable souci d'égalité est-il bien raisonnable, quand l'une des parties est plus solide que l'autre et mieux armée ? En libéralisant les échanges Europe-ACP, en abaissant les droits de douane des deux zones en parallèle, pense-t-on vraiment favoriser leur progrès économique de façon convergente ?

L'Allemagne et la Namibie, l'Italie et l'Érythrée, le Royaume-Uni et la Sierra Leone, l'Espagne et la Guinée équatoriale, la Belgique et le Burundi, la France et les Comores sont ainsi mis sur le même plan, celui, nous dit-on, de l'égalité dans la concurrence. Mais cette égalité de statut commercial produira-t-elle de l'équité ? Les négociateurs, en acceptant les règles des fondamentalistes du libre-échange ne jouent-ils pas les apprentis sorciers ? Ne préparent-ils pas des lendemains difficiles, où les pots de fer du Nord, plus aptes à affronter les règles d'une concurrence absolue, auront brisé les pots de terre du Sud ? Voyez la situation du Mexique, qui, après la signature de l'accord de libre-échange nord-américain en 1994, a ouvert ses frontières agricoles à la concurrence : il importe aujourd'hui une bonne part de son maïs, et parmi les 400 000 Mexicains qui passent clandestinement la frontière pour chercher fortune aux États-Unis, se trouvent beaucoup des petits agriculteurs ruinés par une concurrence inégale.

Les nouveaux accords de partenariat proposés par Bruxelles aux ACP inquiètent du Niger au Sénégal. L'Europe devrait mieux tenir compte de cette inquiétude avant d'avoir à se mobiliser pour faire face à une, voire à plusieurs catastrophes humanitaires annoncées, et à un regain migratoire. C'est ainsi que M. Saliou Sarr, président de la Fédération des producteurs de riz sénégalais, tenait, il y a quelques jours, les propos alarmistes suivants : « Nous ne sommes pas prêts au libre-échange. Le paysan africain n'a accès ni aux crédits, ni à la mécanisation, ni aux semences, ni aux engrais, ni aux insecticides, dont profite son homologue européen. Si nos droits de douane disparaissent, disparaît aussi notre industrie du concentré de tomate, notre huile d'arachide, notre production d'oignon. Nous ne boxons pas dans la même catégorie ». Quant au président sénégalais Abdoulaye Wade, qui n'a rien d'un altermondialiste, il tire la leçon de ce que l'on hésite encore à qualifier d'accord de partenariat entre l'Europe et les pays ACP : « Selon une simulation du Centre d'étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recette fiscale du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs CFA. Le Nigeria perdrait, lui, 800 millions d'euros par an. En somme, on nous invite à annoncer aux populations en guise de cadeau de Nouvel an, le message suivant : chers compatriotes, nous venons de signer avec l'Europe un nouvel accord de coopération qui supprime 35 % de nos budgets. En conséquence, nous allons supprimer des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, des projets de routes. C'est indéfendable ».

Est-ce là le codéveloppement que défend avec conviction le Président de la République en France et en Afrique ? « L'Homme africain », qui sait lire les traités et se projeter dans l'avenir, contrairement à ce qui a été dit de façon injuste et blessante à Dakar, en doute avec raison, et nous interpelle, comme M. Wade pour qui « les partisans d'une alliance Europe-Afrique devraient envisager une alternative face à l'arrivée de nouveaux concurrents commerciaux asiatiques sur le continent africain ».

Par principe de responsabilité, nous ne nous opposerons pas au vote de ces accords. Le traité antérieur arrive à échéance le 31 décembre et il est hors de question de bloquer une aide aux ACP qui, même contestable et contestée, ne saurait être totalement suspendue. Cette volonté de ne pas faire obstacle ne nous empêche pas de douter et d'être inquiets, en espérant qu'au prochain sommet euro-africain, qui aura lieu le 6 décembre à Lisbonne, les préoccupations des pays ACP seront mieux entendues. Comme le disait au Sénat ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga, l'attitude du groupe socialiste « ne doit pas être considérée comme un chèque en blanc délivré au Gouvernement, mais, bien au contraire, comme un acte constructif et exigeant destiné à édifier une autre relation avec nos partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ». C'est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.

Ce débat, éclipsé pour certains par l'intervention du Président de la République au congrès des maires de France, est pourtant capital pour l'avenir des relations Nord-Sud, pour notre propre avenir. Des paroles justes et pertinentes ont été prononcées sur tous les bancs, en particulier par le président Poniatowski et Mme Martinez, qui a fait un excellent rapport. Des suggestions vous ont été faites et des critiques ont été formulées lors de la discussion du budget de la coopération. Nous vous demandons avec insistance de les prendre en considération, ainsi que la nécessité de résorber cette fracture si dangereuse et si dramatique entre les plus riches et les plus pauvres sur cette terre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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