Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il est une politique qui intéresse et rassemble la représentation nationale, c'est bien l'aménagement du territoire. La DATAR jadis, et ses délégués successifs, avaient fait la démonstration que la volonté politique et la solidarité nationale pouvaient combattre avec succès les déterminismes économiques et territoriaux. Votre budget, monsieur le ministre, et les décisions récentes prises par les derniers gouvernements tournent le dos à cette originalité française cultivée avec volontarisme par les premiers délégués Olivier Guichard et Jérôme Monod, poursuivie et enrichie par des ministres comme Jacques Chérèque et Dominique Voynet.
La mission budgétaire interministérielle « Politique des territoires » se caractérise ainsi par un renoncement à une politique ambitieuse d'aménagement du territoire. Vous n'avez conservé que deux programmes – « Aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l'État » – sur les cinq. Ensuite les crédits ne sont pas à la hauteur des ambitions. Les autorisations d'engagement baissent de 10 millions d'euros, passant de 365,6 à 356,5 millions d'euros ; les crédits de paiement de 16 millions d'euros – 420 millions contre 436 millions l'année dernière.
J'illustrerai par quatre exemples nos critiques et désaccords sur l'évolution de la politique des territoires.
Premièrement, le gouvernement de M. de Villepin a substitué les contrats de projets aux contrats de plan État-régions – CPER – initiés par le gouvernement Rocard. Certes, il a mis en phase les CPER et les programmes opérationnels européens, mais il a fortement réduit la participation de l'État. Avec 12,7 milliards d'euros, elle est aujourd'hui inférieure à la contribution européenne en faveur des territoires qui atteint 18 milliards d'euros. L'argument selon lequel un affichage plus réaliste permettrait une meilleure exécution du contrat ne tient plus. Au vu des prévisions budgétaires, nous ne pourrons pas atteindre les 14 % d'engagement prévus pour la première année de contractualisation. Ces contrats qui portent sur des projets importants – universités, culture, recherche – privilégient les villes les plus importantes, et ce ne sont pas les pôles d'excellence rurale, qui financent des projets d'opportunité, qui répondront aux besoins des territoires ruraux et des petites villes.
Enfin, des thématiques importantes ont été abandonnées. Je ne parle pas des routes qui ont été transférées aux conseils généraux, mais du tourisme par exemple, en faveur duquel l'effort est resté très modeste, au point de compromettre la compétitivité de notre pays dans ce domaine.
Deuxièmement, vous avez fait le choix de la compétitivité au détriment de la solidarité des territoires. Nous pourrions y adhérer, comme les régions d'ailleurs qui vous ont suivi avec détermination. L'innovation est certes une des clés de l'avenir, mais vous n'avez pas fait les choix stratégiques qui s'imposent. Certains des cinquante-quatre pôles nationaux peinent à s'affirmer. Les moyens ne sont pas à la hauteur des attentes et les projets des grands groupes sont satisfaits au détriment de ceux des PME, qu'il nous faut pourtant accompagner vers l'innovation. La file d'attente dans les agences est longue, et les critères d'éligibilité opaques. Quant à la gouvernance, elle a été mal conçue et il faudra la revoir. Les collectivités territoriales, qui financent largement les pôles de compétitivité, sont reléguées dans les conseils de financeurs et exclues des comités stratégiques.
Troisièmement, nous connaissons tous l'utilité de la prime à l'aménagement du territoire pour boucler les projets industriels ou tertiaires, mais votre décision d'élever les critères d'éligibilité de quinze à vingt emplois pour une création et de trente-cinq à quarante emplois pour une extension favorisera les projets des grandes entreprises au détriment des projets endogènes les plus nombreux et les plus structurants sur le territoire.
Enfin, la bonne idée de M. de Robien consistant à créer une Agence de financement des infrastructures de transport de France a été vidée de son sens et de ses moyens par la privatisation sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute, critiquée dans le rapport préliminaire de la Cour des comptes. On a confié à l'AFITF l'achèvement du financement des infrastructures prévue au CPER 2000-2006. Cette année, la dotation de privatisation lui permettra de faire face à ses principaux engagements. Mais, en 2009, monsieur le ministre, elle n'aura plus les moyens de financer les projets du CIADT du 18 décembre 2003. Or ce pays a encore besoin de grandes infrastructures : infrastructures ferroviaires – le Grenelle de l'environnement l'a montré ; infrastructures de transports en commun en site propre, qui sont les plus coûteuses ; infrastructures fluvio-maritimes, mais aussi routières pour lutter contre la congestion. Il faudrait mobiliser près de 173 milliards d'euros dans les trente ans qui viennent et nous ignorons tout des moyens pour y parvenir.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche déplore que votre projet n'ouvre pas de perspectives aux territoires soumis aux restructurations industrielles, pas plus qu'aux villes petites et moyennes, dont les fonctions administratives sont mises à mal par la réforme de la carte judiciaire. Le manque d'ambition politique pour les territoires s'ajoute à la réduction des concours de l'État aux collectivités qui réalisent pourtant 72 % des investissements publics et contribuent ainsi fortement à l'activité économique et à l'emploi. La politique des territoires est en panne, comme la décentralisation. C'est pourquoi notre groupe ne votera pas la mission « Politique des territoires ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)