…les modalités, les objectifs et le calendrier des efforts à entreprendre sont encore loin de faire consensus. Ces divergences ne coïncident d'ailleurs pas obligatoirement avec les appartenances partisanes, comme l'a prouvé l'échec, au printemps dernier, de la proposition de loi visant à créer un marché des permis d'émission.
Il est donc peu probable que les États-Unis acceptent un accord international contraignant dans un proche avenir. En revanche, ils donneront la priorité à l'adoption d'une loi fédérale, qu'ils s'efforceront ensuite de présenter comme un modèle à suivre par le reste du monde. Cette approche nationale s'appuie en outre sur un gros effort de recherche. Alors que l'Allemagne ou le Japon tentent de développer des stratégies de niches, les universitaires et les responsables du Département d'État nous ont clairement rappelé leur volonté de préserver une présence dans toutes les technologies. Un certain scepticisme est donc de mise quant à la possibilité de voir les États-Unis s'engager rapidement dans un accord mondial contraignant.
La modération perçue chez la plupart de nos interlocuteurs japonais n'est pas plus rassurante. Freiné par un secteur industriel ayant le sentiment d'avoir déjà accompli de gros efforts pour réduire son intensité énergétique, le Japon ne parvient pas à remplir les engagements pris à Kyoto. Il développe des recherches très pointues dans le domaine du photovoltaïque et des transports propres : les véhicules hybrides japonais sont connus de tous, mais nous avons aussi pu mesurer, dans le centre de recherche rassemblant tous les constructeurs, la qualité de l'expertise dans le domaine de la pile à combustible. Pourtant, les objectifs du Japon en matière d'énergies renouvelables sont somme toute assez faibles – 3 % du mix énergétique d'ici à 2010.
La modération de ce pays s'exprime aussi au niveau international. Le conseiller « climat » du Premier ministre japonais a plaidé devant nous pour des débats moins idéologiques, qui ne se situent plus, selon son expression, à un niveau « cosmique ». Cette démarche pragmatique, qui se traduit par ailleurs par la promotion d'approches sectorielles alternatives à l'approche globale du protocole de Kyoto, vise à rendre possible l'intégration des États-Unis dans un accord international. Elle impliquerait surtout une inflexion de la position européenne, qui devrait se montrer moins ambitieuse. Nous ne pensons pas que cela constitue la voie à suivre, car elle n'est pas à la mesure des difficultés climatiques annoncées par les scientifiques du GIEC pour les décennies à venir.
Quelle pourrait donc être la stratégie de l'Europe ? Dans la négociation internationale, on peut schématiquement identifier trois catégories de pays : les pays industrialisés ayant ratifié le protocole de Kyoto, catégorie où l'Europe s'illustre par son volontarisme tandis que le Japon demeure sur la défensive et que la Russie, comme bien d'autres, ne semble pas avoir arrêté de stratégie ; les pays en développement, qui font tous valoir le principe de responsabilités communes mais différenciées, mais constituent aussi une catégorie hétérogène mêlant les États les plus pauvres et des pays émergents qui se doivent d'assumer leurs nouvelles responsabilités sur le plan mondial ; les seuls États-Unis enfin, qui, bien qu'ayant bénéficié de la révolution industrielle, ont refusé de signer le protocole de Kyoto.
Dans ce jeu à trois bandes, les Européens ont choisi d'aller de l'avant, car ils ont pleinement conscience de l'urgence des actions d'atténuation et d'adaptation à entreprendre et du coût considérable de l'inaction : je veux parler, bien entendu, des conclusions du rapport Stern. Mais l'Union européenne, qui ne représente que 15 % des émissions mondiales de C02, ne peut résoudre seule le problème du changement climatique. Il lui faut donc nouer des alliances.
À ce stade, deux options stratégiques se présentent. La première, soutenue par le Japon, consisterait à donner la priorité au retour des États-Unis dans le jeu de la négociation. Cette solution nous a été préconisée par les conseillers « climat » de Barack Obama, lesquels nous ont affirmé que c'est en obtenant des engagements plus nets des pays émergents que la nouvelle administration américaine parviendrait à faire accepter au Congrès une contrainte internationale. Selon eux, il serait nécessaire d'identifier au préalable les convergences possibles avec l'Europe. Toutefois, compte tenu des contraintes structurelles et conjoncturelles encadrant l'action des États-Unis, un tel choix équivaudrait pour l'Europe à rabaisser fortement ses ambitions, sans avoir pour autant l'assurance que le Congrès ratifiera un accord international. En outre, il pourrait conduire les pays émergents à dénoncer des objectifs qui ne sont pas en rapport avec les responsabilités historiques des pays industrialisés.
La seconde option me paraît plus opératoire. Elle consiste à privilégier un accord avec la majorité des États parties à la négociation, à savoir les pays d'Afrique et les petits États insulaires du Pacifique Sud. On peut espérer que cela inciterait les pays émergents à s'aligner sur les pays en développement et à souscrire à des objectifs de réduction de leurs émissions d'ici à 2020. Je ne crois pas cet espoir chimérique. Nous avons observé qu'en novembre 2007 la Chine avait accepté pour la première fois de signer une déclaration commune avec la France pour renforcer sa coopération avec elle dans le domaine de l'environnement et du changement climatique. Nous avons surtout noté que, lors de son audition, le responsable de l'ambassade de Chine a déclaré que son pays serait solidaire des pays en développement. La Chine ne semble donc plus conditionner son engagement à celui des États-Unis. Cette stratégie d'alliance avec les pays en développement nécessiterait que l'Europe accepte de renforcer la dimension externe du « paquet énergie-climat ». Cette main tendue pourrait se traduire, par exemple, par l'affectation d'une partie du produit des enchères ou par un assouplissement des règles de plafonnement des mécanismes dits de flexibilité – les MDP, les mécanismes pour un développement propre.