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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 20 décembre 2007 à 9h30
Développement de la concurrence au service des consommateurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

En ouvrant, en faveur des magasins d'ameublement, une nouvelle brèche, et de taille, dans ce repos commun vous contribuez à renforcer l'atomisation de notre société. Vous la déstructurez encore un peu plus en vouant les loisirs à la seule consommation individuelle. De fait, cette dérogation supplémentaire au principe du repos dominical prépare la déréglementation généralisée des horaires hebdomadaires qui permettra la remise en cause de l'ensemble des durées légales. C'est au fond toujours la même méthode : comme la remise en cause des régimes spéciaux de retraite prépare une dégradation globale du régime général, la remise en cause du repos dominical prépare la refonte, évidemment inspirée par le MEDEF, du code du travail en son entier.

Je dois toutefois reconnaître que cet amendement adopté au Sénat est pleinement cohérent avec le reste du projet de loi. L'objectif est en effet toujours le même : doper le plus possible les profits de la grande distribution ! D'un côté, vous lui offrez un cadeau indécent en permettant l'ouverture le dimanche, alors que la véritable réforme consisterait à remédier à la faiblesse des rémunérations de salariés travaillant le plus souvent à temps partiel dans des conditions très dégradées ; de l'autre, vous institutionnalisez à la fois la concurrence déloyale des grandes surfaces vis-à-vis du petit commerce et le racket de la grande distribution envers des petits producteurs.

Je voudrais, à ce propos, rappeler une disposition qui est au coeur du projet de loi. La loi Galland, certes, n'était pas parfaite, mais elle avait du moins le mérite de protéger le petit commerce en mettant un terme à la pratique du prix d'appel abusivement bas, même si, il est vrai, elle a été dévoyée par le développement des marges arrière.

Or le Gouvernement, en proposant sous l'influence de la grande distribution d'intégrer la totalité des marges arrière dans le calcul du seuil de revente à perte, veut en réalité revenir à la pratique des prix d'appel prédateurs. En raison de cette disposition, le seuil de revente à perte baissera de manière dramatique tandis que, parallèlement, les conséquences de la chute brutale des prix d'achat aux fournisseurs pèseront lourdement non seulement sur les PME et les producteurs agricoles, mais également sur les conditions de travail dans la distribution.

La guerre des prix risque de conduire à la disparition du petit commerce de proximité qui ne pourra évidemment pas faire face aux prix d'appel. Le présent projet constitue une première étape dans un contexte où l'on prépare la fin des restrictions à l'implantation de grandes surfaces préconisée par le rapport Attali.

Rappelons à ce propos que l'artisanat et le commerce alimentaire de proximité, qui représente 25 % de parts de marché du secteur alimentaire, emploient encore 428 000 personnes contre 630 000 pour la grande distribution, de surcroît, si la grande distribution a créé 1 200 emplois nets en 2006, le plus souvent à temps partiel et sous-qualifiés, dans le même temps, l'artisanat et le commerce alimentaire de proximité en ont créé 3 600, selon les chiffres de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.

Rappelons aussi que le petit commerce contribue à l'aménagement du territoire et à la sociabilité rurale et urbaine, alors que le développement des zones commerciales accompagne la rurbanisation et l'artificialisation des terres, mais aussi l'atomisation de la société que j'ai dénoncée au début de mon intervention.

À terme, quand elle sera seule sur le marché, la grande distribution pourra alors de nouveau augmenter ses prix de vente, et ce d'autant plus facilement qu'aucune concurrence réelle n'existe entre ces distributeurs sur les zones d'achalandise. Les grands réseaux de distribution, de plus en plus concentrés, disposeront alors d'un monopole de fait dans chaque zone.

Aussi, le consommateur ne retirera à terme aucun des bénéfices qu'il aura pu hypothétiquement obtenir dans un premier temps. Non seulement il paiera le même prix qu'auparavant, voire plus cher, mais il sera obligé d'utiliser sa voiture pour faire ses courses à plusieurs kilomètres, au prix d'une augmentation de ses dépenses d'essence et d'une pollution accrue, en contradiction avec les conclusions du Grenelle de l'environnement. Je pense aussi aux difficultés des personnes âgées pour s'approvisionner loin de chez elles et dans des grandes surfaces labyrinthiques. Pendant ce temps, les marges arrière s'ajouteront aux bénéfices des grandes centrales d'achat dont je rappellerai le résultat pour 2006 : 1 857 millions d'euros pour Carrefour et 600 millions d'euros pour Casino !

Le dispositif mis en place nuit également aux fournisseurs. Déjà aujourd'hui, la baisse des prix à la vente est inégalement partagée entre distributeurs et fournisseurs, compte tenu du rapport de force défavorable pour les fournisseurs. Cinq centrales gèrent plus de 86 % des achats de la grande distribution et s'approvisionnent, par exemple, directement ou non, auprès de 590 000 exploitations agricoles. Dans ces conditions, ce sont les centrales d'achat qui fixent les prix de leurs fournisseurs malgré les gros efforts d'organisation des professions agricoles. Et les producteurs en viennent à vendre aux distributeurs à des prix inférieurs aux coûts de production, mettant en cause la survie même de leur exploitation.

Les rémunérations consenties pour la coopération commerciale participent de cette domination économique. Or la suppression des marges arrières annoncée par Nicolas Sarkozy est un véritable trompe-l'oeil : il s'agit en réalité d'un tour de passe-passe consistant à conserver des rémunérations dépassant parfois la moitié du prix, le plus souvent sans correspondre à la moindre « coopération commerciale », – au demeurant de moins en moins justifiée.

Les marges arrière, après avoir explosé ces dernières années – plus 32,5 % en 2005, plus 33,1 % en 2006 – sont, en quelque sorte, institutionnalisées alors que la logique voudrait qu'on les supprime purement et simplement en tant que pratique totalement opaque, plaçant le distributeur en situation abusivement dominante vis-à-vis de son fournisseur : si celui-ci refuse de payer, il suffira de menacer de le référencer…

Ainsi, j'ai eu avant-hier sous les yeux les bons de commandes d'un ami coutelier qui m'a détaillé le parcours du combattant de la négociation avec un grand distributeur bien connu – dont je tairai le nom. Dans de pareilles conduitions, même la fabrication en Chine devient trop coûteuse… C'est à vomir, monsieur le secrétaire d'État ! Pour vérifier la réalité de ces prestations, nous avions proposé de mentionner en pied de facture les accords de coopération commerciale consentis en contrepartie des rémunérations intégrées dans la facture, mais notre amendement a été repoussé.

Un signe que le Gouvernement n'a aucune volonté de remédier à ces abus est le sort réservé à un autre amendement déposé par les députés communistes et républicains. Consommateurs et producteurs reprochent fréquemment à la grande distribution de répercuter plus facilement les hausses que les baisses de prix à la production, et de prélever une marge excessive à leur profit. C'est pourquoi nous avions déposé un amendement mettant en place un double affichage du prix de vente au consommateur et du prix d'achat au producteur. Grâce à cet amendement, le consommateur aurait pu vérifier par lui-même les marges obtenues par les distributeurs, amenant ceux-ci à assumer toute leur responsabilité dans les trop grands écarts de prix. Or cet amendement, voté par l'Assemblée nationale mardi 27 novembre dans la soirée, a été repoussé par le Sénat sous votre pression, monsieur le secrétaire d'État, avec mépris pour l'Assemblée…

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