Vous nous assénez des prévisions dont vous savez pertinemment qu'elles ne correspondent pas à la réalité. Le cadrage est prudent, avez-vous indiqué ; mais vous nous l'aviez déjà dit, et vous avez été démentie par la réalité. Nous avons souffert, avez-vous dit, d'un « effet dominos », que vous prétendez avoir prévu ; mais rappelez-vous : vous aviez déclaré que nous devions échapper au pire. Selon vous, notre situation serait bien meilleure que celle de nos voisins, en particulier les Anglais, les Allemands et les Italiens ; mais vous avez oublié de nous préciser qu'avant la période actuelle, ça allait mieux chez eux que chez nous. Il faut donc se situer dans l'épaisseur du temps pour percevoir la sincérité que vous invoquez.
Encore s'agit-il d'une sincérité à durée déterminée, dont on ignore l'échéance. Actuellement, elle semble valable trois semaines. En effet, il y a trois semaines, lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, vous nous aviez dit une vérité, laquelle est différente de celle d'aujourd'hui, qui sera elle-même différente de celle que vous nous présenterez dans trois semaines, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative.
Heureusement, nous ne sommes pas en récession ! Techniquement, en effet, celle-ci correspond à deux trimestres négatifs consécutifs. Pourtant, pour les retraités présents dans les tribunes, dont le pouvoir d'achat ne cesse de reculer, la récession que vous ne voyez pas est déjà installée depuis longtemps.
Par ailleurs, vous avez alimenté les banques en liquidités, avez-vous dit sur un ton fataliste, grâce à la société de refinancement de l'économie française, que vous avez d'ailleurs placée sous le contrôle des banques elles-mêmes, renonçant du même coup au contrôle exercé par l'État. Nous avons bien perçu le plaisir un peu sadique avec lequel vous avez dit de nos partenaires britanniques qu'ils ne comprennent pas ce qui se passe. Car, si même la patrie du capitalisme financier est dépassée, j'en déduis que cela vaut exonération de vos responsabilités, voire absolution !
Vous avez conclu votre intervention en évoquant le G20, à propos duquel vous êtes restée assez modeste. Il est vrai que son bilan est évanescent, puisque l'on nous renvoie au mois d'avril : d'ici là, rien ! S'agissant des paradis fiscaux, il est indiqué qu'ils feront l'objet « à moyen terme » de mesures destinées à protéger le système financier mondial, mais il n'y a rien de concret ! Quand l'Union européenne cessera-t-elle de financer les infrastructures routières des Bahamas ? Pendant qu'on nous vole, on subventionne ! Vous le savez, mais vous ne voulez pas prendre de mesures.
Du reste, lorsque, avant le G20, il a reçu quelques-uns d'entre nous, dont le président Migaud, le Président de la République nous a déclaré – je vous l'apprends peut-être puisqu'aucun ministre n'était présent à cette rencontre, pas même le premier d'entre eux – qu'il ne servait à rien d'interdire les paradis fiscaux, puisqu'ils continueraient d'exister de toute façon, et qu'il ne fallait interdire ni les stock-options ni les bonus dans les banques car, ensuite, il faudrait étendre cette interdiction aux compagnies d'assurances puis à toutes les autres entreprises, lesquelles ne pourraient plus alors récompenser ces mérites que vous voyez toujours là où ils n'existent pas, c'est-à-dire chez ces gens qui s'enrichissent sans fournir un effort proportionnel à celui des salariés modestes.
Vous vous refusez à toucher à l'économie réelle, qui commence à être contaminée par la crise financière, car cela supposerait de relancer la consommation en rémunérant de manière juste les travailleurs, en augmentant le SMIC, les minima sociaux et les pensions, et en relançant, par exemple, le bâtiment. De tout cela, vous n'avez cure : vous ne faites aucune proposition. Monsieur le ministre, vous compensez la vacuité de vos propositions par la fermeté des adjectifs que vous utilisez : vous annoncez en effet des mesures « puissantes » contre la crise !
Par ailleurs, vous évaluez les déficits de l'État et de la sécurité sociale respectivement à 51 milliards et 9,3 milliards, soit en tout 60 milliards d'euros, c'est-à-dire moins que les exonérations de cotisations fiscales et sociales dont, je le rappelle – et vous m'accuserez peut-être de faire sa promotion –, le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, a démontré qu'elles étaient inutiles. Pourquoi ne pas les supprimer ? Il n'y aurait plus de déficit et l'économie nationale serait en meilleure position pour redémarrer.
Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous avez cité en passant un chiffre inquiétant : l'impôt sur les sociétés baisserait de 4 milliards l'année prochaine. Si l'on compte, non plus en milliards, mais, de manière plus humaine, en chômeurs, qu'est-ce que cela signifie ? On parle de 300 000 chômeurs supplémentaires en 2009. Confirmez-vous ces chiffres ?
Comme vous le voyez, madame la ministre, monsieur le ministre, il est nécessaire de remplacer vos fourchettes de plus en plus souvent – et toujours à la baisse. Vous avez affirmé ne pas remettre en cause le pacte de stabilité, qui est pour vous ce que l'infaillibilité pontificale et l'Immaculée Conception sont pour le pape : des dogmes auxquels on ne touche pas ! Mme Lagarde nous a encore répété tout à l'heure qu'elle y croyait – non pas à l'infaillibilité pontificale, mais aux perspectives positives ! Puisqu'elle y croit, les acteurs économiques n'ont plus qu'à se mobiliser ! Hélas, en matière économique, la foi ne remplace pas les mesures concrètes…
Or, comme je vous l'ai déjà dit, madame la ministre, vous êtes dépourvue de l'outillage intellectuel de nature à vous permettre d'analyser la crise. Ne voyez évidemment pas dans cette remarque une appréciation relative à vos facultés personnelles, qui serait désobligeante et déplacée. Je veux simplement dire que la pensée unique vous empêche de comprendre ce qui se passe ; elle vous empêche de réfléchir à l'utilité de répartir différemment les fruits de la richesse. Votre logique est la logique actionnariale. Ainsi les perspectives sont-elles de plus en plus sombres chez Renault, sauf pour les actionnaires ! Il y aurait pourtant, madame la ministre, monsieur le ministre, une mesure simple à prendre : faire en sorte que les suppressions d'emplois, chez Renault comme ailleurs, soient mises non pas à la charge du pays dans la durée, mais à la charge des actionnaires des entreprises qui réduisent les emplois.
Il n'y a aucune raison d'avoir confiance en ce que vous nous dites. Le Président de la République tente bien de rassurer l'opinion avec ses rodomontades, mais aucune mesure concrète n'est avancée pour nous sortir de l'ornière dans laquelle nous nous trouvons.