Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d'un budget n'est pas seulement un acte budgétaire, il doit évidemment traduire la volonté politique d'organiser les relations sociales et économiques de notre pays. Ce budget, parce qu'il est le premier de la législature, montre à n'en pas douter l'orientation du Gouvernement nouvellement désigné.
Pour l'opposition, ce projet de budget est le moyen d'évaluer l'impact du discours présidentiel, de mesurer si les promesses électorales se traduisent dans les actes. Y a-t-il réellement eu une rupture avec les précédents gouvernements issus, faut-il le rappeler, de l'actuelle majorité ? Sommes-nous dans la continuité ? À qui va s'adresser ce budget ? Répond-il aux aspirations du plus grand nombre ? L'intérêt général prime-t-il sur les corporatismes ? Ce budget donne-t-il un horizon politique à notre pays ?
Toutes ces questions, une opposition dite constructive doit se les poser avant de porter tel ou tel jugement que l'on pourrait sinon considérer comme hâtif.
Pour ma part, j'ai essayé de comprendre la stratégie économique retenue par l'exécutif, appuyé en cela par la majorité parlementaire.
De ce point de vue, j'ai le sentiment que ces orientations s'apparentent aux vieilles idéologies américaines du début des années 80, qui ont d'ailleurs essayé de sévir dans notre pays entre 1986 et 1988.
Pour l'essentiel, l'orientation, peut-être même le dogme retenu par le Gouvernement, réside dans cette idée qu'en réduisant les impôts des plus fortunés de nos concitoyens, nous stimulerions, inévitablement, le travail et la croissance sans qu'il en résulte de détérioration de nos déficits publics. Certains faucons néo-américains n'hésitent pas à pousser le cynisme jusqu'à indiquer que plus on donne aux riches, plus les pauvres en profitent, comme par effet de cascade. C'est ce que l'on a appelé aux États-Unis « l'économie du ruissellement ».
L'histoire a le mérite de nous apporter suffisamment de retour sur ce que l'on a appelé communément les années Reagan pour mesurer les orientations actuelles, qui s'apparentent à celles mises en oeuvre les cinq dernières années.
Notre pays est installé durablement dans une situation financière inquiétante. Je prendrai trois exemples sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir au cours de l'examen des articles.
D'abord, une croissance plus faible que nos partenaires économiques et que nos voisins européens. Faut-il rappeler que la croissance dans notre pays était en moyenne de 3 % entre 1997 et 2001, contre 2 % pour la période suivante ?
Ensuite, un déficit public qui s'est largement creusé dès la fin des années 2002, sans retrouver d'ailleurs les 1,6 % de l'année 2001.
Enfin, un endettement public qui a, lui, littéralement explosé. D'ailleurs, personne ne remet en cause vos propres chiffres s'agissant de l'endettement public.
C'est dans ce contexte que la France devra assurer dans quelques mois, au mois de juillet prochain, la présidence de l'Union européenne. Quelle sera alors notre crédibilité si, comme l'a si bien rappelé Laurent Fabius il y a un instant, aucune loi rectificative n'intervient entre les élections municipales et le début de la présidence française ? À moins que, comme cela fut le cas les cinq années précédentes, vous n'annuliez ou ne geliez des crédits dès le mois de janvier prochain. Mais qu'un budget voté ici par la représentation nationale soit profondément modifié par des gels de crédits décidés par les services de Bercy quelques semaines après son adoption n'est évidemment pas très sérieux. Cela revient à s'asseoir purement et simplement sur notre propre démocratie.
La croissance et la confiance ne sont donc pas au rendez-vous. Après cinq années de croissance faible, le Gouvernement prétend apporter un point de croissance supplémentaire qui manque à l'économie française.
La réalité est évidemment bien différente des promesses électorales. C'est en effet 0,4 % de point de croissance en moins que la France pourrait connaître en 2007. Alors que nous ouvrons ce débat au moment même où se tient un peu partout en France des manifestations sur la lutte contre la misère, pensez-vous sincèrement que le paquet fiscal voté pendant l'été réponde à l'attente de nos concitoyens ?
J'en doute, notamment à la lecture de la note fort instructive que vous avez bien voulu remettre au président de la commission des finances. Le seul bouclier fiscal, par exemple, a profité à 2 300 personnes, pour un montant de restitution moyen de 50 000 euros, la somme pouvant parfois atteindre 200 000 euros pour certains foyers fiscaux.
Il y a là comme une indécence. Le slogan de la fracture sociale porté par le prédécesseur de l'actuel Président de la République se transforme en réalité en facture sociale payée par tous, en d'autres termes : « Comment travailler plus pour gagner plus. »
Enfin, comment ne pas évoquer, au moment où se tient à Marseille le congrès national de l'Association des départements de France, la situation extrêmement précaire dans laquelle se trouvent de nombreux conseils généraux dont je voudrais ici me faire le porte-parole.
Les inquiétudes sont fortes, autant à droite qu'à gauche. Je prendrai l'exemple d'un département que je connais bien, pour en assurer la présidence, celui de l'Ardèche.
Après les lois de décentralisation mal compensées, après les mesures nouvelles – je pense à la prestation de compensation du handicap, au transfert des routes nationales ou au coût des SDIS, sans compter tous les nouveaux règlements qui sont particulièrement coûteux pour les collectivités territoriales –, nous devons faire face à la réforme de la taxe professionnelle, notamment à son plafonnement sur la valeur ajoutée, et au fameux pacte de croissance et de solidarité, dont on sait qu'il sera remis en cause dans les mois qui viennent. Pour un département comme l'Ardèche, ce sera un manque d'environ 6 millions d'euros. Certes, vu de Paris, ce n'est sans doute pas beaucoup. Mais pour un département comme l'Ardèche, cela représente, compte tenu de son assise fiscale, près de 6 points de fiscalité.
Vous me rétorquerez que nous pouvons faire des économies. C'est ce que nous ferons parce que nous avons cette culture-là. Mais, honnêtement, je pense que, pour une trentaine de départements, la situation est très différente de celle que connaît la majorité des départements. Certains doivent faire face, vous le savez, et cela a été dit par un de nos collègues de Lozère, à des situations extrêmement compliquées tant il est vrai que la valeur locative n'est pas la même d'un département à un autre et que les moyens dont disposent ces départements, en termes de développement économique, sont limités. Si une véritable politique de compensation forte, voire de péréquation, n'est pas instituée à l'égard de ces quelque trente départements, je crains le pire pour eux dans quelques années tant il est vrai que, dans leurs comptes administratifs, l'épargne nette se réduit comme peau de chagrin et que la fiscalité n'est évidemment pas la réponse à apporter.
Je ferai à ce propos quelques propositions.
Je pense qu'il faut revoir en profondeur les mécanismes fiscaux qui touchent les foyers. La réforme de la taxe professionnelle que vous avez faite, et qui a été mal compensée aux collectivités, ne peut tenir d'alpha et d'oméga d'une politique fiscale locale. Revoir la taxe d'habitation, c'est poser la question de la valeur locative, je l'ai dit, c'est également tenir compte inévitablement des ressources du foyer, c'est enfin tenir compte des ressources des collectivités territoriales et de leurs charges à caractère social. Je plaide donc pour un véritable big bang fiscal pour introduire un peu plus d'égalité, en tout cas pour donner des moyens suffisants à un certain nombre de collectivités.
Si cette réalité n'est pas prise en compte, je le répète, on peut craindre le pire pour nombre de nos territoires ruraux. En raison de la rationalisation des services publics, par exemple du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, ces territoires vont éprouver de réelles difficultés d'accès aux services publics.
Hier, à Bordeaux, le Président de la République, a dit devant des professionnels de santé qu'il fallait revoir la carte hospitalière. Si la réforme de la carte hospitalière se fait dans la même logique que celle de la carte judiciaire, alors cela signifie, n'en doutons pas, la fermeture de nombreux hôpitaux et ce sont encore les territoires ruraux qui pâtiront de cette désertification.
Nous attendons de votre part une vision politique, que vous donniez du sens à vos choix, un horizon pour nos concitoyens. Or je crains que ce budget ne soit dans la lignée de ce qu'ont fait vos cinq prédécesseurs à Bercy. Il manque de souffle et d'ambition. Il est inefficace sur le plan économique et renforce les inégalités sociales. J'espère donc que la voix des parlementaires sera entendue et que nous estomperons les inégalités sociales dont notre pays souffre depuis de trop nombreuses années. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)