Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de finances, sur laquelle repose la légitimité historique du Parlement, est toujours un moment de vérité. Elle l'est d'autant plus pour une majorité qui a été élue sur le thème de la rupture. Nous avons là l'occasion de juger sur pièces. Or je me permets de vous dire d'emblée que la seule rupture que vous affichez, c'est une rupture avec le réalisme, symbolisée par votre refus obstiné de tenir compte des avertissements des différentes institutions nationales et internationales, pour lesquelles les prévisions de croissance – 2,25 % – sur lesquelles ce budget est bâti sont tout simplement irréalistes.
Où trouver une quelconque rupture dans un budget qui reste si fidèle aux orientations du Gouvernement précédent ? Où est la rupture dans un budget fidèle aux préceptes du libéralisme, si ce n'est, peut-être, le style décomplexé de ce gouvernement pour les assumer, un style qui confine souvent à la désinvolture et parfois au cynisme ?
À l'instar du Président de la République, qui puise certaines de ses références outre-Atlantique, je dirai, monsieur le ministre, qu'à notre grand désespoir, votre gouvernement est allé se nourrir des préceptes néo-conservateurs et ultralibéraux des Reaganomics, cette politique menée sous Reagan dans les années 80, consistant à réduire la capacité d'intervention de l'État, à baisser les impôts des plus riches et à combattre toute forme de régulation.
Quitte à copier un programme ancien en claironnant « rupture ! rupture ! », vous auriez pu choisir Roosevelt et son New Deal – la nouvelle donne – plutôt que Reagan, nous proposer une « Nouvelle Alliance » adaptée à la réalité de la situation de notre économie. Ce budget pouvait être l'occasion d'engager une vraie politique de relance touchant tout à la fois l'offre et la demande, une politique faite de grands travaux d'infrastructures et de modernisation, ainsi que de grands projets de recherche qui auraient eu un puissant effet d'entraînement sur l'activité, sur nos entreprises et sur l'ensemble des salariés.
C'est ce volontarisme-là, monsieur le ministre, qui eût été une idée neuve, plutôt que de persister dans l'erreur de croire que seuls les plus riches, une fois gavés de cadeaux fiscaux, créent de la richesse. Vous croyez aux vertus de l'incitation quand nous, à gauche, croyons plutôt à celles de l'intervention, et continuons de penser que l'État doit s'engager davantage.
L'exemple de l'outre-mer – des outre-mer, devrais-je dire – est très significatif : en dépit de l'énormité des besoins, le budget correspondant chute de 6,8 % à périmètre constant, ce qui fait qu'il ne constituera plus désormais qu'un budget d'incitation en matière d'emploi. Or, dans ce domaine, des millions de crédits d'exonération de charges ne remplaceront jamais des crédits d'intervention. La gestion des aides directes à l'emploi est désormais exclusivement confiée à Bercy qui, lorsqu'il s'agit des outre-mer, tient toujours fermement les cordons de la bourse.
La future loi de programme pour les outre-mer, qui comporte la création de zones franches d'activité, participe de la même logique : elle ne prévoit aucune politique de relance qui permettrait la mise en oeuvre d'un véritable plan Marshall de rattrapage des équipements structurants outre-mer. S'en remettre aveuglément au marché en attendant que ça se passe ne peut tenir lieu de politique de développement en France, et encore moins dans les outre-mer. Ce laisser-faire est pourtant ce que l'on constate depuis cinq ans – au cours desquels le budget pour les outre-mer a diminué d'un tiers, soit 600 millions d'euros – et il est désormais clairement assumé, puisque les documents préparatoires à cette future loi de programme, rédigés par le secrétaire d'État, indiquent noir sur blanc qu'« il ne s'agit plus d'obtenir un quelconque rattrapage avec la métropole. » En faisant le choix de creuser les écarts de revenus et de patrimoines entre les individus, et de pérenniser les écarts de développement entre les territoires, vous mettez en péril la cohésion nationale. Comment pouvez-vous attendre de nous que nous partagions un tel point de vue, qui n'est rien de moins que révoltant ? Sur ce point, j'aimerais d'ailleurs entendre mes collègues ultramarins de l'UMP.
À l'heure où les équipements structurants dans les domaines de la gestion des déchets, de l'assainissement, de la santé, du médico-social, de la mise aux normes parasismiques des bâtiments public et du logement social font encore gravement défaut dans les outre-mer, en particulier en Guadeloupe ; à l'heure où l'Europe, conformément à la fameuse stratégie de Lisbonne et à l'application du principe d'earmarking – c'est-à-dire le fléchage de 60 % des crédits du FEDER et du FSE à destination de l'économie du savoir – ne fait plus du financement de tels équipements une de ses priorités ; à l'heure, enfin, où les collectivités locales connaissent de sérieuses contraintes budgétaires, il appartient à l'État d'accompagner ces collectivités de manière volontariste sur une période de quinze à vingt ans, afin d'achever le rattrapage initié depuis la départementalisation. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons la création d'un fonds de rattrapage des équipements structurants, dont le financement pourrait, au besoin, passer par la remise en cause de certains dispositifs spécifiques à l'outre-mer.
En Guadeloupe, la seule mise aux normes parasismiques des bâtiments publics coûtera 2 milliards d'euros sur quinze ans, et la construction d'usines de traitement des ordures ménagères plus de 300 millions – sur lesquels l'Europe ne donnera que 40 millions. Et c'est la même chose pour tous les grands projets structurants ! L'Europe donne peu, les collectivités locales ne disposent d'aucun potentiel de ressources propres – en Guadeloupe, seules trois communes sur trente-deux disposent encore d'une marge financière. Si l'État, lui non plus, ne fournit aucun accompagnement, il est à craindre qu'aux cinquante ans de retard accumulés à ce jour ne s'en ajoutent cinquante de plus, ce qui fait que nous ne serons jamais au standard européen – encore moins au standard hexagonal. Votre budget évacue allégrement cette grave problématique, ce que nous ne saurions accepter.
Le dogme du retrait de l'État est aujourd'hui pleinement assumé. Ainsi, le Premier ministre ne craint-il pas d'affirmer que la réforme de l'État implique « moins de services, moins de personnel, moins d'État sur le territoire ». Bien au contraire, nos régions ont besoin de plus de services, de plus de personnels et de plus d'État !
J'en donnerai trois exemples. Le désengagement de l'État depuis 2002 a déjà conduit à la disparition de tous les services vétérinaires à la Réunion, où la crise du chikungunya a pourtant démontré qu'il fallait au contraire plus de service public – en l'occurrence, un véritable service de lutte antivectorielle. De même, 140 postes de fonctionnaire de police ont été supprimés en Guadeloupe, alors que le taux de vol avec violence dans ce département – 10,1 % en 2006, alors que le taux moyen en métropole est de 5,9 % – montre au contraire qu'il faut plus de personnels et que les seules forces du marché ne suffisent pas. Enfin, pas un seul chantier étatique n'est entrepris en Guyane, alors que la commande publique est le principal moteur de la croissance outre-mer et que les retards en équipements structurants sont phénoménaux. C'est donc bien de plus d'État que les outre-mer ont besoin, et je serais curieux de vous entendre nous expliquer le contraire.
De nombreux autres exemples pourraient démontrer qu'une réforme de l'État consistant en un retrait systématique de la puissance publique – ce à quoi vous vous employez depuis cinq ans – ne peut avoir que des conséquences dramatiques pour les outre-mer. Nous considérons pour notre part que la réforme de l'État devrait plutôt se traduire par une rationalisation de l'administration déconcentrée impliquant la suppression de doublons injustifiés – je pense notamment aux DRIRE, aux délégués régionaux au commerce extérieur, au délégué régional au tourisme dans nos régions monodépartementales –, mais aussi – surtout outre-mer – par un accroissement de l'autonomie des collectivités locales au moyen de la mise en oeuvre d'une décentralisation non plus technique, mais réellement normative.
Je m'étonne à cet égard que la commission Balladur s'en tienne à une réflexion sur les institutions présidentielles, parlementaires et gouvernementales. En effet, les collectivités locales, surtout les plus fragiles d'entre elles, sont les premières à pâtir du retrait de l'État. Ma collègue Annick Girardin en donnera tout à l'heure un exemple très précis portant sur l'indexation octroyée à nos collectivités.
Les transferts de charges ont été effectués sans être intégralement compensés. Ainsi, une récente étude de l'ARF montre que les régions ont dû rajouter 18,4 % de crédits pour assurer la gestion des personnels TOS – en Guadeloupe, c'est une somme de 4,8 millions d'euros que nous nous avons dû débourser. Non contents de cela, vous faites payer aux collectivités territoriales le coût de votre politique. Ainsi, la fin du contrat de croissance et de solidarité, annoncée pour 2008, entraînera une baisse de 20 % de la dotation de compensation de la taxe professionnelle – contribuant à la baisse de l'enveloppe globale ; en effet, au lieu de bénéficier d'une indexation sur l'inflation augmentée de 33 % de la croissance, les collectivités se verront imposer une enveloppe simplement indexée sur l'inflation. En l'absence de réforme de leur fiscalité, les collectivités déjà exsangues ne pourront plus pallier les carences et les retraits toujours plus nombreux de l'État.