Monsieur le ministre du budget, le Premier ministre s'est récemment illustré en annonçant sans ménagement que la France était en faillite.
Voilà pourtant que quelques jours plus tard on nous présente un budget de routine, un budget de croisière dans un pays morne, croisière luxueuse pour les riches, pendant que les autres voyageront en soute, car ce budget n'est nullement indolore : il faut bien commencer dès 2008 à régler l'ardoise des largesses post-électorales de l'été dernier.
Vous avez ce faisant stérilisé plus de treize milliards d'euros en année pleine pour engraisser davantage les rentiers et multiplier les effets d'aubaine. Nous ne pouvons que regretter que le Premier ministre n'ait pas eu la révélation de la faillite dès juin dernier : cela aurait évité à nos concitoyens de devoir ingurgiter aujourd'hui, et plus encore demain, des potions amères pour payer vos dilapidations. Que ne fût-il touché par la grâce qui a poussé M. Borloo à annoncer la TVA sociale !
Les crédits que vous avez ainsi stérilisés vont manquer en 2008 pour créer la dynamique économique et sociale redistributive qui aurait protégé notre pays et nos concitoyens contre les conséquences de l'envolée des prix des produits alimentaires, du gaz, du pétrole – merci de la part de Total qui, possédant à la fois les puits et les pompes, « s'en met plein les poches » à chaque étape –, contre les effets de la crise déclenchée aux États-Unis par les excès financiers du secteur immobilier, et contre le freinage de l'activité économique en France, tous facteurs qui vont amputer le pouvoir d'achat et dégrader l'emploi.
Par parenthèse, monsieur le ministre, je remarque que si vous faisiez confiance aux fonctionnaires qui nous représentent à l'étranger, vous ne pourriez même pas prétendre être surpris par la crise immobilière. Il y a déjà deux ans en effet que le ministre-conseiller de notre mission économique à Washington avait parfaitement décrit la situation dans une note au Quai d'Orsay. Mais vous êtes tellement imbibé de l'idéologie dominante, tellement fasciné par les États-Unis, que vous ne voyez pas les nuages arriver d'outre Atlantique, quand bien même vous entendez déjà le tonnerre.
Comme si cela ne suffisait pas, vous avez décidé de supprimer 22 900 emplois publics, ce qui aura mécaniquement pour conséquence que 22 900 jeunes de ce pays ne seront pas embauchés et manqueront dans nos services publics et administratifs.
Le choc de confiance tant claironné par le Président de la République, auquel vous vous référez sans cesse – illégitimement puisque l'article 5 de la Constitution ne l'autorise pas à vous donner de consigne ni à vous adresser de lettre de mission – est en train de virer au flop économico-financier sans doute le plus retentissant de l'histoire de la Ve République. Il s'agissait, prétendiez-vous, de soutenir la croissance par des réformes ambitieuses déclenchant un cycle vertueux. Mais les prévisions de croissance sont revues à la baisse par tous les prévisionnistes, INSEE compris. Ainsi la Commission européenne prévoit une croissance 1,9 % pour 2008 contre une prévision médiane du Gouvernement de 2,25 %.
Résultat de votre politique, le moral des Français est en chute et le pessimisme prévaut. Tous les indicateurs d'opinion composant l'indicateur résumé d'opinion des ménages établi par l'INSEE sont en recul en septembre. La baisse la plus notable concerne l'indicateur relatif aux perspectives d'évolution du niveau de vie, qui se dégrade fortement. Le jugement des ménages sur l'évolution passée du niveau de vie se détériore également quoique dans des proportions moindres. Les ménages sont de nouveau plus pessimistes sur leur situation financière future. L'indicateur d'opinion quant à l'opportunité de faire des achats importants a lui aussi reculé en septembre.
Les patrons de PME sont également pessimistes vis-à-vis de la situation économique à venir, après avoir connu pour certains une baisse de leur activité en septembre, selon l'enquête mensuelle BNP Paribas Lease Group-AFP. Le baromètre BPLG-AFP de vitalité des PME-PMI a chuté de 19 points en septembre à 34 points, son niveau le plus bas depuis février 2007, où il était à 37 points. L'enquête attribue ce sentiment à la « récente dégradation de l'environnement économique mondial ».
Nos compatriotes ont d'ailleurs bien raison d'être inquiets pour leur pouvoir d'achat et leur situation financière. le point de conjoncture de l'INSEE du 26 septembre dernier note en effet que « les prix du pétrole ont en outre continué à progresser au début du troisième trimestre : le 20 juillet, le baril de brent a atteint un record, à près de 80 dollars. Après un recul au début du mois d'août, les prix sont repartis à la hausse : sur un marché contraint par l'offre et sensible aux facteurs géopolitiques, ils devraient rester volatils dans les mois à venir. Notre prévision s'appuie sur l'hypothèse d'un baril de brent à 75 dollars en moyenne à l'horizon de la fin de l'année. Aux tensions sur le marché pétrolier s'ajoute l'accélération des prix agricoles et des matières premières. Cette accélération devrait se poursuivre au second semestre, entraînant une augmentation de l'inflation à la fin de 2007 qui devrait peser sur le pouvoir d'achat des ménages ».
Cette prévision vaut évidemment aussi pour 2008, car l'évolution rapide à la hausse du prix de nombreuses matières premières et produits agricoles est une tendance lourde ayant des causes structurelles, que même un ralentissement économique, lié à la crise financière, ne saurait inverser. Mais de tout cela, vous ne voulez pas tenir compte. Cette crise financière, dont on mesure encore mal l'ampleur et les conséquences, constitue pourtant une grave incertitude quant aux évolutions économiques, sociales et financières de 2008.
Comme l'écrit encore l'INSEE : « Si toutefois la crise financière persistait, l'incertitude sur l'évolution de la croissance, et donc sur les débouchés des entreprises, pourrait se renforcer. Leur investissement pourrait alors être ajusté à la baisse en fin d'armée ».
Mais il y a plus grave : la loi TEPA de l'été aura des effets pervers, par exemple en matière d'heures supplémentaires. Ils sont maintenant dénoncés par des acteurs de terrain qui partagent pourtant l'approche idéologique du Président de la République – laquelle est sans doute aussi la vôtre, par effet de clonage.