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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 15 janvier 2008 à 15h00
Projet de loi constitutionnelle modifiant le titre xv de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

N'est-ce pas Valéry Giscard d'Estaing, père du précédent traité, et donc ayant légitimité pour en parler, qui a admis sans ambiguïté, dans la même ligne de raisonnement : « dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes » ?

N'est-ce pas ce même Valéry Giscard d'Estaing qui soulignait, le 17 juillet 2007, devant le Parlement européen, que les modifications apportées étaient « purement cosmétiques ». « En termes de contenu – je le cite – les propositions demeurent largement inchangées. Elles sont juste présentées de façon différente […]. Les gouvernements européens se sont mis d'accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu'elle soit plus facile à avaler ». Les députés sont-ils là pour « avaler » la Constitution ? On ne peut exprimer plus clairement le mépris revanchard de nos élites pour la démocratie que par la bouche de l'ancien Président.

Les dirigeants européens s'apprêtent à faire passer en force le traité de Lisbonne alors qu'un texte similaire a été rejeté par voie référendaire à peine trois ans plus tôt.

Il s'agit là d'un acte grave. Car si on impose ce « nouveau traité » – ce sera vécu ainsi par les Français, et le Gouvernement n'est pas étranger à cette politique oligarchique –, la crise de crédibilité et de légitimité des institutions européennes et de la construction de l'intégration européenne ne fera que s'approfondir encore plus.

Malgré cela, voilà que le Président de la République s'associe à cette démarche oligarchique en décidant unilatéralement que le traité de Lisbonne sera ratifié par le Parlement. Que dis-je, le Président de la République ? Le candidat Sarkozy avait décidé unilatéralement que le traité de Lisbonne serait ratifié par le Parlement – les députés considérant que le vote des citoyens a confirmé cette décision unilatérale – et qu'aucun référendum, aucun débat public citoyen, aucune consultation n'aurait lieu.

Le Président de la République se targue d'avoir fait disparaître la « concurrence libre et non faussée », mais celle-ci réapparaît dans le protocole n° 6 au rang des principes que l'Union doit faire respecter. C'est une marque profonde d'irrespect envers le peuple français.

L'attitude autoritaire et antidémocratique du Président de la République suggère que, pour lui et son entourage, le peuple français est ignorant, incapable de comprendre les enjeux de la construction européenne et incapable de décider de son avenir.

Outre qu'elle est méprisante, c'est une initiative opportuniste et politicienne. Je rappelle au Gouvernement que la décision prise par le peuple français le 29 mai 2005 n'est pas caduque, qu'elle est encore en vigueur et d'actualité par rapport au traité de Lisbonne.

En décidant unilatéralement la ratification par voie parlementaire, le Gouvernement bafoue les droits du peuple français. Pire encore, il empiète dessus et les nie. Il contourne purement et simplement l'expression populaire.

Si le Conseil constitutionnel a clairement affirmé que la révision constitutionnelle doit précéder la ratification du traité de Lisbonne, le projet présenté par le Gouvernement vise essentiellement un tout autre objectif : imposer par la voie de la ratification parlementaire le même traité avec les mêmes principes et les mêmes règles bien cachés intentionnellement dans la jungle des articles rédigés, dans le marécage de renvois successifs et dans d'illisibles références à d'autres traités, d'autres articles et à d'innombrables protocoles. Il a fallu tout le talent et le travail des personnes qui travaillent à la commission des affaires étrangères et l'initiative du président Axel Poniatowski pour essayer de rendre un peu plus compréhensible l'ensemble de ces articles pour les députés. Le recueil qui a été réalisé et qui nous a été distribué avait cette volonté. C'est vous dire que ce n'était pas transparent, que ce n'était pas simplifié !

Le Gouvernement n'hésite pas à employer des méthodes éhontées pour imposer ce « traité modificatif » qui n'a de nouveau que les apparences : en réalité, cela a été démontré à cette tribune, c'est un clone difforme de feu le traité constitutionnel européen.

Comme l'a souligné à juste titre le professeur de droit public Anne-Marie Le Pourhiet : « Chez nous le cynisme est bien pire puisque l'on nous refuse même le droit de revoter en nous imposant une ratification parlementaire. Tout démocrate, qu'il soit souverainiste ou fédéraliste, devrait s'insurger contre une telle forfaiture. »

On nous vante le fait que le Parlement européen verrait ses pouvoirs renforcés. Soit ! Mais alors pourquoi le Gouvernement s'évertue-il à vouloir cacher au peuple français « qu'il ne s'agit que d'un bien mince avantage » dans un système où une Commission, indépendante des gouvernements et donc des Parlements devant lesquels ces gouvernements sont responsables, monopolise l'initiative législative ? Le Conseil constitutionnel a constaté clairement que le Parlement européen n'était pas « l'émanation de la souveraineté nationale ».

D'immenses domaines relèveront désormais de deux instances oligarchiques, la Commission, à laquelle nous abandonnons plus encore le droit d'initiative, et la Cour de justice, chargée d'interpréter la charte des droits fondamentaux, au détriment du pouvoir du Parlement français. Dans quarante nouveaux domaines, je ne les cite pas, Nicolas Dupont-Aignan en a parlé tout à l'heure, le vote du Conseil interviendra à la majorité qualifiée et sera couvert par l'illusoire codécision d'un Parlement fantôme, dépourvu de légitimité, en l'absence d'un peuple européen. Rappelons-nous ce que le Conseil constitutionnel a affirmé à cet égard.

Avec son projet de révision constitutionnelle, le Gouvernement oublie une règle essentielle en démocratie, la souveraineté du peuple. La souveraineté appartient au peuple et le peuple s'est déjà prononcé sur ce même traité, à la différence qu'il porte un autre nom. Ne pas respecter la souveraineté populaire constitue un véritable déni de démocratie, l'équivalent de ce que le professeur Anne-Marie Le Pourhiet a appelé un « coup d'État ».

Mais avec ce non-respect de la démocratie, ce sont les droits des travailleurs, de tous les citoyens qui reculent, le droit à la sécurité sociale, à toutes les protections des individus qui sont remis en cause.

La logique du capitalisme financier aujourd'hui dominant dans le système de la globalisation est naturellement contraire à l'intérêt des peuples européens, Alain Bocquet l'a démontré tout à l'heure.

La mise en concurrence des territoires, des institutions, des États, des hommes, des femmes – qui, en fin de compte, est le coeur de la philosophie du contenu et de la lettre des traités européens –, à l'intérieur de l'Union européenne comme vis-à-vis des pays tiers, entraîne délocalisations, chômage, stagnation des salaires et du pouvoir d'achat et démantèlement de la protection sociale.

La construction européenne actuelle imposée aux citoyens est donc bien une courroie de transmission de la politique de marchandisation de la société menée avec vigueur par l'Organisation mondiale du commerce à travers l'accord général sur le commerce des services.

Le traité de Lisbonne ne consacre-t-il pas l'OTAN comme pilier fondamental de l'Union ? L'article 23 affirme bien que la défense européenne n'existera que « conforme aux engagements souscrits dans le cadre de l'OTAN par les pays qui en sont membres et qui ont choisi d'en faire le cadre d'élaboration de leur défense et l'instance de sa mise en oeuvre ».

Ce texte a au moins un mérite : il est cohérent avec le souhait formulé par le Président de la République de faire réintégrer par la France les structures militaires de l'OTAN, dont le général de Gaulle nous avait fait sortir en 1964. C'est aussi une disposition logique pour exaucer le rêve des États-Unis, qui ont besoin d'une Europe soumise, réduite au silence et à l'impuissance.

Ce traité et notre gouvernement accordent aux États-Unis, non seulement un alignement de principe, toujours réversible dans un pays démocratique, mais également, ce qui est plus grave, l'assurance d'un acquiescement automatique de l'Union européenne à toutes les décisions américaines dans un monde que les États-Unis ne peuvent plus dominer tous seuls.

Soyons clairs : dans l'Europe de Lisbonne, il n'y aura plus de place pour « la voix d'une France libre et indépendante ». Si ce traité était en application aujourd'hui, nos soldats ne seraient-ils pas en Irak ? Si les États-Unis décident demain de frapper l'Iran, l'Union européenne bénira ! C'est l'Europe de la guerre, de l'aristocratie. C'est l'Europe alignée sur la politique guerrière des États-Unis.

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