Mais la situation est d'autant plus extraordinaire que ce vote contre nature, indigne de notre assemblée, s'effectue au nom d'une construction européenne qui n'a plus rien à voir avec la belle idée européenne qui devrait tous nous rassembler. Cette construction européenne-là, en effet, risque bel et bien d'en être au contraire le tombeau. Car c'est une construction dont les fins et les moyens échouent chaque jour un peu plus devant nous et qui, en conséquence, est de plus en plus contestée – tous les sondages le prouvent – par les peuples d'Europe.
Loin de vouloir réorienter cette construction pour servir le progrès des peuples – car nous avons évidemment besoin de l'Europe –, le traité de Lisbonne marque l'entêtement des dirigeants européens dans une impasse économique, sociale et en fin de compte démocratique. Car, comble de tout, on ne nous demande pas de nous amputer les bras pour bâtir une démocratie européenne – je respecte à la rigueur les avocats d'un fédéralisme européen total, ils ont au moins le mérite de la cohérence –, mais pour conforter une oligarchie bureaucratique qui n'est jamais responsable de rien, ni devant personne.
On nous demande de saborder les démocraties nationales sans rien construire de solide capable de s'y substituer. Les responsables de ce plan grandiose, au grand dam des fédéralistes francs et sincères, voudraient-ils démontrer que l'Europe politique n'est qu'une chimère qu'ils ne s'y prendraient pas autrement !
Allez-vous, mes chers collègues, faire franchir à la France et à l'Europe ce pas fatal ? Allez-vous bafouer la volonté du peuple dont vous êtes les représentants ? Allez-vous sacrifier la souveraineté dont vous êtes les dépositaires et les gardiens ? Allez-vous condamner la construction européenne à une fatale illégitimité, alors que vous auriez pu en être, après le référendum du 29 mai 2005 et après la très large victoire du Président de la République, l'aiguillon salvateur ?
Mais toutes les grandes fautes historiques ont toujours été habillées des meilleures excuses du monde ! Comme si les assemblées, à l'instar des individus grands et petits, avaient besoin de se mentir à elles-mêmes pour ne pas avoir trop mauvaise conscience de leur faiblesse, ou de leur forfait.
La période actuelle ne fait pas défaut. Quantité d'arguments sont avancés pour endormir les Français et exonérer leurs représentants de leur responsabilité. Succession de petites excuses qui sont autant de lâchetés, et de mensonges, pour se voiler la face devant la gravité de l'enjeu institutionnel, devant ses conséquences pour notre démocratie, notre économie, notre société.
Permettez-moi, par cette question préalable, de répondre aux quatre arguments, tous plus fallacieux les uns que les autres, généralement invoqués par les avocats de cette ratification parlementaire. Ces fameuses raisons que j'entends depuis plusieurs semaines, que nous avons entendues ce matin et que nous réentendrons tout à l'heure, qui, prétendument, justifieraient ce passage en force au petit matin de l'année 2008, pendant que l'on distrait l'opinion au moyen d'une actualité insignifiante.
Il a tout d'abord été dit et répété sur tous les tons que le traité de Lisbonne serait différent de la Constitution Giscard. C'était bien, pour le candidat à la présidence de la République, la moindre des prudences afin de ne pas provoquer la majorité des Français qui avait voté « non » au référendum du 29 mai 2005 et de ne pas s'aliéner ainsi leur vote.
« Mini-traité », « traité simplifié », « traité modificatif », et j'en passe... voilà la vraie habileté. Bravo !
Des formules simples, martelées sur toutes les antennes. Circulez, il n'y a plus rien à voir. Dormez tranquilles, bonnes gens, nous avons entendu votre « non » ! Le produit est différent, vous pourrez donc le consommer sans crainte !
Là aussi, les historiens s'interrogeront un jour pour essayer de comprendre comment une démocratie adulte comme la nôtre aura pu, sans réagir, laisser se propager une telle fable, une telle campagne de désinformation.