L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République d'Albanie, d'autre part.
Ce type d'accord comprend essentiellement des dispositions à caractères technique ; vous en trouverez les grandes lignes dans le rapport que j'ai rédigé au nom de la commission des affaires étrangères. Nous avons été nombreux à souhaiter que cette ratification fasse l'objet d'un débat en séance publique plutôt que d'une procédure d'adoption simplifiée, car ce texte est important ; la présence de M. l'ambassadeur d'Albanie en témoigne.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, un accord d'association marque à la fois la conclusion d'un processus politique et le départ d'une nouvelle étape. Nous constatons le chemin parcouru et pointons le but à atteindre.
L'histoire de l'Albanie est particulière ; elle se caractérise notamment par son isolement complet du reste de l'Europe pendant près de cinquante ans, sous la dictature d'Enver Hodja. Son influence dans les Balkans qui, comme vous le savez, sortent de plusieurs années de guerre civile, est importante.
L'Albanie souffre de son image : les mots qui venaient lorsqu'on l'évoquait étaient pauvreté, corruption, trafics humains, drogue. Nous voulons intégrer ce pays dans l'Union européenne car nous pouvons témoigner des progrès réalisés et d'une volonté de rupture avec ces vieilles habitudes. L'essence même de l'Union européenne est de faire de notre continent un espace de paix, uni par une foi commune dans la démocratie et la liberté et cimenté par des intérêts communs. Nous avons été capables, sur cette base, de reconstruire l'Europe occidentale après la guerre puis d'intégrer par vagues successives d'élargissements toute l'Europe méditerranéenne, puis l'Europe de l'est. Il nous faut maintenant poursuivre cette tâche historique dans les Balkans : nous ne devons jamais oublier que notre avenir comme notre sécurité en dépendent.
Le présent accord de stabilisation et d'association a pour champ d'action l'Albanie, mais il procède d'une stratégie plus vaste au profit de l'ensemble des Balkans occidentaux. Son objectif est d'encourager les réformes institutionnelles et économiques dans ces pays afin de préparer leur adhésion.
L'enjeu pour l'Union européenne est de ramener définitivement la paix dans une région ravagée par plusieurs guerres civiles à la suite de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie.
Chacun se souvient des actes de barbarie – épuration ethnique, génocide, utilisation du viol comme arme de terreur – qui ont été commis au coeur de l'Europe. La plupart des pays des Balkans qui ont été en guerre n'ont pas encore rétabli entre eux des relations normales.
Dans ce contexte difficile, la perspective pour l'Albanie de l'adhésion à l'Union européenne est essentielle pour les populations. Celles-ci attendent de notre part un geste qui va au-delà de l'aide matérielle ou des investissements que l'accord de stabilisation leur apportera. Le vote de notre Parlement, comme celui des autres membres de l'Union européenne, signifie pour l'Albanie son retour dans l'histoire européenne dont elle a été exclue pendant un demi-siècle.
L'Albanie est dans une situation paradoxale. Elle n'a pas directement souffert des guerres civiles qui ont traversé les Balkans mais cinquante années de régime autoritaire ont laissé le pays exsangue. L'économie était délabrée à la mort du dictateur. Le pays souffrait d'isolement politique et de nombreux Albanais vivaient sous le seuil de pauvreté.
Bien que l'Albanie soit sortie du communisme dans les années quatre-vingt-dix, le problème qui se pose à elle encore aujourd'hui est double : il lui faut, d'une part, transformer une économie administrée en une économie de marché, d'autre part, rétablir des contacts normaux avec la communauté internationale.
On mesure mal, dans nos sociétés ouvertes habituées à l'échange des idées et à la critique depuis des siècles, ce que signifie un isolationnisme total. La voix de la France grâce à RFI était, chez eux, le seul vent de liberté. Pendant cinquante ans, faute de contacts extérieurs, l'Albanie a pris un retard considérable dans tous les domaines : équipements, infrastructures, capacité de gestion et d'administration, vie culturelle. Deux générations au moins sont restées à l'écart des évolutions de notre temps. Pour qui voyageait en Albanie il y a peu, l'impression était celle d'un pays figé, dont l'agriculture travaillait comme au XIXe siècle, et dépourvu d'axes routiers dignes de ce nom.
Aujourd'hui, des pôles de développement commerciaux, comme à Tirana et dans quelques stations balnéaires, commencent à émerger. Le peuple albanais a la capacité de se développer pourvu qu'on l'aide à relever ses infrastructures. Souvenons-nous de la Pologne à la chute du rideau de fer et de sa situation actuelle.
Il s'agit bien pour l'Union européenne d'un volontarisme politique, d'un acte de foi envers un peuple lourdement frappé par son histoire.
La reprise des relations avec l'Union européenne puis, désormais, la perspective à moyen ou à long terme d'une adhésion, ont redonné espoir à l'ensemble de la société albanaise. Sachez, mes chers collègues, que l'Albanie attend depuis plusieurs mois le débat que nous tenons aujourd'hui. Nous sommes l'un des derniers États de l'Union à ratifier cet accord. Vingt-deux États ont déjà accompli ce geste. La ratification du Parlement français est attendue avec impatience car l'Albanie est un pays profondément francophile et francophone. Il était primordial que notre ratification intervienne sous la présidence française et je remercie le Gouvernement d'avoir compris la portée symbolique pour l'Albanie de notre débat aujourd'hui.
Les accords de stabilisation et d'association s'inscrivent dans une démarche européenne qui concerne l'ensemble des Balkans.
Cette démarche comporte trois volets : une aide financière et économique, la libéralisation du commerce entre l'Union et les Balkans, et enfin la perspective d'une adhésion, grâce aux accords d'association.
Notre vote aujourd'hui donnera donc à l'Albanie une perspective claire pour les années à venir. Il lui rappellera également que l'entrée dans l'Union européenne exige le respect du principe de conditionnalité et qu'il revient désormais à la société albanaise de conduire les efforts nécessaires pour se moderniser.
Depuis le 21 juillet 2002, la Commission européenne a été autorisée à ouvrir les négociations avec ce pays. Le présent accord d'association a été signé le 12 juin 2006 à Luxembourg. Il conclut un processus politique visant à stabiliser l'Albanie et à préparer son adhésion à l'Union européenne.
La politique envers l'Albanie fait l'objet d'un consensus général au sein de l'Union européenne. En Albanie, l'ensemble des partis politiques considèrent que ce processus est une priorité pour leur pays.
Malgré ce consensus, les négociations ont duré près de quatre ans, en raison de la relative inertie de l'Albanie à mettre en oeuvre les réformes nécessaires en matière de droit et de lutte contre la criminalité organisée. Le gouvernement nommé à la suite des élections de 2005 a donné une véritable impulsion à la mise en oeuvre des réformes, permettant la signature en juin 2006 de l'accord qui nous est soumis.
Le Conseil européen a rappelé à plusieurs reprises que l'Albanie se voyait offrir de véritables perspectives d'adhésion à condition de satisfaire aux critères exigés par l'Union européenne et de résoudre certains problèmes propres à la société albanaise. L'Europe se montre particulièrement attentive à la corruption et à l'existence de puissantes mafias qui se livrent à des trafics d'êtres humains. L'ouverture sur l'Europe ne doit pas faciliter le jeu des mafias ni le blanchiment d'argent. La prostitution constitue également une forte préoccupation car elle touche des femmes vulnérables, généralement peu éduquées, qui s'y adonnent pour faire subsister leur famille.
Le gouvernement du Premier ministre, M. Sali Berisha, s'est attaché à mettre en oeuvre avec un réel succès et un volontarisme affiché un programme de lutte contre la corruption, le crime organisé et les trafics, mais il lui reste beaucoup à faire en ce domaine.
Pour ceux qui sur ces bancs s'interrogent légitimement sur le présent accord en raison de l'état de la société albanaise, je rappelle que la stratégie européenne dans les Balkans exige des pays qui en bénéficient le respect d'une série de conditions politiques et économiques. Les pays sont encouragés à respecter leurs obligations pour accéder au statut de candidat. L'Union européenne peut à tout moment interrompre le programme et geler son aide financière si elle estime qu'un pays ne respecte pas ses engagements.
L'Union européenne évaluera donc les progrès de l'Albanie avant qu'elle n'obtienne le statut de candidat.
Le principal objectif de notre accord aujourd'hui est de renforcer le dialogue politique entre l'Union européenne et l'Albanie. Il porte notamment sur le respect des principes démocratiques des droits de l'homme et de l'économie de marché. Il a par ailleurs pour objet d'opérer un rapprochement entre la législation albanaise et celle de l'Union européenne, notamment concernant la libre circulation des marchandises.