Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Martine Billard

Réunion du 7 novembre 2007 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2008 — Ouverture de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales :

Madame la ministre, monsieur le ministre, le rapporteur spécial de la commission des finances ayant abordé l'aspect budgétaire de la mission « Sécurité sanitaire », je centrerai mon propos sur la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine.

L'eau étant réputée un produit particulièrement surveillé dans notre pays et aucune crise majeure dans ce domaine n'étant survenue depuis un certain temps, on peut s'étonner d'un tel choix. Pourtant, certaines crises sanitaires récentes ont profondément ébranlé la confiance des citoyens dans la qualité des produits qui leur sont distribués. De plus, des signaux inquiétants de dégradation de la qualité des ressources en eau utilisées pour la production d'eau potable, qu'il s'agisse des nappes d'eau souterraines ou des rivières, sont apparus, avec la mise en évidence de pollutions diffuses de produits, comme les nitrates et les pesticides, des médicaments ou des hormones, dont les effets sur la santé liés à l'ingestion de faibles doses pendant de longues périodes ne sont pas encore parfaitement établis.

De nombreuses auditions m'ont amené à établir le double constat suivant : la sécurité sanitaire de l'eau, fortement encadrée par des normes exigeantes, fait l'objet de nombreux contrôles, qui assurent globalement une qualité de l'eau destinée à la consommation humaine conforme à la réglementation ; cependant, la persistance de certaines difficultés, ainsi que l'émergence de nouveaux défis encore mal évalués, requièrent certaines adaptations.

L'eau destinée à la consommation humaine est susceptible d'être contaminée par deux vecteurs principaux : d'une part, les micro-organismes pathogènes, qui peuvent être à l'origine de maladies infectieuses – essentiellement des gastro-entérites – et qui constituent le principal risque direct et immédiat pour la santé des consommateurs d'eau du robinet ; d'autre part, les polluants chimiques – pesticides, nitrates, hydrocarbures, métaux lourds –, qui peuvent affecter la santé à long terme, sachant que, sauf pollution accidentelle massive susceptible d'effets immédiats, c'est l'ingestion sur de longues périodes de substances présentes en faibles quantités qui peut poser problème.

C'est le code de la santé publique qui fixe les critères de qualité pour la composition de l'eau, afin d'éviter sa contamination par des micro-organismes pathogènes ou des polluants, et ce conformément aux directives communautaires : pour l'essentiel la directive cadre du 23 octobre 2000, qui fixe un objectif général de « bon état écologique et chimique de l'eau », et la directive du 3 novembre 1998, qui fixe le cadre réglementaire européen en matière d'eau potable.

Par ailleurs, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et le plan national santé-environnement ont également fixé des objectifs ambitieux en matière de sécurité sanitaire de l'eau. Le plan national santé-environnement a par exemple défini comme objectif prioritaire la protection de la totalité des captages à l'échéance 2010, avec un objectif intermédiaire de 80 % fin 2008. Or aujourd'hui, à un an de cette dernière échéance, seulement 60 % des captages sont protégés.

Le cadre réglementaire strict et les multiples contrôles tout au long de la chaîne font que l'eau distribuée en France est globalement conforme à la réglementation. Mais cette qualité de l'eau captée nécessite souvent des traitements coûteux, qui se répercutent sur le prix à payer par les consommateurs, et des interdictions de consommation sont parfois nécessaires. Force est donc de constater que des difficultés persistent et que de nouveaux défis émergent. Ils requièrent des adaptations constantes et toute notre attention.

Concernant les pesticides, selon l'Institut français de l'environnement, « les niveaux de contamination sont souvent significatifs ». En 2006, la consommation de l'eau du robinet a dû être restreinte à cause des pesticides dans 19 départements ; ces situations anormales ont concerné environ 110 000 personnes la même année.

Si la connaissance de l'action à long terme des pesticides sur la santé humaine reste incomplète, certains sont suspectés d'avoir des effets toxiques et de perturber notamment les fonctions de reproduction. Leur action de perturbateurs endocriniens a été mise en évidence sur la faune aquatique. On ne peut donc qu'être légitimement préoccupé pour l'homme.

Les pesticides sont aussi potentiellement mutagènes et donc potentiellement cancérigènes. Nous pouvons citer l'exemple du chlordécone, qui a récemment posé problème aux Antilles.

De même, l'étude de l'équipe du professeur Gilles-Éric Séralini de l'Université de Caen, publiée au printemps 2007, met en évidence les actions délétères du Roundup, herbicide le plus utilisé au monde. Ce produit, tel qu'il est vendu, est beaucoup plus toxique que la molécule connue et homologuée pour être son principe actif, le glyphosate. Or la réglementation actuelle des autorisations de mise sur le marché ne prévoit pas d'effectuer les tests sur le composé tel qu'il est commercialisé, mais seulement sur la molécule du principe actif de départ.

En ce qui concerne les nitrates, tout comme les pesticides, ils proviennent essentiellement de pollutions d'origine agricole. L'IFEN indique que, depuis le début des années 1970, la qualité des cours d'eau se détériore, même si elle semble s'être stabilisée au cours de la dernière décennie.

Ces fortes teneurs en nitrates dénotent l'état d'une ressource fortement dégradée, susceptible de devenir dans des délais brefs impropre à la consommation humaine en l'absence de mise en oeuvre de mesures adaptées. La lutte contre la pollution par les nitrates est donc un enjeu majeur pour la qualité des eaux de surface utilisées pour la production d'eau potable. Dans ce domaine, la France manque singulièrement à ses obligations européennes.

Troisième sujet de préoccupation, enfin, les résidus de médicaments, dont plus de trente classes sont présentes dans les eaux superficielles. Certains scientifiques évoquent désormais le fait que des composés présents à l'état de traces dans l'eau sont susceptibles d'effets sur la santé, par exemple de perturbation de l'activité endocrinienne. Certains médicaments, comme les hormones de synthèse utilisées dans les contraceptifs, agissent comme de véritables hormones sexuelles.

L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments a été chargée, d'une part, de la réalisation d'une étude à mener en liaison avec l'AFSSAPS et les industriels du médicament, concernant l'identification et la hiérarchisation des molécules, et, d'autre part, de la réalisation d'un inventaire des niveaux de contamination des eaux destinées à la consommation humaine sur un panel de molécules.

Reste à aborder le cas particulier des antibiotiques et des bactéries antibiorésistantes dans les eaux. La question des gènes de résistance aux antibiotiques est un problème sérieux encore mal connu en France. Or l'utilisation d'antibiotiques chez l'animal comme agents thérapeutiques ou comme promoteurs de croissance peut entraîner une réduction de l'efficacité de ces produits en médecine vétérinaire, mais aussi en médecine humaine par suite du développement de souches antibiorésistantes de micro-organismes pathogènes. Le développement d'une résistance chez certains micro-organismes pathogènes peut s'accompagner de l'apparition d'un « déterminant de résistance » chez un autre micro-organisme et constitue un danger.

L'AFSSA a conclu en 2006 que les eaux destinées à la consommation humaine en France ne peuvent être considérées comme un milieu favorisant l'augmentation de l'antibiorésistance bactérienne. Toutefois, elle recommande que l'utilisation raisonnée des substances antibiotiques reste une priorité d'action et préconise de maintenir une veille constante sur la problématique générale de l'antibiorésistance.

Des adaptations restent donc nécessaires pour maintenir et renforcer la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine.

Premièrement, il ne faut pas baisser la garde en matière de risque terroriste. Des mesures ont déjà été prises en matière de sécurisation des réseaux de distribution. Dans le cadre du plan Vigipirate, un contrôle en continu du chlore est également mis en place, mais la vigilance reste de mise.

Deuxièmement, les petits services locaux de distribution ont souvent des difficultés pour assurer un suivi de la qualité de l'eau distribuée. Il est hautement probable que certains de ces réseaux ne disposent pas de tous les services techniques leur permettant d'assurer dans les meilleures conditions sanitaires une gestion de l'eau ad hoc. Aussi la question du regroupement des structures de captage et de distribution mérite-t-elle d'être étudiée pour ces petits réseaux.

Troisièmement, il convient d'adopter des mesures simples en matière de risques émergents. L'incertitude qui pèse sur les risques liés à la présence de résidus médicamenteux dans l'eau destinée à la consommation humaine milite pour une démarche de précaution. Dans l'attente d'acquisition de connaissances plus étayées, il est néanmoins possible de prendre dès maintenant des mesures conservatoires, comme au Danemark par exemple, où l'interdiction de l'usage d'antibiotiques comme promoteurs de croissance animale a nettement amélioré les conditions sanitaires et permis un effondrement de l'antibiorésistance chez l'homme. Sont également efficaces des mesures comme le traitement des lisiers, l'équipement de tous les hôpitaux en stations d'épuration ou la diffusion de techniques utilisant des pastilles désinfectantes pour les malades à domicile soumis à des traitements lourds ; il s'agit dans tous les cas de solutions rapides à mettre en place. Enfin, le développement de bonnes pratiques sur l'usage des médicaments et en particulier des antibiotiques est également de nature à réduire la propagation de médicaments dans l'environnement et celle des antibiorésistances.

Quatrièmement, l'évolution de la réglementation des AMM doit également être mise à l'ordre du jour, pour faire en sorte que les études réalisées portent sur le produit tel qu'il est commercialisé et pas uniquement sur la molécule de base.

Cinquièmement, les actions d'amélioration des ressources d'eau doivent être poursuivies. Aujourd'hui, à l'échelon national, 50 % des masses d'eau souterraine risquent de ne pas atteindre en 2015 le bon état fixé par la directive cadre de l'Union européenne sur l'eau. Il est donc nécessaire d'accélérer et d'amplifier les actions permettant d'atteindre l'objectif de 100 % des captages protégés à l'échéance de 2010.

Afin d'intégrer la sécurité sanitaire de l'eau dans une dimension environnementale plus vaste, il convient d'aller plus loin que l'instauration de périmètres de protection forcément limités dans l'espace. L'expérience de bassins versants comme ceux mis en oeuvre par l'agence de l'eau Loire-Bretagne est à étendre.

Ce n'est pourtant qu'en protégeant de façon globale l'environnement que l'on protégera mieux la santé des consommateurs d'eau. L'AFSSAPS a ainsi indiqué qu'une ouverture vers l'environnement, bien au-delà des traditionnelles études épidémiologiques limitées à la santé humaine, se dessinait dans les instances européennes.

Une amélioration de la sécurité sanitaire de l'eau ne pourra donc s'exonérer d'une politique qui promeuve une agriculture moins consommatrice de produits susceptibles de créer des pollutions diffuses.

En dernier lieu, les efforts de recherche sur l'eau doivent être augmentés. Il ressort très nettement de l'ensemble des auditions réalisées qu'il est primordial d'intensifier les travaux de recherche et l'acquisition des connaissances sur les sources de contamination de l'eau.

La diminution du nombre des laboratoires publics et des crédits qui leur sont affectés, la raréfaction des structures publiques et le morcellement de la recherche, le déficit de chercheurs qui travaillent sur l'eau potable posent problème. Les agences ont, pour la plupart, déploré l'insuffisance des moyens qui leurs sont attribués face aux besoins en investissements, aux besoins en matière de recherche mais aussi du fait des nouvelles compétences qui leur sont attribuées. Le constat d'une recherche très dispersée avec une intervention publique faible est quasi unanime. En ce sens, la mission confiée à l'AFSSA d'impulser et de conduire une politique de recherche publique intégrée, en appui à l'évaluation des risques liés à l'eau destinée à la consommation humaine, est essentielle et doit être encouragée.

La qualité de l'eau destinée à la consommation humaine influe directement sur la santé de chacun, mais aussi sur celle des générations futures. Il est d'autant plus regrettable que le résultat du Grenelle de l'environnement sur la question de l'eau ne soit pas à la hauteur de l'enjeu. Dans certains bassins versants, le cycle de l'eau est très long. En polluant aujourd'hui la ressource, il faudra parfois plus d'un siècle pour que les eaux retrouvent leur qualité de départ. Il est même inquiétant que le Président de la République ait annoncé des objectifs en deçà du plan interministériel des risques liés aux pesticides, qui fixait comme objectif la réduction de 50 % des quantités utilisées des pesticides les plus dangereux d'ici à 2009 et l'interdiction ou, quand ce n'est pas possible, la limitation de mise sur le marché et d'utilisation des produits contenant des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Compte tenu des moyens nécessaires pour assurer le maintien d'une bonne qualité de l'eau, j'estime à titre personnel que les crédits proposés pour les agences sont insuffisants, mais je me dois d'indiquer que la commission des affaires culturelles a approuvé ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion