Je vous rappelle, mes chers collègues de l'opposition, que le Président Mitterrand, après avoir dénoncé le « coup d'État permanent » en s'appuyant sur l'article 16 pour essayer de démontrer l'aspect liberticide, voire quasi dictatorial de la Ve République, dont il condamnait la dérive institutionnelle, s'était interrogé, une fois élu, sur le maintien de cet article. Le comité Vedel, consulté sur cette question, avait conclu qu'il fallait laisser au Président de la République la possibilité de défendre les intérêts de la nation dans de telles circonstances, et le Président Mitterrand s'était rangé à son avis.
À l'inverse, quand le Parlement a voté les pleins pouvoirs, en juin 1940 lors de la débâcle – et on se souvient à qui ! – ou bien quand, plus récemment, aux États-Unis au lendemain du 11 septembre, le Congrès, unanime, a, lui aussi, voté les pleins pouvoirs au Président Bush, cela n'a pas empêché les pires dérives, notamment en matière de droits de l'homme, puisqu'on a vu se multiplier des mesures liberticides, impensables en droit anglo-saxon. Le fait, pour une assemblée parlementaire, de déléguer les pleins pouvoirs n'est donc pas une garantie des libertés fondamentales.
C'est la raison qui m'amène à penser que la solution proposée par la commission Balladur, et aujourd'hui retenue, c'est-à-dire un encadrement constitutionnel et parlementaire de l'exercice de ces pouvoirs exceptionnels après une certaine période, est la moins mauvaise possible. Non que je me réjouisse qu'il faille donner à un seul homme des pouvoirs exceptionnels, mais le monde dans lequel nous vivons est devenu dangereux. Il n'est pas exclu que la France soit un jour dans une situation de crise et que le Président ait besoin d'utiliser ces pouvoirs. Aussi, la possibilité, pour le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, de saisir le Conseil constitutionnel pour contrôler, au bout de trente jours, si la réalité de la situation exige le maintien de ces pouvoirs, est une mesure sage. D'autant que, si le Président de la République n'obtempérait pas, une fois le danger passé, il se trouverait dans une situation politiquement intenable.
Compte tenu de ces diverses expériences – la guerre d'Algérie, la menace terroriste que nous connaissons aujourd'hui et l'octroi des pleins pouvoirs au Président des États-Unis après le 11 septembre –, le dispositif qui nous est proposé est probablement le plus sage. Il a l'avantage de donner au Président de la République les moyens d'agir et à la représentation nationale ceux de contrôler son action, tout en restant dans l'esprit de nos institutions.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter avec nous la modification de l'article 16 et de ne pas en faire, monsieur Montebourg, un casus belli idéologique car, vous l'avez bien compris, je ne suis pas, pour ma part, partisan de donner le pouvoir absolu au chef de l'État ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)