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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 27 janvier 2009 à 15h00
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Loin de répondre aux légitimes revendications de ceux dont les salaires ou les pensions n'ont pas évolué depuis la fin des années 1990 – soit une majorité des salariés et retraités de notre pays –, vous n'avez rien trouvé de mieux à faire que de renforcer encore la pression sur les revenus salariaux, d'accélérer la casse du droit du travail ou d'allonger les durées de cotisations.

Vos diverses réformes ont conduit, entre autres, à légaliser la journée de 13 heures, les 48 heures par semaine, la suppression des jours fériés hors 1er mai pour les forfaits jours, les dix-sept jours de travail supplémentaire par an, soit un samedi sur trois.

Les différents textes sociaux, qui se sont succédé devant notre assemblée à un rythme effréné, ont tous eu pour finalité l'inversion de la hiérarchie des normes, la flexibilisation du travail, et des reculs sociétaux d'importance. En revanche, rien n'a été fait, par exemple, pour faire respecter l'égalité entre hommes et femmes en matière de salaires et de déroulements de carrière.

D'autres mesures sont en préparation, parfois de longue date, comme la mise en oeuvre de la nouvelle convention d'assurance chômage, baptisée « offre raisonnable d'emploi ». Elle traduira concrètement l'obligation faite aux personnes privées d'emploi d'accepter n'importe quel travail, sans lien avec leurs compétences et leur niveau de qualification, donc de rémunération. Une majorité des syndicats de salariés a rejeté cette convention UNEDIC car, si elle comporte des améliorations pour environ 100 000 demandeurs d'emplois, elle contient des reculs pour 800 000 autres.

Cette convention prévoit aussi la scandaleuse baisse des cotisations dites employeurs, alors même qu'il faudrait bâtir une solidarité véritable à l'égard des victimes du chômage, notamment de tous ceux qui ne sont pas indemnisés. Oui, mesdames et messieurs de la majorité, contrairement à ce que vous affirmez à propos de ceux que vous présentez comme les prétendus bénéficiaires de l'assurance chômage, un demandeur d'emploi sur deux n'est pas indemnisé !

Toujours dans le même registre, vous continuez à vous dire attachés à promouvoir à marche forcée le travail dominical, malgré les remous que cela provoque au sein d'une majorité qui est de moins en moins à l'aise avec la tournure ultra-libérale de votre politique, et qui se trouve surtout sous la pression de ses électeurs en circonscriptions.

De façon symptomatique, aucune de vos mesures n'a visé à améliorer les conditions de travail, à renforcer le pouvoir d'achat – première préoccupation de la majorité de nos concitoyens – ou à favoriser le retour à l'emploi dans des conditions dignes. Même vos prétendues mesures sociales telles que le RSA ne sont pas exemptes d'arrières-pensées : si l'amélioration de la situation des travailleurs pauvres est un objectif partagé par tous, elle est devenue pour votre gouvernement et le chef de l'État l'occasion de redoubler de démagogie. Lors de l'examen de ce texte, il y a quelques semaines, vous refusiez d'intégrer les jeunes de moins de vingt-cinq ans dans ce dispositif – y compris ceux qui travaillent. À présent, vous nous proposez seulement d'étendre le champ de compétence de M. Hirsch dans cette direction. Le compte n'y est pas !

Vous restez profondément tributaire de la vision libérale du marché du travail qui est la vôtre : le chômage serait souvent volontaire et l'existence des minimaux sociaux « désinciterait » systématiquement à la prise ou la reprise d'emploi, selon votre expression. Cet a priori se double de l'obsession fantasmatique, pourtant démentie par toutes les statistiques internationales, que pour les emplois dits peu qualifiés, le coût du travail serait prohibitif en France, ce qui nous a déjà valu les mesures d'exonérations de charges sur les bas salaires, véritables trappes à la « smicardisation » massive des salariés.

Dans le même esprit, en septembre dernier, vous nous avez proposé un projet de loi prétendument en faveur des revenus du travail, lui aussi examiné en urgence. Ce texte n'avait d'autre objet que de relancer le serpent de mer de l'intéressement pour les salariés des PME – source de profondes inégalités –, de rendre disponibles les primes de participation en ces temps de chute du pouvoir d'achat, de modifier dangereusement les conditions de fixation du SMIC, de diviser les syndicats et de les piéger dans un dispositif censé favoriser les négociations salariales.

Cette agitation masque votre objectif : endiguer l'exigence massive d'une augmentation des salaires qui terrorise tant le patronat et obsède encore la Banque centrale européenne, malgré le recul de l'inflation. Ni la croissance ni l'amélioration durable du pouvoir d'achat des familles populaires, de l'emploi ou de la situation générale des comptes publics et sociaux ne sont pour le moment au rendez-vous des réformes, au rendez-vous du plan de relance. Pire encore : vous programmez des lois sur le logement et la santé qui sont porteuses de nouvelles atteintes à la solidarité nationale.

Face à la crise financière la plus spectaculaire depuis des décennies, vous n'affichez qu'une seule volonté : celle de continuer dans la voie des réformes engagées, coûte que coûte. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est l'habillage idéologique de ce dispositif d'ensemble que vous persistez à vouloir décliner, réforme après réforme.

Ce dispositif nous plonge au coeur du credo libéral : négation des droits collectifs, refus de reconnaître toute légitimité aux conflits sociaux qui justifie les coups portés au droit de grève, recours à la morale du travail pour tenter d'imposer des formes inédites d'asservissement « volontaire », stigmatisation des chômeurs. Ce sont autant de tentatives de détourner l'attention de nos concitoyens des conséquences désastreuses de la politique économique et sociale conduite depuis six ans, aujourd'hui aggravées par la crise financière. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe GDR.)

Votre tâche s'annonce difficile. Difficile, en effet, de promouvoir le « travailler plus pour gagner plus » face au progrès galopant de la précarité, à l'ampleur des plans de licenciements. Difficile de convaincre les salariés que la fluidification du marché du travail, la casse du droit du travail, la multiplication des exonérations sociales et fiscales participent d'un jeu gagnant-gagnant entre employeurs et salariés, alors que la part des salaires dans le PIB diminue et demeure à un très bas niveau depuis quinze ans, et que les entreprises du CAC annoncent d'insolents profits. Difficile, enfin, de masquer la violence d'un plan de rigueur, quand nos concitoyens continuent à voir se dégrader le service public, assistent à la disparition de la gratuité des soins et apprennent le nouveau recul de l'âge de la retraite jusqu'à soixante-dix ans, par le biais d'un amendement.

La stratégie de Nicolas Sarkozy et de votre gouvernement consiste en un enchaînement cohérent de réformes dont la combinaison conduira peu à peu à la rupture promise, à la rupture avec notre modèle social.

Pour accompagner et mener à bien cette offensive généralisée contre les salariés, les chômeurs, les retraités, votre gouvernement, sous la houlette du chef de l'État, utilise le coup de force. Tout d'abord, il tente de prendre directement en main le service public de la télévision, comme si la censure et le contrôle médiatique actuels n'étaient pas suffisants ! Ensuite, il favorise une dérive bonapartiste de la pratique de nos institutions, qu'il s'agisse de la remise en cause de l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir exécutif ou de l'instrumentalisation de la Constitution.

Le chef de l'État s'affranchit avec une scandaleuse aisance du respect de la Constitution, si l'on en juge par le peu de cas qu'il a fait, depuis son élection, de l'article 20 stipulant que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », et par la désinvolture avec laquelle il a traité le Parlement : cinquante-quatre projets de lois débattus dans des conditions détestables, au rythme d'un texte et demi par semaine !

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